Une commission d’experts présidée par Yannick MOREAU a officiellement remis son rapport au gouvernement sur la réforme des retraites le 14 juin dernier. Le rapport comporte un volet intitulé « accroitre le taux d’emploi des seniors et réformer la prise en compte de la pénibilité ».
La commission part du constat que si beaucoup de mesures ont été prises dans le sens du maintien dans l’emploi des seniors, il reste du chemin à faire pour rapprocher la France des autres pays européens. Le sujet des conditions de travail doit faire l’objet d’une attention toute particulière, car c’est un préalable pour permettre effectivement aux travailleurs âgés de poursuivre leur activité professionnelle. Par ailleurs, certains facteurs de pénibilité ont un impact sur l’espérance de vie et il est donc juste de prévoir des mesures spécifiques pour ces salariés.
Deux axes sont privilégiés :
- Améliorer les conditions de travail et réduire la pénibilité
- Compenser l’exposition à des conditions de travail « pénibles » ayant un impact sur l’espérance de vie des salariés
Pour améliorer le maintien au travail des seniors, le rapport préconise, dans le secteur public et privé, de relancer une politique de communication pour faire évoluer les représentations dans l’entreprise.
Il propose de mettre à l’ordre du jour de la conférence sociale cette question et la mise en place d’une instance de pilotage et de suivi, ainsi que la création d’un observatoire des fins de carrières professionnelles pour mieux connaitre les mécanismes de transition emploi-retraite.
Le contrat de génération, désormais, opérationnel doit permettre de poursuivre la dynamique impulsée par les plans et accords « seniors », tant en remédiant aux carences constatées. En effet, les nouveaux plans et accords devront être déposés avant le 30 septembre 2013 et viendront prolonger la démarche engagée en 2009.
Des dispositions issues de l’ANI du 11 janvier 2013 et de la loi de transposition doivent aussi contribuer à permettre aux seniors de mieux anticiper les ruptures dans leur carrière professionnelle ou d’être accompagnés s’ils cherchent à se reconvertir. Il s’agit du recours au conseil en évolution professionnelle et de la mise en place du compte personnel de formation. Le rapport suggère que cette question devrait être discutée d’une manière spécifique lors de la négociation à venir sur la réforme de la formation professionnelle.
S’agissant de l’aménagement des fins de carrières, le rapport déconseille de réactiver des préretraites du fait de leur coût et du fait que cela va à l’encontre des objectifs de maintien au travail.
Il propose de faire mieux connaitre les dispositifs de temps partiel avec possibilité de surcotiser pleinement pour la retraite en faisant sauter la limite des 4 trimestres maximum, de permettre une utilisation du compte épargne temps et de mobiliser des congés déjà existants : congé de soutien familial, temps partiel pour raisons familiales et personnelles..
Favoriser le retour dans l’emploi des chômeurs âgés
Deux pistes sont évoquées : faire en sorte que dans les publics prioritaires les seniors bénéficient d’un accompagnement suffisant, changer les conditions d’indemnisation des chômeurs âgés en les rendant moins « désincitatif » au prolongement de l’activité. Le rapport met en cause la durée d’indemnisation et la validation « gratuite » de 5 années de chômage non indemnisé au titre des retraites. Cela devrait se faire dans la future négociation UNEDIC prévue à l’automne.
Harmonisation les règles du cumul emploi – retraite
Il s’agirait d’unifier les situations des salariés qui cotisent dans un nouveau régime et ceux qui poursuivent une activité dans le champ de leur ancien régime et qui sont défavorisés. Cela suppose que l’ensemble des pensions de retraite légalement obligatoires soient liquidées par l’assuré avant la reprise d’une nouvelle activité, ce qui sera compliqué constate le rapport.
Pour ceux qui n’ont pas atteint le taux plein, le cumul n’est pas libéralisé totalement et les règles de plafonnement continuent de s’appliquer. Il s’agirait de modifier à la marge ce cumul plafonné, en mettant en place une condition de taux plein minoré.
Encourager la retraite progressive
Elle est aujourd’hui d’une utilisation confidentielle (2000 en 2012). Il faudrait ouvrir le dispositif aux temps partiels aménagés sur l’année et l’ouvrir aux assurés exerçant une activité auprès de plusieurs employeurs
Améliorer les conditions de travail et mieux prendre en compte la pénibilité
Il s’agirait de s’appuyer sur un exemple aux Pays-Bas qui prévoit une obligation de reclassement à partir d’une certaine durée d’activité. L’idée est d’anticiper, dès l’embauche, les évolutions futures.
Accidents du travail et maladies professionnelles : agir en amont pour limiter la survenance de ces risques et leurs conséquences sur les salariés
Partant du constat que les salariés âgés ont moins d’accidents, mais qui entrainent des arrêts plus longs, il s’agirait de déployer des actions de prévention plus spécifiquement en direction des seniors ; le rapport préconise de s’appuyer sur des conventions d’objectifs et de gestion notamment entre la branche AT-MP / INRS / CNAV / ANACT.
Mobilisation des services de santé au travail dans les démarches de prévention de la pénibilité
Dans le cadre de la montée en charge de la réforme de la médecine du travail, il serait souhaitable d’organiser une meilleure coopération entre les acteurs. On pourrait introduire une action sur la prévention de la pénibilité dans les contrats pluriannuels entre service de santé, DIRECCTE et CARSAT.
L’ensemble des médecins y compris les médecins traitants, devraient avoir accès au dossier médical du salarié.
Réflexion sur une nouvelle prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique
Il s’agirait d’abandonner le classement d’emplois en « catégorie active » pour mieux prendre en compte la réalité de la pénibilité dans les emplois « en réfléchissant à la nature des avantages accordés ». Le rapport ne se prononce pas sur les contours de ce nouveau système, mais il laisse entendre que ceux acquis précédemment posent question.
Limitation et prise en compte tout au long de la carrière des expositions aux facteurs de pénibilité
Le rapport constate que le système mis en place sur la compensation de la pénibilité est inadéquat et ne fonctionne pas (4000 personnes éligibles en 2012) et s’interroge sur la manière de le faire évoluer, tant du point de vue de la prévention que de la compensation.
Il privilégie l’approfondissement des actions préventives, mais propose également un compte individuel pénibilité.
Il serait ouvert à toute personne qui a été exposée à au moins un facteur de risques prévu par le code du travail dans l’arrêté du 30 mars 2011. Il ouvrirait au salarié des droits proportionnels à l’exposition aux risques qui seraient « portables » tout au long de la carrière. Trois objectifs sont visés :
- Contribuer à la gestion des parcours professionnels pour éviter qu’un même travailleur poursuive activité pénible qui finisse par dégrader sa santé
- Aider à la gestion des fins de carrière et au maintien en emploi des seniors exposés à la pénibilité
- Permettre de partir plus tôt à la retraite dans le respect de l’âge légal.
Le salarié acquerrait des points lui ouvrant droit soit à des formations rémunérées pour se réorienter, soit à un temps partiel avec compensation de la rémunération, soit au rachat de trimestres de cotisations de retraite.
Il faudrait organiser une « portabilité » de ces droits pour qu’ils suivent le salarié en cas de changement d’entreprise. Le compte serait crédité en fonction des situations décrites sur la fiche de prévention et son financement mutualisé.
Le droit de tirage serait organisé de manière à favoriser le recours à la formation, puis le temps partiel, enfin la validation des trimestres.
Les travaux du rapport font apparaitre que 25 % des travailleurs pourraient être concernés sur l’ensemble de la population active, ce qui générerait un coût de 2.1 milliards répartis entre 1.2 M au titre de la formation, 0.7 M au titre du temps partiel et 0.2 M au titre des trimestres de retraite.
Il faudrait mettre en place le système progressivement et ne viser que les salariés qui débutent leur carrière aujourd’hui. Pour les autres on pourrait envisager un dispositif transitoire qui permette de compenser « autant que faire se peut » certaines expositions passées à des facteurs de pénibilité.
Deux expositions pourraient être visées prioritairement, le travail de nuit et les agents cancérigènes, pour lesquels les effets sur l’espérance de vie sont avérés.