Annoncé par le Premier ministre le mercredi 27 août, le système français des retraites va être à nouveau réformé. Plusieurs mesures sont prévues notamment l’augmentation de la durée de cotisation à partir de 2020. Pour justifier cette mesure le gouvernement met en avant plusieurs arguments notamment l’espérance de vie qui va continuer d’augmenter. Fort opportunément, une étude[1] récente de la Drees[2] apporte plusieurs éclairages au sujet de cette question de l’espérance de vie.
En effet, à partir des données relatives à la génération de 1942, la Drees montre que pour cette génération l’espérance de vie à 55 ans est de 26,4 années pour les hommes et de 32,8 pour les femmes, mais ajoute que « la France se singularise parmi les pays européens par des inégalités sociales de mortalité prononcées, surtout parmi les hommes ». Elle montre ainsi que parmi cette génération, ce sont les anciens cadres qui vivent le plus longtemps, avec une espérance de vie à 55 ans de 28,6 années (34,4 années pour les femmes), alors que les anciens ouvriers ont une espérance de vie à ce même âge plus faible (25,3 années ; 32,1 années pour les femmes).
Une fois à la retraite, à durée validée équivalente, cadres et ouvriers ne sont pas non plus logés à la même enseigne et les disparités sociales sont de l’ordre de 3 ans pour les hommes ayant validé au moins 40 annuités. En revanche, pour les carrières masculines de 40 annuités ou plus, les différences sont légèrement moins marquées en termes d’espérance de durée passée en retraite. Les hommes anciens cadres peuvent en effet espérer passer 22,9 années en retraite et les anciens ouvriers 20,3 années, bien que les premiers prennent leur retraite un peu plus tard en moyenne que les seconds.
La Drees indique ensuite que l’âge d’entrée dans la vie active est un facteur qui vient impacter l’espérance de vie. Ainsi que l’étude le montre, les hommes anciens cadres ayant validé des droits à retraite avant 16 ans ont une espérance de vie à 55 ans de près de 2 ans (un an pour les femmes) inférieure à celle d’un ancien cadre ayant commencé une activité professionnelle entre 22 et 24 ans.
S’agissant des hommes qui ont commencé à travailler tardivement (à 25 ans ou plus), contrairement à ce qu’on pouvait croire, ils ont généralement des espérances de durée de retraite plus faibles que ceux qui ont commencé très tôt (avant 18 ans), et ce quelle que soit la catégorie sociale, en raison du fait qu’ils liquident leur pension en moyenne nettement plus tard.
Dans le même ordre d’idées, parmi les hommes retraités ayant commencé une activité très tôt (avant 16 ans), ceux qui terminent leur carrière en étant « cadre » peuvent espérer vivre, à 55 ans, 2,6 années de plus que ceux qui terminent leur carrière comme « ouvrier ».
Par ailleurs, la Drees met en évidence une corrélation entre les carrières courtes et les espérances de vie réduites. Ainsi, pour les assurés qui n’ont pas validé une carrière complète souvent en raison de problèmes de santé ou d’incapacité s’agissant des hommes ou d’interruptions d’activité ou temps partiels liés à l’éducation des enfants concernant les femmes, l’espérance de vie moyenne à 55 ans est minorée par rapport aux autres retraités (de 1,4 an pour les hommes et de 0,6 an pour les femmes).
Pour d’autres raisons, mais tout aussi évidentes, les personnes qui ont eu des carrières très longues ont également une espérance de vie réduite, ce qui montre que « la relation entre durée validée et espérance de vie n’est pas monotone » et qu’ « au-delà de 40 annuités, la relation s’inverse et l’espérance de vie décroit avec la durée validée ». Au final, « les durées de carrière proches des durées requises pour le taux plein correspondent aux espérances de vie les plus élevées ».
Les disparités sociales d’espérance de vie étant avérées, se pose dès lors la question de leur prise en compte dans le système de retraite. Dans son rapport publié en 2001, le Conseil d’orientation des retraites relève que les dites disparités ne sont pas explicitement corrigées par le système de retraite et estime que les choses se jouent à travers des prises en compte implicites. Il en est ainsi du critère de durée de cotisation privilégié en France « dans l’objectif de tenir compte implicitement des inégalités en termes d’espérance de vie, les catégories socioprofessionnelles ayant la moins bonne espérance de vie étant souvent celles qui ont fait peu d’études et commencé jeunes leur vie professionnelle ». Différents dispositifs de retraite anticipée (invalidité, inaptitude, carrières longues, pénibilité) ou de préretraite (ACAATA) en tiennent également compte.
Dans le cadre de la réforme des retraites à venir, le gouvernement prévoit de renforcer la prise en compte de l’espérance de vie dans le système de retraite à travers la création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité.
[1] La Drees souligne que les résultats de cette étude portent sur la génération 1942, qui n’a quasiment pas été affectée par la réforme de 2003, aussi les résultats ne sont pas généralisables aux générations plus récentes.
Article publié le 3 juillet 2013 et réécrit le 5 septembre 2013.