Les contours du compte personnel de prévention de la pénibilité se précisent. M. Michel de Virville, chargé par le gouvernement de conduire la concertation sur la mise en œuvre opérationnelle de ce dispositif, a rendu publiques, le 10 juin 2014, ses préconisations.
A titre de rappel, le compte « pénibilité » est créé par la loi portant réforme des retraites du 20 janvier 2014 en faveur des salariés et personnels relevant du droit privé, qui exercent leur travail dans des conditions pénibles.
Ce dispositif consiste à ce que chaque salarié qui s’expose à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels au-delà de certains seuils, appréciés après prise en compte des mesures de protection collective et individuelle, acquiert des points qui se transforment en droits (à la formation, au passage à temps partiel, au départ anticipé à la retraite).
Après un « dialogue approfondi » avec les acteurs syndicaux et patronaux et après consultation de nombreuses branches et métiers, ainsi que d’experts et de praticiens, l’ancien directeur des ressources humaines de Renault a élaboré des pistes d’action destinées à « permettre au compte personnel de jouer le plus efficacement son rôle au service de la prévention de la pénibilité au travail et de ses conséquences », et a arrêté un certain nombre de choix qui reflètent son « meilleur jugement dans le cadre de la mission » qui lui a été confiée.
Ces préconisations devraient servir de trame aux futurs textes d’application de ce dispositif.
Seuils d’acquisition des points
Les propositions de M. de Virville sont les suivantes :
Risque professionnel | Degré/intensité de l’exposition | Durée de l’exposition |
Manutentions manuelles de charges | Deux situations seront distinguées: - Levé/porté des poids de 15kg et plus (ce seuil est abaissé à 10kg en cas de prise au sol ou au-dessus des épaules ou de déplacement en charge), - Poussé/tiré des poids de 250kg et plus
| Pour ces deux situations, alternativement ou en cumul, un temps de manutention de 600h par an.
Par ailleurs sera également prise en compte la manutention de 7,5t et plus par jour pour une durée de 120j par an.
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Postures pénibles (positions forcées des articulations) | Postures prises en compte : accroupi, à genoux, bras au-dessus des épaules, torsion du torse (plus de 30°) et torse fléchi (plus de 45°) | Pour l’ensemble de ces postures alternativement ou en cumul un temps de 900h par an.
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Vibrations mécaniques | Seront retenus comme seuils les valeurs d’action obligatoires :
| 450h par an
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Agents chimiques dangereux y compris les poussières et les fumées
| Les expositions à des substances sélectionnées au vu de leur impact sur la santé (CMR, ACD susceptibles d’effets chroniques, …)
Le critère retenu combinera le recours à une méthodologie d’évaluation du risque permettra une cotation sans mesurage, intégrant la prise en compte de l’efficacité des moyens de protection |
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Activités exercées en milieu hyperbare | 60 interventions ou travaux effectués par an à plus de 1200 hPa
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Températures extrêmes | Les températures inférieures ou égales à 5° ou supérieures ou égales à 30° | 900h par an
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Bruit | Sera retenu la valeur d’action obligatoire de 80dB (A) et 135dB (C) | 600h par an
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Travail de nuit | Horaires comprenant au moins 1 heure de travail entre 0h et 5h du matin | Cette situation devra intervenir au moins 120j par an |
Travail en équipes alternantes et travail atypique de nuit | Horaires alternants impliquant des périodes de nuit (avec la même définition que pour le facteur précédent).
Seront pris en compte non seulement les équipes, mais aussi les horaires irréguliers et atypiques de nuit. | Cette situation devra intervenir au moins 50 jours par an (sans qu’un cumul soit possible avec le facteur précédent) |
Travail répétitif (répétition des mêmes gestes à cadence contrainte imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini) | Deux seuils d’intensité seront utilisés : - un temps de cycle à 1mn ou moins - mais, afin de prendre en compte des cycles plus longs mais plus complexes, les temps de cycle de plus de 1mn qui comportent 30 actions techniques par minute en moyenne.
| Temps de travail répétitif de 900h par an
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M. de Virville rappelle que ces seuils « n’ont pas d’autre fonction que d’être des seuils au-delà desquels les salariés acquièrent des points sur leur compte personnel de prévention de la pénibilité ». Ils sont inférieurs aux valeurs limites que pose le code du travail, « mais ils sont également supérieurs aux valeurs d’exposition qui sont suffisamment significatives pour appeler de la part de l’employeur des efforts de prévention », précise-t-il.
Règles d’acquisition des points
Pour enclencher le dispositif de compte « pénibilité », il faut donc que l’exposition se situe en termes à la fois d’intensité et de temporalité à un niveau supérieur à ces seuils planchers, après prise en compte des mesures de prévention collective et individuelle.
M. de Virville propose que l’appréciation de l’exposition soit faite sur l’ensemble de l’année civile dans la situation habituelle de travail décrite forfaitairement par une moyenne annuelle. Lorsque l’intensité et la durée d’exposition dépassent le seuil annuel, le compte du salarié sera crédité de quatre points ou de huit points si plusieurs seuils d’exposition sont dépassés (poly exposition). La cotisation spécifique correspondante sera perçue sur l’assiette de droit commun du régime général du salarié exposé.
Pour les salariés dont le contrat de travail débute ou se termine en cours d’année civile, le seuil de la durée d’exposition est réduit à proportion de la durée du contrat sur cette année. Idem pour les CDD. Si l’exposition du salarié dépasse le seuil ou les seuils ainsi proratisés, chaque période travaillée de trois mois donne droit à l’acquisition d’un point (deux points en cas de poly expositions). La cotisation spécifique correspondante est toujours perçue sur l’assiette de droit commun du salarié exposé.
Le nombre de points susceptibles d’être acquis par un salarié sur l’ensemble de sa vie professionnelle sera plafonné à cents points. 10 points permettront l’acquisition d’un trimestre de retraite supplémentaire ou le financement de la compensation d’une réduction du temps de travail équivalente à un trimestre à mi-temps. Les 20 premiers points acquis ne pourront cependant être utilisés que pour le financement d’une formation (2 points permettant de financer 40h de formation). Cependant, l’employeur continue de cotiser une fois le plafond atteint, de manière à l’amener à développer la prévention.
Le dispositif de compte « pénibilité » n’étant pas rétroactif, seules les expositions qui seront consignées à compter du 1er janvier 2015 ouvriront des droits, M. de Virville recommande des aménagements en faveur des seniors. Ainsi,
- les générations âgées de plus de 59,5 ans au 1er janvier 2015, pourraient d’une part être épargnées par la réserve de points pour la formation qui ne leur serait pas applicable et d’autre part acquérir des points à un rythme doublé ;
- les générations ayant entre 55 et 59,5 ans au 1er janvier 2015, pourraient elles échapper à la réserve pour la formation ;
- quant aux générations âgées de 52 à 55 ans au 1er janvier 2015, elles verraient la réserve pour la formation s’appliquer pour un montant divisé par deux.
Circuit d’acquisition des points
La loi prévoit que chaque année, il appartient à l’employeur de transmettre à la CARSAT une copie de la fiche individuelle dans laquelle sont consignées les expositions du salarié aux risques professionnels. Sur la base des informations figurant dans cette fiche, le salarié se verra attribuer des points par cet organisme.
M. de Virville recommande que les logiciels de paye soient adaptés afin de permettre la saisie par l’employeur des expositions définies y compris l’identification des facteurs de pénibilité en cause. Ces logiciels serviront à organiser de manière automatisée le versement de la cotisation générale et, en fonction de cette déclaration, le versement de la cotisation spécifique, la transmission en fin d’année à la CARSAT des informations nécessaires pour l’ouverture ou l’incrémentation des comptes, enfin l’édition de la fiche de prévention des expositions qui sera transmise annuellement aux salariés et tenue à leur disposition et transmis aux services de santé au travail.
Compte tenu des délais nécessaires au déploiement de ce dispositif, censé être opérationnel à compter du 1er janvier 2015, les fiches de prévention pourront ne pas être formalisées avant le 1er juin 2015, anticipe M. de Virville.
Si ces recommandations devaient être reprises par le gouvernement dans le cadre des futurs décrets, elles constitueront le référentiel national interprofessionnel pour l'appréciation de l'exposition à la pénibilité.