Articulation entre accord de groupe dit "accord de compétitivité" et accords d'entreprise en concours. Cass. Soc. 8 janvier 2020

Instances repésentatives du personnel

- Auteur(e) : Sara Klack

Un accord de compétitivité ou accord dit « donnant-donnant » est un accord par lequel, en contrepartie d’engagements pris pour le groupe, les salariés acceptent de renoncer à certains avantages au niveau de l’entreprise.

La chambre sociale de la cour de cassation a rendu un arrêt le 8 janvier 2020 n°18-17.708 publié au bulletin, qui est venu donner des indications sur la méthode de comparaison entre un accord de groupe de compétitivité et un accord d’entreprise en concours.

 

Rappel :

Règles concernant l’articulation entre un accord de groupe et un accord d’entreprise en concours :

 

Accords conclus avant la loi Travail du 8 août 2016

Accords conclus après la loi Travail du 8 août 2016

Régie par aucun texte de loi : application de la règle de faveur.

 

 

= comparer les normes entre elles afin de déterminer laquelle est la plus favorable aux salariés

Article L.2253-5 du code du travail :

Lorsqu'un accord conclu dans tout ou partie d'un groupe le prévoit expressément, ses stipulations se substituent aux stipulations ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord.

L’accord de groupe prévoit que ses stipulations se substituent à celles de même objet des accords d’entreprise ou d’établissement compris dans le périmètre.

--> Il faut appliquer l’accord de groupe.

L’accord de groupe ne prévoit pas que ses stipulations se substituent à celles de même objet des accords d’entreprise.

--> Application de la règle de faveur.

 

 

Note : La chronologie de conclusion des accords conclus à différents niveaux n’a pas d’importance, ils seront en concours s’ils ont le même objet.

Note : situation de comparaison entre accord de groupe et accord d’entreprise :

Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 ont ajouté un alinéa 2 à l’article L.2232-11.

 

L.2232-11 al 2 : « Sauf disposition contraire, les termes “ convention d'entreprise ” désignent toute convention ou accord conclu soit au niveau du groupe, soit au niveau de l'entreprise, soit au niveau de l'établissement. ». Les accords d’entreprise et de groupe sont donc assimilés donc il n’y a pas de prévalence de l’un sur l’autre.

 

·         Appréciation de manière globale :

Il faut comparer ensemble d’avantages par ensemble d’avantages. Il s’agit d’une méthode thématique, en comparant ce qui est comparable. Il ne faut pas se livrer à une méthode analytique en dépeçant les avantages.

 

·         Comparaison objective :

En principe, il ne faut pas prendre en compte le sort d’un salarié en particulier, ce qui serait une comparaison subjective, mais regarder quel est l’avantage le plus favorable pour l’ensemble des salariés concernés.

 

·         Interdiction du cumul des avantages :

Il ne faut pas additionner des avantages ayant le même objet ou la même cause.

 

La jurisprudence a admis en 1997 une méthode de comparaison plus globale dans un contexte de chômage élevé : il s’agit de l’arrêt Géophysique du 19 février 1997. Dans cet arrêt, la comparaison s’est opérée entre des avantages de nature différente, avantages qui n’ont pas le même objet. Il s’agissait de diminuer le montant d’une prime prévue par un premier accord en contrepartie d’un engagement de l’employeur en matière de maintien de l’emploi inscrit dans l’accord de révision, afin d’éviter les licenciements économiques.

 

 La jurisprudence a considéré que les avantages qui étaient « équivalents » étaient globalement comparables. Dans cet arrêt, les normes en conflit étaient des accords de même niveau se succédant.

 

Arrêt du 8 janvier 2020 n°18-17.708.

 

FAITS :

En l’espèce, la société Mabeuge construction automobile, filiale industrielle du groupe Renault, a conclu 2 accords d’entreprise: le premier le 9 mai 1994, puis un accord «compétitivité, emploi et aménagement réduction du temps de travail» le 30 juin 1999 qui a été suivi de 2 avenants.

Le 13 mars 2013, la société, agissant en son nom propre et au nom de ses filiales industrielles, a conclu un accord de groupe intitulé « contrat pour une nouvelle dynamique de croissance et de développement social ». Cet accord de groupe est qualifié d’accord « donnant-donnant », c’est-à-dire qu’il prévoyait des engagements au niveau du groupe concernant le niveau d’activité global de la production en France et le maintien d’un certain niveau d’emploi, en contrepartie d’une renonciation des salariés à certains avantages. Parmi ces avantages auxquels ils renonçaient, il y avait notamment « le retour à une durée de travail hebdomadaire de 35 heures sans augmentation de salaire, la perte de la possibilité d'utiliser les jours de congé de formation capitalisés pour bénéficier d'un congé de fin de carrière et la perte du choix d'utiliser librement les heures supplémentaires capitalisées au lieu de les faire rémunérer ».

Un syndicat, souhaitant le rétablissement des deux accords d’entreprise et avenants avec effet au 13 mars 2013, a fait assigner la société ainsi que les organisations syndicales signataires de l’accord de groupe afin de voir dire cet accord du 13 mars 2013 inopposable aux syndicats et personnel de la société.

 

PROCEDURE:

La cour d’appel de Douai rend un arrêt le 30 mars 2018 déboutant le syndicat demandeur car elle estime que l’accord de groupe du 13 mars 2013 est globalement plus favorable que les accords d’entreprise des 9 mai 1994 et 30 juin 1999 ainsi que les avenants. En vertu du principe de faveur c’est donc l’accord de groupe qui a vocation à s’appliquer et elle refuse par conséquent d’ordonner le rétablissement des accords d’entreprise dont l’application a été supprimée.

Le syndicat demandeur se pourvoit donc en cassation.

 

MOYENS DU POURVOI:

Dans son second moyen, le syndicat conteste l’application par la cour d’appel de la méthode de comparaison entre l’accord de groupe et les accords d’entreprise au regard des articles L.2253-1 et L.2232-30 du code du travail.

•      Le syndicat estime que les engagements pris par la société au niveau du groupe en matière d’emploi et de niveau d’activité globale, bien que réalisés, ne constituaient pas une contrepartie véritableaux renonciations à leurs droits par les salariés comme ils auraient dû l’être dans un accord donnant-donnant.

La cour d’appel affirmait à l’inverse que l’accord de groupe du 13 mars 2013 constituait un ensemble indivisible comportant des clauses interdépendantes en considérant que la société s’était engagée à maintenir dans l'ensemble des sites industriels en France un niveau d'activité globale de production suffisant et, de ce fait, un certain niveau d'emploi en France.

•     Le syndicat argue que les clauses relatives aux engagements quantitatifs en terme de niveau d’activité et d’emploi au niveau du groupe et celles prévoyant les renonciations à certains droits conventionnels établis au niveau de l’entreprise ne pouvaient être considérées comme un ensemble indivisible et interdépendant.

À l’inverse la cour d’appel juge que dans cet accord, les parties ont entendu lier le bénéfice de certains avantages à la renonciation à d'autres en vue de maintenir l'emploi dans l'ensemble du groupe; et que le sacrifice de certains avantages apparaît comme la contrepartie de l'octroi d’autres.

•     Le syndicat affirme que « l'appréciation du caractère plus ou moins favorable de stipulations conventionnelles en concours doit se faire au niveau de la collectivité directement affectée par les renonciations conventionnelles ». L’accord de groupe prévoyait un engagement global de maintien de l’emploi et de l’activité au niveau du groupe. Or en l’espèce, les effectifs ont diminué au niveau de l’entreprise suite à la signature de l’accord de groupe. Par conséquent l’accord du 13 mars 2013 ne pouvait pas être considéré comme plus favorable.

Cependant la cour d’appel a adopté une analyse différente en considérant que la renonciation des salariés à certains avantages a eu une contrepartie réelle et effective et que les engagements pris ont permis le maintien de l’emploi, d’où elle en a déduit que l’accord de groupe était globalement plus favorable que les accords antérieurs.

 

QUESTION DE DROIT:

Faut-il appliquer un accord de groupe plutôt qu’un accord d’entreprise, si, au regard du principe de faveur, l’accord de groupe est globalement plus favorable à l’ensemble des salariés concernés en ce que le sacrifice de certains avantages apparait comme une contrepartie de l’octroi d’autres?

 

RÉPONSE DE LA CHAMBRE SOCIALE:

Oui, elle rejette le pourvoi. La cour rappelle que la comparaison entre les dispositions d’un accord de groupe et celles d’accords d’entreprise se fait par ensemble d’avantages ayant le même objet ou la même cause.

 

MOTIVATION:

Elle reprend le raisonnement de la cour d’appel en affirmant que « la renonciation des salariés à certains avantages (au niveau de l’entreprise) avait eu une contrepartie réelle et effective (…) par ses engagements en ce qui concerne le niveau d'activité global de production en France et le maintien d'un certain niveau d'emploi, engagements qui avaient été respectés. ».

Elle en déduit donc que, du fait de cette contrepartie, les dispositions de l'accord de groupe étaient globalement plus favorables à l'ensemble des salariés du groupe que celles des deux précédents accords d’entreprises et leurs avenants.

En vertu du principe de faveur, il convient donc d’appliquer l’accord de groupe du 13 mars 2013.

 

Cette solution n’est pas pour plaire aux salariés de la société en question qui se voient appliquer un accord qu’ils considèrent moins avantageux pour eux sur le plan individuel que ceux qui s’appliquaient avant la conclusion de l’accord de groupe. En effet, ils sont pénalisés au regard à leur salaire et leur temps de travail.

Cependant, la comparaison des dispositions de chaque accord doit se faire à l’égard de l’ensemble des salariés concernés et par ensemble d’avantages ayant le même objet ou la même cause : il s’agit d’une méthode semi-analytique.

Les termes employés dans l’arrêt -caractère « globalement plus favorable » - laissent penser à une méthode d’appréciation globale, entre avantages qui n’ont pas la même nature, telle que consacrée dans l’arrêt Géophysique du 19 février 1997. Les juges avaient décidé en 1997 d’appliquer le nouvel accord jugé globalement plus favorable car la diminution de la prime était compensée par l’engagement de l’employeur en terme de maintien de l’emploi.

Dans un arrêt de la chambre sociale du 3 novembre 1999, les juges avaient à nouveau confirmer Géophysique en matière d’emploi : un accord prévoyant le maintien de l’emploi est plus favorable qu’un accord ne comportant pas d’engagements en matière d’emploi.

Dans l’arrêt du 8 janvier 2020, les renonciations des salariés portent sur le temps de travail et indirectement de salaire. La cour a décidé que les engagements de l’accord de groupe en matière de maintien d’emploi étaient une contrepartie suffisante et rendaient cet accord plus favorable globalement aux salariés concernés.

 

Néanmoins, la situation diffère de l’arrêt Géophysique puisqu’il ne s’agit pas en l’espèce d’accords de même niveau se succédant dans le temps mais d’accords de niveaux différents.

Ici les juges ont admis que les clauses de renonciation aux avantages par les salariés et les clauses d’engagements de maintien de l’emploi et du niveau d’activité sont interdépendantes et indivisibles.

 

Remarque : la cour de cassation, dans sa solution, évoque le fait que la contrepartie est effective dans cette affaire et que les objectifs prévus par les engagements au niveau du groupe se sont globalement réalisés. Néanmoins ce fait ne devrait pas avoir d’importance puisque la méthode de comparaison repose sur les clauses prévues dans les accords, qu’elles se réalisent ou non.

 

Vous trouverez ci-dessous l'arrêt du 8 janvier 2020 n°18-17.708.