Le témoignage anonymisé admis comme preuve pour établir l'existence d’un risque grave

Qualité de vie au travail
Conditions du travail

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

Dans un arrêt rendu le  11 décembre 2024, la chambre sociale de la Cour de Cassation admet comme moyen de preuve les témoignages anonymisés produits en justice par un comité économique et social (CSE) pour établir l’existence d’un risque grave nécessitant le recours à une expertise.

Pour rappel :

Selon l’article L2315-94 : « Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat :  1° Lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ; […]».

L’article L2315-86 dispose que : « Sauf dans le cas prévu à l'article L. 1233-35-1, l'employeur saisit le juge judiciaire dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat de :  1° La délibération du comité social et économique décidant le recours à l'expertise s'il entend contester la nécessité de l'expertise ; […] ».   

En l’espèce, un CSE a décidé de recourir à une expertise pour risque grave. La société a saisi le président du tribunal judiciaire de demandes tendant à annuler la délibération du CSE. Au cours de l’instance, le CSE produit, entre autres éléments de preuve, de nombreuses témoignages qu’il a lui même rendus anonymes, afin de protéger leurs auteurs d’éventuelles représailles. Ces témoignages démontraient une altération des conditions de travail des chargés d'affaires s'illustrant par une surcharge de travail, des moyens professionnels défaillants et inadéquats, une pression managériale constante dans un climat de tensions. Seul le juge avait à sa disposition des informations permettant d'identifier les témoins.

Le tribunal judiciaire déclare ce mode de preuve (témoignages anonymisés) irrecevable car contraire au principe du contradictoire. Ce principe impose « de ne pas tenir compte, dans le cadre du débat judiciaire, d'une pièce non préalablement communiquée dans son intégralité à la partie adverse ». Cela étant, le tribunal retient que ce mode de preuve litigieux ne permettait pas à l’employeur « de vérifier si les témoignages présentés à l'appui de l'allégation de risque grave émanent de salariés exerçant les fonctions de chargé d'affaires, ou de salariés faisant partie de ceux à l'encontre desquels une procédure disciplinaire a été conduite ». Le CSE se pourvoit ainsi en cassation.

La Cour de Cassation censure l’argumentation du tribunal. Tout d’abord, elle rappelle que « si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l'identité est cependant connue de la partie qui produit ces témoignages, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence ». En l’espèce, la Cour constate que ces témoignages litigieux non seulement avaient été anonymisés par le CSE afin de protéger les salariés, mais aussi étaient corroborés par d’autres éléments de preuve. Les conditions posées par la Cour étant donc réunies, « il appartient au président du tribunal judiciaire, devant qui l’employeur conteste la délibération du CSE, d'examiner la valeur et la portée de ces témoignages ainsi que des autres pièces ».

Cass. soc., 11 décembre 2024, nº 23-15.154