Vers l’élaboration d’une directive européenne sur le devoir de vigilance

Organisation du travail

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

Par une résolution largement adoptée le 10 mars 2021[1] (504 voix pour, 79 contre et 112 abstentions), le Parlement européen pose les bases pour l’adoption d’une législation instaurant un devoir de vigilance pour les entreprises européennes. S’appuyant sur les propositions contenues dans le rapport adopté par la commission des affaires juridiques, il appelle la Commission européenne à présenter de façon urgente une directive d’harmonisation minimale propre au devoir de vigilance, assurant que les entreprises soient tenues responsables des effets négatifs qu’elles ont causés -ou auxquels elles ont contribué- sur les droits de l’homme, l’environnement et la bonne gouvernance. C’est désormais à la Commission européenne, qui présenterait sa proposition législative dans le courant de l’année, qu’il revient de se saisir de ces recommandations.

 

Pour rappel : 
Les Principes directeurs des Nations Unies, approuvés à l’unanimité en 2011 par le Conseil des droits de l’homme, ont fixé une norme mondiale concernant la responsabilité qui incombe aux entreprises de respecter les droits de l’homme dans toutes leurs opérations. Ils citent « la diligence raisonnable des entreprises en matière des droits de l’homme » en tant que processus de gestion continue par lequel une entreprise montre qu’elle respecte les droits de l’homme.
Le guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises se réfère à un « devoir de diligence » en tant que processus que les entreprises devraient mettre en œuvre pour identifier, prévenir, et atténuer les impacts négatifs réels et potentiels de leurs activités, de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs relations d’affaires, mais aussi pour rendre des comptes de la manière dont ces impacts sont traités.
Pour transposer ces principes de soft law, la loi n°2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a été promulguée en France le 27 mars 2017. Celle-ci s’applique aux sociétés par actions employant, en leur sein ou dans leurs filiales, au moins 5 000 salariés en France ou au moins 10 000 salariés dans le monde et crée à leur égard l’obligation d’établir un plan de vigilance, de le mettre en œuvre et de le publier. Ce plan doit identifier et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement dans toute la sphère d’influence des entreprises, leurs filiales comme leurs sous-traitants.

 

Les députés européens soulignent que les normes volontaires existantes « n’ont pas permis de progrès importants en matière de protection des droits de l’homme, de prévention des dommages pour l’environnement et d’accès à la justice ». En effet, selon une étude de la Commission conclue en 2020[2], seule une entreprise sur trois prenait des mesures de vigilance.

 

  • Devoir de vigilance en substance : respect des obligations en matière de droits de l’homme, d’environnement et de bonne gouvernance

Le futur cadre législatif introduirait l’obligation pour les entreprises d’identifier, surveiller, prévenir et remédier aux risques en matière de préjudice éventuelle ou réelle aux droits de l’homme (y compris les droits sociaux, commerciaux et des travailleurs), à l’environnement (notamment la contribution au changement climatique ou à la déforestation) et à la bonne gouvernance (la corruption etc.). Cette obligation toucherait tous les aspects de leur chaine de valeur, plus précisément toutes les opérations, relations d'affaires directes ou indirectes et chaînes d'investissement.

Pour les députés européens, il s’agirait d’un processus « continu et dynamique » reposant sur des mesures proportionnées à la probabilité et à la gravité de l'impact, au secteur d'activité, à la taille et à la longueur de la chaîne de valeur et à la taille de l'entreprise.  

 

  • Champ d’application étendu

Pour les députés européens, le champ d’application de la future législation devrait être large. Cela étant, Il couvrirait l’ensemble des grandes entreprises opérant sur le marché intérieur de l’Union européenne et toutes les petites et moyennes entreprises cotées en bourse ainsi que celles jugées à haut risque et leur chaîne d’approvisionnement. Pour identifier ces petites et moyennes entreprises à haut risque et les aider à se conformer aux exigences, une assistance technique pourrait les être fournie.  

Par ailleurs, le Parlement estime que le respect des obligations de vigilance devrait constituer une condition d’accès au marché intérieur et qu’il conviendrait de demander aux entreprises de prouver qu’elles respectent ces obligations. Plus particulièrement encore, les députés appellent la Commission à mener un examen approfondi des violations des droits de l'homme des entreprises basées au Xinjiang et exportant vers l'UE, surtout celles liées à la répression des Ouïghours. Additionnement, ils demandent la mise en place de mesures complémentaires, notamment l’interdiction de l’importation de produits fabriqués au mépris des droits humains, comme le travail forcé ou le travail des enfants.

 

  • Efficacité du futur cadre et système de sanctions

L’efficacité du futur cadre reposerait, selon les députes, sur la participation des syndicats aux niveaux sectoriel, national, européen et mondial et des représentants des travailleurs à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie de vigilance nationale.

Une législation efficace devrait également garantir l’accès des victimes aux recours juridiques permettant d’engager la responsabilité des entreprises pour le préjudice réel ou éventuel, conformément au droit national, à moins qu’elles puissent prouver qu’elles ont agi conformément aux obligations de diligence raisonnable et pris des mesures pour prévenir ce préjudice. De cette manière, les droits des victimes et des parties prenantes dans les pays tiers, qui sont particulièrement vulnérables, seraient également mieux protégés, compte tenu de la possibilité de poursuivre les entreprises en justice en vertu de la législation européenne.

 

 

Vous trouverez, ci-après, l’intégralité de la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises :

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0073_FR.html#top  

 

 

[1] Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la vigilance et la responsabilité des entreprises (2020/2129(INL)).

[2] British Institute of International and Comparative Law, Civic Consulting, Direction générale de la justice et des consommateurs (Commission européenne), LES, Study on due diligence requirements through the supply chain, January 2020.