Une répartition de la charge de la preuve partagée en matière de discrimination à l’embauche

Égalité dans le travail
Non-discrimination

- Auteur(e) : Altina POTOKU

 

 

La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 14 décembre 2022, les règles applicables en matière de répartition de la charge de la preuve lorsqu’un salarié invoque l’existence d’une discrimination à l’embauche.

 

Pour rappel :

 

En vertu de l’application des dispositions de l’article L.1134-1 du code du travail :

 

  • Dans un premier temps, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination ;
  • Dans un second temps, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
  • Il appartient ensuite au juge de former sa conviction au vu de l'ensemble de ces éléments.

 

 

En l’espèce, un salarié embauché par une entreprise de travail temporaire en qualité de pré-monteur et monteur, a effectué une succession de contrats de mission en raison de l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de ses contrats de mission en CDI, et d’une demande en paiement de dommages-intérêts au titre d’une discrimination l’embauche. La Cour d’appel a retenu une discrimination à l’embauche à l’encontre du salarié par l’employeur. L’employeur contestant la décision des juges de fond, se pourvoit en cassation.

Le salarié a fourni une pièce comportant une analyse statistique des embauches effectuées par la société utilisatrice en fonction du patronyme des salariés, afin de prouver l’existence « d’une discrimination en raison de la race ou de l’origine ». Cependant, les juges de fond rappellent qu’il revenait à l’employeur de démontrer qu’il a écarté le recrutement du salarié pour une raison liée à son âge et non pas en raison de ses origines.  Elle retient également que les statistiques fondées sur le patronyme des salariés étaient de nature à laisser supposer une discrimination à l'embauche en raison de l'origine à l'encontre du salarié.

Les juges de cassation rejettent le pourvoi formé par l’employeur. Tout d’abord, la Cour confirme l’interprétation de la Cour d’appel, qui avait constaté que le salarié estimait avoir fait l'objet d'une discrimination à l'embauche en raison de son nom à consonance extra-européenne.

Ensuite les juges de cassation se basent sur les éléments apportés par le salarié, et plus particulièrement sur les statistiques établies par ce dernier, à partir des registres du personnel et de l'organigramme de l'entreprise utilisatrice pour former sa conviction.  Lesdits registres mettent en avant que, parmi les salariés à patronyme européen recrutés en intérim, 18.07 % s’étaient vus accorder un CDI, contre 6.9 % pour les salariés à patronyme extra-européen, ou encore, 80.93% des salariés à patronyme européen étaient en CDI dans l’entreprise utilisatrice, pour seulement 21.43 % des salariés à patronyme extra-européen.

Et enfin, les Hauts magistrats en déduisent que l’employeur n’apportait pas des éléments suffisamment convaincants afin de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il en ressort de cette décision commentée que finalement, la production des analyses statistiques par la victime faites à partir du registre unique du personnel communiqué par l'employeur, a réussi à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit du juge et le convaincre de l’existence d’une discrimination à l’embauche par l’employeur. 

Autrement dit, la répartition de la charge de la preuve en matière de discrimination à l’embauche demeure partagée, entre une part le salarié qui doit présenter des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, et d’autre part l’employeur qui doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination".

 

Cour de cassation, 14 décembre 2022, pourvoi n°21-19.628