Travailleurs des plateformes : les sénateurs appellent à une structuration du dialogue social plus poussée

Instances repésentatives du personnel

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

Au lendemain de l’adoption en première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi ratifiant l’ordonnance sur la représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes le 28 septembre, la mission d’information du Sénat sur « l’Uberisation de la société » a rendu public son rapport final. Créée à l’initiative du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) en vue d’étudier les bouleversements provoqués par l'économie de plateforme, ladite mission plaide, à travers ses 18 recommandations, pour un renforcement du dialogue social, un management plus encadré et une intelligibilité plus accrue des algorithmes, et une amélioration des conditions de travail.

  • Favoriser un dialogue social équilibré

Le rapport d’information rappelle les mesures adoptées par le gouvernement via l’ordonnance du 21 avril afin de poser un premier cadre du dialogue social entre les plateformes de mobilité et leurs travailleurs : fixation des modalités de désignation des représentants de ces derniers ; encadrement de la rupture du contrat commercial liant ces représentants à une plateforme ; création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) chargée d’organiser l'élection nationale permettant aux travailleurs indépendants de désigner les organisations qui les représenteront. 

Or, ce cadre de dialogue social « demeure incomplet », pointe la mission sénatoriale. Elle insiste donc sur la nécessite pour le gouvernement de fixer le contenu de la future négociation entre les représentants syndicaux et patronaux des plateformes de chauffeurs livreurs, notamment la question de la tarification minimale des prestations et de la rémunération des travailleurs. De cette manière, elle souhaiterait voir consacrer dans la loi le principe d’une rémunération minimale à la tâche des travailleurs et en renvoyer la négociation au dialogue social. Importante en ce sens est, en sus des accords de secteur, la négociation d’accords de plateformes, qui ne pourraient primer sur les premiers que lorsqu’ils seraient plus favorables aux travailleurs.

A titre accessoire, la mission questionne la tutelle des ministères chargés du travail et des transports sur l’ARPE en estimant que ces missions auraient été mieux assurées par une autorité entièrement indépendante.

Le rapport invite également le gouvernement à obtenir l’exemption de l’application des dispositions du droit européen de la concurrence pour les négociations collectives menées entre les plateformes et leurs travailleurs, dans le cadre de la prochaine présidence française du Conseil de l’Union européenne.

  • Améliorer les conditions de travail et prévenir les risques professionnels

L’autre grand volet des recommandations concerne l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes. Dans la droite ligne des préconisations émises par le Parlement européen, le rapport appelle à garantir le droit à la déconnexion à tous les travailleurs des plateformes, à étendre à ceux d’entre eux exposés à des risques professionnels manifestes les garanties dont bénéficient les salariés en matière de sécurité au travail ainsi qu'à étendre les compétences de l’inspection du travail au contrôle du respect des nouvelles obligations des plateformes en matière de sécurité au travail.

  • Faire les algorithmes un objet de négociation collective

Les rapporteurs attirent l’attention sur le fait que la protection permise par le secret des affaires tend à réduire les efforts de transparence des algorithmes et d’explicabilité des décisions prises par traitements automatisés de données. Or, « la garantie de l’intelligibilité des algorithmes pour les travailleurs et leurs représentants est une première étape indispensable pour faire du contenu de l’algorithme un véritable objet de négociation ».

C’est pourquoi le rapport préconise de garantir aux représentants des travailleurs des plateformes un droit de se faire communiquer sur demande un document compréhensible et actualisé détaillant les logiques de fonctionnement des algorithmes ou encore de compléter les missions de ARPE afin qu’elle puisse les épauler dans les discussions et négociations relatives au fonctionnement des algorithmes et à leurs conséquences pour les travailleurs. Dans ce cadre, suggère le rapport, ces représentants pourraient être soumis aux obligations de confidentialité et de discrétion professionnelle qui incombent aux représentants du personnel des entreprises.

  • Reconnaître le rôle du management algorithmique dans la détermination des conditions de travail et de rémunération des travailleurs

La mission d’information se voit convaincue que le management algorithmique contribue à déterminer les conditions de travail et de rémunération des travailleurs, bien au-delà du rôle de simple intermédiaire et de mise en relation entre offre et demande. Plus précisément, « les algorithmes de tarification, les mécanismes d’incitation et les systèmes de notation ont des effets directs sur le comportement des travailleurs des plateformes, modifiant leur organisation et leur temps de travail, ne leur permettant pas d’avoir de la visibilité sur leurs revenus, ni sur leur projet professionnel », constatent les rapporteurs.

Pour répondre à cet enjeu, le rapport engage une réflexion sur la définition d’une chaîne de responsabilité humaine et transparente pour la société civile, des intervenants dans la conception des algorithmes ainsi que leur soumission aux réglementations du Code du travail. Plus drastiquement encore, il propose d’imposer aux plateformes l’effacement, à intervalles réguliers, de l’historique des notes attribuées par les clients aux travailleurs qui les utilisent.

Vous trouverez ici l’intégralité du rapport d’information « Uberisation de la société : quel impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi ? », 29 septembre 2021.