Travail de nuit : quels effets sur la santé des travailleurs?

Conditions du travail

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Saisie par la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a conduit une expertise tendant à évaluer " les risques sanitaires pour les professionnels exposés à des horaires de travail atypiques, notamment de nuit". En effet, dans un contexte où le nombre de salariés travaillant la nuit a presque doublé en vingt ans et avoisinerait aujourd'hui les 3,5 millions de personnes soit 15,4% des salariés, le syndicat a souhaité avoir des éléments d'éclairage et des recommandations sur cette forme de travail et ses effets sur la santé des travailleurs.

La législation du travail française définit le travail de nuit comme "tout travail entre 21 heures et 6 heures" et définit le travailleur de nuit comme tout travailleur qui accomplit une fraction de son temps de travail entre 21 heures et 6 heures : soit au moins 3 heures deux fois par semaine, soit au moins 270 heures sur 12 mois consécutifs. D'après l'ANSES, la tendance est à une progression du nombre de salariés travaillant la nuit, en particulier en ce qui concerne les femmes. Les familles professionnelles les plus concernées par cette forme de travail sont les conducteurs de véhicules, les policiers et militaires, les infirmières, les aides-soignantes et les ouvriers qualifiés des industries de transformation et/ou d'assemblage. 

Des effets sanitaires avérés, probables et possibles

Au terme de l'évaluation conduite, l'ANSES estime comme étant avéré l'effet du travail de nuit sur la qualité de sommeil et la réduction du temps de sommeil, sur la somnolence ainsi que sur la survenue du syndrome métabolique¹. L'Agence juge les éléments de preuve issus des études épidémiologiques suffisants concernant ces dimensions pour conclure à l'existence d'un effet sur la santé des travailleurs. En revanche, en raison du caractère limité des éléments de preuve existants, l'ANSES estime probable l'effet du travail de nuit sur les performances cognitives, sur la santé psychique, sur l'obésité et le surpoids, sur le diabète de type 2 et et les maladies coronariennes (ischémie coronaire et infarctus du myocarde). Quant aux effets sur les dyslipidémies (concentrations trop élevées de certains lipides dans le sang), l’hypertension artérielle et les accidents vasculaires cérébraux ischémiques, ils sont jugés possibles.

S'agissant plus spécifiquement du cancer, l’agence conclut à un effet probable du travail de nuit sur le risque de cancer. Il existe notamment des éléments en faveur d’un excès de risque de cancer du sein associé au travail de nuit qui serait dû aux perturbations des cycles biologiques. L’expertise souligne l’existence de mécanismes physiopathologiques qui peuvent expliquer les effets cancérogènes liés aux perturbations des rythmes biologiques.

Le travail de l’Agence montre également que la fréquence et la gravité des accidents survenant lors du travail de nuit sont généralement augmentées.

Des facteurs modulateurs

Toutefois, L'Agence souligne que les effets du travail de nuit sur la santé des salariés qui y sont soumis ne sont pas univoques et systématiques. Ils dépendent en effet d’un ensemble de facteurs issus des caractéristiques individuelles (chronotype), sociales et familiales (possibilité d’organiser sa vie sociale et familiale) des salariés, et des caractéristiques du travail et de la situation de travail.

Ces multiples facteurs peuvent diminuer ou amplifier les effets du travail de nuit sur la santé des salariés.

Les recommandations de l’Agence

L’Agence rappelle tout d’abord le principe premier de suppression des dangers auxquels sont exposés les travailleurs, dans le cadre des principes généraux de prévention des risques posés par le code du travail.

Au vu des résultats de son expertise, l’Agence estime que le recours au travail de nuit peut se justifier pour des situations nécessitant d’assurer les services d’utilité sociale ou la continuité de l’activité économique (hôpitaux, services d’utilité publique, etc.).

L’Agence préconise l’optimisation des modes d’organisation du travail de nuit, afin d’en minimiser les impacts sur la vie professionnelle et personnelle. En particulier, tout ce qui réduit la désynchronisation et la dette de sommeil est a priori favorable, mais des recommandations organisationnelles précises, qui ne font pas toutes, à ce jour, l’objet d’un consensus scientifique, doivent être étudiées collectivement dans les instances de dialogue social appropriées.

L’Agence recommande également de réaliser un état des lieux des pratiques de terrain visant à protéger la santé des travailleurs de nuit (durée maximale quotidienne de travail, temps de pause, repos quotidien minimal, repos compensateur ou encore suivi médical,…).

Par ailleurs, le cadre réglementaire en vigueur devrait être adapté à la protection de la santé des travailleurs de nuit, et le cas échéant, évoluer, en considérant la dimension européenne. L’Agence souligne que la continuité de l’activité économique n’est pas définie à ce jour dans la réglementation.

Enfin, l’Anses préconise d’évaluer l’impact sanitaire des effets du travail de nuit (nombre de cas pour chaque pathologie potentielle dans la population des travailleurs), et d’évaluer les coûts sociaux associés au recours au travail de nuit (arrêts de travail, maladie professionnelle, absentéisme, etc.) au regard des bénéfices potentiels.

¹ Il existe plusieurs définitions du syndrome métabolique. Une des plus récentes (2005) définit ce syndrome comme la présence simultanée d’au moins 3 critères sur 5 paramètres biologiques et cliniques liés au tour de taille, à la pression artérielle, à la triglycéridémie, à la cholestérolémie et à la glycémie.