Seniors tuteurs: comment faire mieux?

Publics prioritaires

- Auteur(e) : Tiphaine GARAT

Présentation du rapport Bertrand Masingue au Secrétaire d'Etat chargé de l'emploi (mars 2009)

Bernard Masingue, directeur de formation chez Veolia environnement, a remis, le 17 mars 2009, à Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'Emploi, son rapport sur le développement du tutorat dans l'entreprise. Rappelons que cette mission lui avait été confiée dans le cadre du plan gouvernemental pour l'emploi des seniors présenté en juin dernier.

Lors de la remise de ce rapport, Laurent Wauquiez a affirmé qu'il souhaitait « doubler le nombre de tuteurs seniors d'ici 2010 ». Il a aussi annoncé le relèvement de 50 % du plafond de remboursement par les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) des dépenses de tutorat dans le cadre de contrats de professionnalisation pour les salariés seniors. Il a encore indiqué que la possibilité d'imputer sur le plan de formation les dépenses de formation des tuteurs sera discutée dans le cadre du groupe de travail qui sera mis en place sur l'action de formation imputable. Enfin, il veut « rendre obligatoires les négociations de branche tous les trois ans sur le tutorat, dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle ».


« La pratique n’est pas suffisante à l’expérience »

Bernard Masingue émet plusieurs préconisations afin d'amplifier et d'enrichir les pratiques du tutorat, tout en précisant qu'être senior n'est pas une condition suffisante pour être tuteur, ce rôle requérant certaines qualités ainsi qu'une préparation. En effet pour être un tuteur de qualité, le senior doit construire et valider son expérience. Cette transformation passe, selon l’auteur, par un co-investissement employeur/employé s’inscrivant dans une démarche de gestion prévisionnelle.

« Amplifier et enrichir les pratiques de tutorat »

• Élargir le tutorat au-delà des seules pratiques habituelles.

Le rapport envisage quatre types de tuteurs :

- le tuteur de reproduction, « transmettant des gestes professionnels identifiables » ;

- le tuteur de professionnalisation, permettant de développer des compétences techniques et de prendre en compte « l'environnement de la tâche » (ressources disponibles, contraintes à respecter, etc.) ;

- le tuteur d'adaptation, qui permet de gérer les situations de changement (gestion de crises, implantation de nouvelles technologies, etc.) ;

- le tuteur de stratégie d'actions, qui offre un accompagnement méthodologique.

• Élargir le champ des bénéficiaires.

Les différents tutorats précités peuvent potentiellement concerner toutes les catégories d'emplois dans les entreprises (ouvriers, employés, maîtrises, cadres et cadres supérieurs), les publics mixtes (intérimaires, prestataires externes…) et des publics externes, c'est-à-dire les clients, les fournisseurs mais aussi les médias. L’auteur précise que ces tutorats s’exerceront selon des modalités qui ne seront pas les mêmes selon les publics cibles.

En donnant au tutorat une ambition externe s’ouvre une perspective sous doute prometteuse sur des emplois « pédagogiques » (aider, conseiller) et de contributeurs à la performance des emplois, pour lesquels des seniors bien préparés pourraient être d’une réelle efficacité.

• Envisager un « tutorat d'héritage », ayant pour objectif d’empêcher que la culture, les habilités et les savoir-faire d’un professionnel reconnu ne soient perdus par sa communauté de travail à cause de son départ de l’entreprise.

« Valoriser et organiser le tutorat »

Le rapport prône également une valorisation et une organisation du tutorat. Il s'agit d'identifier les freins au tutorat du côté des employeurs (par exemple coût du tutorat), des seniors (crainte de perdre un patrimoine tout à fait personnel, charge de travail supplémentaire, doute sur ses capacités personnelles) et des tutorés (absence de motivation).

Une « démarche qualité » doit ensuite être mise en place pour lever ces réticences. Cette démarche est définie par trois principes : l'organisation du tutorat en amont, l'encadrement de la pratique et la reconnaissance du tutorat.

1er principe : L'organisation du tutorat

Le rapport préconise de repérer clairement les compétences à transmettre, de s'interroger sur la pertinence du choix du tutorat, de sélectionner les tuteurs et de les former. Enfin, les objectifs du tutorat et les conséquences de la mission du tuteur sur l’organisation du travail doivent être précisés. L’auteur encourage la formalisation de ces objectifs dans une « lettre de mission de tuteur » ou dans des « chartes du tutorat ».

2eme principe : l'encadrement de la pratique du tutorat

Le rapport évoque l'importance de contractualiser cette activité par une lettre de mission précisant les attentes et les contours exacts de la mission et structurant sa mise en œuvre (objectifs, moyens mis à disposition, durée, responsabilités respectives, temps disponibles). Ainsi le temps tutoral et sa reconnaissance sont un enjeu important pour la qualité des missions des tuteurs. Des points réguliers entre les acteurs concernés, dont la hiérarchie, sont enfin indispensables (par exemple à mi-parcours).

 

3eme principe : reconnaître le tutorat

Cette reconnaissance des tuteurs peut être symbolique (port de signes distinctifs), professionnelle (prise en compte dans l’évaluation et la progression des salariés), ou financière (octroi d’une rémunération supplémentaire).

« Développer un cadre institutionnel favorisant »

Le rapport prône l'institution d'un véritable titre de tuteur. La reconnaissance des tuteurs est nécessaire pour pouvoir les distinguer et les valoriser, mais aussi pour faciliter et structurer les éventuelles politiques publiques en leur faveur. Il s'agit d'une part de donner le nom générique de « tuteur » à tous ceux qui exercent une mission de tutorat, et de reconnaître d'autre part par la négociation au niveau interprofessionnel une qualification de tuteur sanctionnant des pratiques réussies. Cette reconnaissance permettrait de rendre imputables les coûts de cette démarche sur le plan de formation.

D’autre part, le rapport propose de faciliter le tutorat des retraités dans certains cas. Par exemple à des moments critiques ou très problématiques, les entreprises peuvent avoir besoin d’anciens salariés partis à la retraite pour y exercer ponctuellement des activités tutorales. Pour ces personnes, le recours au cumul emploi-retraite pourrait être envisagé et les coûts des formations nécessaires à l'actualisation de leur qualification tutorale relever alors du plan de formation.

Enfin le rapport souhaite renforcer les possibilités et la pertinence des financements.

Bernard Masingue propose de réfléchir à des mécanismes incitatifs. Il s'agit notamment d'assimiler la formation des seniors tuteurs à celle de l'alternance et de la professionnalisation, et donc de la faire relever du taux de participation des employeurs à leur financement de 0,5 %. En outre, les modalités de remboursement de la formation des tuteurs pourraient être liées au respect des cahiers des charges élaborés par les branches ou les territoires. Il est également proposé de prendre en compte les temps passés par le tuteur à sa mission par un mécanisme de forfait au bénéfice de l'entreprise (sur le modèle du forfait des contrats de professionnalisation), mais au prorata des temps passés, sous condition d'une contractualisation des temps de la mission tutorale par la lettre de mission. Ce forfait pourrait être majoré de 50 % pour les plus de 50 ans.

« Aujourd’hui, le plafond est de 230 euros par mois sur six mois. S’il passe à 354 euros par mois, cela représente environ un tiers du Smic net. Ce serait une avancée importante », selon M. Wauquiez.

Soulignant qu’un senior de plus de 55 ans sur trois travaille en France contre deux sur trois en Suède, M.Wauquiez a jugé que « le tutorat est en point de levier qui peut faire changer les choses » en faveur de l’emploi des seniors et a souhaité que « les partenaires sociaux s’en saisissent ».