Salaires minima hiérarchiques : le Conseil d’Etat précise les pouvoirs des branches en la matière

Conditions du travail
Syndicats

- Auteur(e) : Ali-Mehdi Oucherif et Evdokia Maria Liakopoulou

Dans une décision emblématique du 7 octobre 2021, le Conseil d’Etat se consacre aux règles de négociation portant sur les salaires minima hiérarchiques (SMH) qui constituent le premier des treize domaines fixés par l’ordonnance du 22 septembre 2017 pour lesquels l’accord de branche prévaut sur l’accord d’entreprise, sauf lorsque ce dernier « assure des garanties au moins équivalentes » .

En l’espèce, quatre organisations syndicales, la CFTC CSFV, la FS CFDT, la FGTA-FO, la CFE-CGC AGRO et une organisation professionnelle d’employeurs, la FCD, ont fixé, par un avenant à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, des SMH comprenant non seulement un salaire de base, mais aussi une prime de fin d'année et une rémunération du temps de pause.

Par un arrêté, la ministre du travail a par la suite procédé à l’extension de cet avenant, en excluant du champ de cette extension certaines stipulations de l’un de ses articles prévoyant que les SMH incluent certains complements de salaire, au motif que le salaire minimum hiérarchique doit se rapporter à un salaire de base, sans les compléments de salaire. Elle a par ailleurs formulé une réserve sur l’un des articles de cet avenant relatif au salaire minimum mensuel garanti pour les cadres à temps complet.

Les organisations signataires ainsi que la Fédération CGT du commerce et des services demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté d’extension auprès du Conseil d’Etat, du fait de l’exclusion et de la réserve présentes dans celui-ci.

Une possibilité pour les branches de définir librement les minima hiérarchiques

Pour se prononcer, le Conseil d’Etat procède, premièrement, à un état des lieux des pouvoirs des branches avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2017. En se basant sur la rédaction ancienne des articles L. 2232-5-1 et L. 2253-1 du code du travail, il rappelle « qu’il revenait à la branche, par voie d’accord collectif s’imposant à tout accord d’entreprise, de fixer un salaire minimum conventionnel pour chaque niveau hiérarchique de la grille de classification des emplois prévue par la convention collective, auquel la rémunération effectivement perçue par les salariés de la branche ne pouvait être inférieure ». Cela étant, « les conventions de branche pouvaient déterminer, d’une part, le montant de ce salaire minimum conventionnel, et, d’autre part, les éléments de rémunération à prendre en compte pour s’assurer que la rémunération effective des salariés atteigne au moins le niveau du salaire minimum conventionnel correspondant à leur niveau hiérarchique ».

Le Conseil d’Etat fait le point, ensuite, sur les nouvelles règles issues de l’ordonnance de 2017. Il constate que ni l’ordonnance du 22 septembre 2017, ni ses travaux préparatoires ne définissent et éclairent la notion de SMH. En conséquence, il en déduit qu’il revient toujours à la convention de branche :

-« d’une part, de définir les salaires minima hiérarchiques et, le cas échéant à ce titre de prévoir qu’ils valent soit pour les seuls salaires de base des salariés, soit pour leurs rémunérations effectives résultant de leur salaires de base et de certains compléments de salaire ;

-d’autre part, d’en fixer le montant par niveau hiérarchique ».

Une possibilité qui n’entrave pas la négociation d’entreprise

En nuançant son raisonnement, le Conseil d’Etat rappelle que « si l’accord de branche peut prévoir l’existence de primes et leur montant, l’accord d’entreprise prévaut toutefois en la matière, sauf pour les primes pour travaux dangereux ou insalubres lorsque l’accord de branche le stipule » (comme le précise l’ordonnance de 2017).

C’est ainsi que la possibilité pour la convention de branche de prévoir que les SMH incluent, outre les salaires de base, les compléments de salaire qu’elle identifie, « ne fait pas obstacle à ce que le montant de ces minima soit atteint dans une entreprise par des modalités de rémunération différentes de celles qu’elle mentionne, un accord d’entreprise pouvant réduire ou supprimer les compléments de salaire qu’elle mentionne au titre de ces minima ». Toutefois, le Conseil d’Etat juge que cette dernière faculté des entreprises de réduire ou supprimer les compléments de salaire conventionnels est soumise à la condition de verser aux salariés une rémunération effective au moins égale au montant des SMH fixé par la branche.

Le Conseil d’Etat annule ainsi l'arrêté d’extension en estimant que l’exclusion et la réserve auxquelles il avait procédé sont entachées d’une erreur de droit.

Les juges de la Haute juridiction administrative adoptent en l’espèce, une conception extensive de la notion de salaire minimum hiérarchique, similaire à celle des partenaires sociaux, et rejettent l’analyse restrictive de la ministre du travail. Tout en analysant l'arrêté d’extension sous le prisme du principe de prévalence, et de son évolution vers l’ordonnance du 22 septembre 2017, cette décision du Conseil d’Etat vient combler le silence de la loi sur la notion des SMH et pousse à favoriser la comparaison des conventions applicables en la matière.

Cette décision, étant totalement cohérente avec le principe de prévalence, pourrait se voir être réaffirmée et précisée dans le futur.

 Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 07/10/2021, No 433053.