Retraite et pénibilité : quelle place pour le dossier médical en santé au travail?

Conditions du travail

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Lors de l'émission du Grand Jury RTL/LCI/LE Figaro du 31 janvier 2009, le ministre du Travail M. Xavier Darcos a déclaré, concernant la pénibilité et son impact sur l'espérance de vie de certaines catégories de salariés, souhaiter "d'abord prévenir" et "ne pas reconstituer les régimes spéciaux" mais "traiter au cas par cas". Pour le ministre " Si vous obtenez une traçabilité, comme un carnet de santé professionnel, si vous pouvez avoir un faisceau de critères, vous aurez ensuite évidemment une commission spécialisée à caractère médical qui pourra dire oui ou non si le métier que vous avez exercé vous permet de bénéficier de départ prématuré ou de récupération de trimestres". 

Dans le débat actuel sur l'avenir des régimes de retraites, parmi les questions complexes auxquelles il faudra apporter des réponses, il y a le problème de la pénibilité au travail. Le ministre du Travail, M. Darcos, a évoqué dans son entretien, comme levier d'action en la matière, le carnet de santé professionnel qui permettrait en assurant une traçabilité des expositions aux différents risques professionnels, une meilleure évaluation de la santé des salariés et des réponses adaptées en conséquence (départ prématuré ou récupération de trimestres par exemple).

Le carnet de santé professionnelle ou ce qu'on appelle le Dossier Médical en Santé au Travail¹ (DMST), de quoi s'agit-il?

Il s'agit d'un recueil d'informations socio-administratives, médicales et professionnelles, formalisées et actualisées, nécessaires aux actions de prévention individuelle et collective en santé au travail, enregistrées, dans le respect du secret professionnel, pour tout travailleur exerçant une activité, à quelque titre que ce soit, dans une entreprise ou un oganisme, quel que soit le secteur d'activité. Le DMST est individuel, il est tenu par le médecin du travail. Il peut être alimenté et consulté par les personnels infirmiers du travail collaborateurs du médecin du travail, sous la responsabilité et avec l’accord du médecin du travail, dans le respect du secret professionnel et dans la limite de ce qui est strictement nécessaire à l’exercice de leur mission.

Ce dispositif est destiné à :

  •  aider le médecin du travail à apprécier le lien entre l’état de santé du travailleur d’une part et le poste et les conditions de travail d’autre part, à proposer des mesures de prévention, à faire des propositions en termes d’amélioration ou d’aménagement du poste ou des conditions de travail et de maintien ou non dans l’emploi ;
  •  participer à la traçabilité des expositions professionnelles, des informations et conseils de prévention professionnels délivrés au travailleur, des propositions en termes d’amélioration ou d’aménagement du poste ou des conditions de travail et de maintien ou non dans l’emploi.

La constitution d'un dossier médical de santé au travail (DMST) pour chaque travailleur est prévu par l'article D.4624-46 " Au moment de la visite d'embauche, le médecin du travail constitue un dossier médical qu'il ne peut communiquer qu'au médecin inspecteur du travail, ou, à la demande de l'intéressé, au médecin de son choix. Ce dossier est complété après chaque examen médical ultérieur.

Le modèle du dossier médical, la durée et les conditions de sa conservation sont fixés par arrêté du ministre chargé du travail". Néanmoins, selon la Haute Autorité de Santé² :

  • la réglementation existante ne permet pas de répondre de manière précise et pragmatique à la question du contenu du dossier et ne peut pas constituer à elle seule un outil de travail;
  • la réglementation ne fait que très peu de place au renseignement des risques professionnels. Or, la traçabilité des expositions est insuffisante, de même que la traçabilité des conseils et actions de prévention dispensés par le médecin du travail;
  • les DMST sont remplis de manière hétérogène d'un médecin à l'autre.

Pour améliorer le contenu du DMST, la Haute Autorité de Santé a formulé plusieurs recommandations, notamment :

- la description dans le DMST des activités ou tâches effectuées permettant d'identifier les risques;

- la spécification dans ce même dossier des risques identifiés: nature des nuisances, périodes d'exposition, fréquence et niveaux d'exposition, dates et résultats des contrôles des expositions aux postes de travail;

- la mise en évidence des principales mesures de prévention collectives et individuelles;

- l'inscription dans le dossier des antécédents médicaux personnels en lien avec un accident de travail, une maladie professionnelle ou une maladie à caractère professionnel.

S'agissant de la traçabilité des expositions professionnelles, en octobre 2008, le rapport³ de Daniel Lejeune de l’Inspection des affaires sociales (Igas) préconisait un certain nombre de mesures, notamment : 

- mettre en place un "suivi médical post exposition tout au long de la vie" pour les travailleurs ayant été exposés aux agents et procédés concérogènes, mutagènes ou reprotoxiques;

- étudier la faisabilité d'un "bilan à 50 ans" ou d'un "bilan de sortie de l'entreprise";

- améliorer l'accès du salarié aux données, notamment d'exposition professionnelle, le concernant, dans des conditions pérennes de confidentialité;

- créer un environnement plus favorable à la traçabilité des expositions professionnelles notamment en développant la recherche appliquée et en encourageant les expérimentations

Ces recommandations ont trouvé un premier écho dans la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, dont l'article 39 prévoit un dispositif  " visant à assurer un meilleur suivi des salariés aux expositions professionnelles des substances classées cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction de catégories 1 et 2 (CMR 1 et CMR 2) sera expérimenté en concertation avec les partenaires sociaux dans des secteurs professionnels ou zones géographiques déterminés. Cette expérimentation, dont le bilan devra être fait avant le 1er janvier 2012, a pour objet de permettre à l'Etat et aux partenaires sociaux de définir des modalités de généralisation d'un dispositif confidentiel de traçabilité des expositions professionnelles. Ce dispositif devra être généralisé avant le 1er janvier 2013 ".

 

 

Ce même texte prévoit également que "les fiches de données de sécurité seront perfectionnées et le suivi de l'exposition aux substances préoccupantes en milieu professionnel sera renforcé par une concertation entre les partenaires sociaux, avec la contribution des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et des médecins du travail".

 

 

 

 

 

 

Sources :

 

¹ A distinguer du Dossier Médical Personnel (DMP), institué par la loi n°2004-810 du 13 août 2004, il avait pour but de favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins.

² Voir Dossier Médical en Santé au Travail, Recommandations de la Haute Autorité de Santé - Janvier 2009.

³ La traçabilité des expositions professionnelles, Rapport établi par M. Daniel LEJEUNE - Octobre 2008