Réfome des retraites : les enseignements des expériences étrangères.

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- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Pour alimenter le débat en cours sur l'avenir des retraites, le député M. Arnaud Robinet a rendu, dans le cadre de la mission d'information sur le financement des retraites dans les Etats européens*, le 2 juin dernier, son rapport sur "le financement des retraites dans les Etats européens". Ce rapport comporte une présentation synthétique des différents systèmes en vigueur dans l'Union européenne et des réformes qu'ils connaissent, complétée par une étude plus détaillée consacrée à trois Etats qui ont fait l'objet d'auditions spécifiques ou de déplacement de la mission.

Les traits caractéristiques des différents systèmes de retraite européens :

Le rapport commence par rappeler que les systèmes de retraite européens reposent sur trois piliers "dont la place et le rôle varient assez considérablement suivant les Etats, leur définition même présentant des nuances suivant l'utilisateur".

Le premier pilier regroupe les régimes relevant de l'assurance sociale obligatoire, les régimes dits "de base" ou publics, versant des prestations soit forfaitaires (rarement) soit contributives c'est-à-dire proportionnelles, jusqu'à un certain point du moins, à la contribution. Ainsi, dans des pays comme la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie mais aussi la Suède, la pension de base représente en moyenne plus de 80% du montant total de la retraite. Alorsque dans d'autres comme les Pays-Bas, elle ne représente qu'un 1/3 de la pension ou encore le Royaume-Uni (20%).

Le deuxième pilier comprend les régimes complémentaires qui sont, le plus souvent, organisés dans un cadre professionnel et repose très souvent sur la capitalisation. Le rapport fait remarquer que dans le cadre français, les régimes complémentaires AGIRC-ARRCO présentent la particularité de ne pas être purement professionnel, d'être obligatoires et d'être gérés en répartition.

Le troisième pilier repose sur l'initiative et l'épargne retraite individuelles. Le rapporteur relève que ce pilier " est plus ou moins nécessaire, ou encouragé, en fonction de la part qu'occupent les deux piliers précédents dans le montant total de la pension". A titre d'exemple, ce pilier constitue une source importante de revenus pour les retraités britanniques (30%), alors qu'il ne représente que 4% environ de l'ensemble du système de retraite en France. 

Ensuite, le rapport met en évidence les deux modèles d'organisation du financement de la protection sociale et donc des retraites au sein des pays européens. Le premier, dit "bismarckien", du nom du chancelier allemand Otto Von Bismarck, repose sur un dispositif d'assurance sociale organisé entre les salariés suivant un principe de mutualisation solidaire. Il est lié aux droits acquis par le travail et non à la citoyenneté ou à la résidence. Plusieurs pays se sont inspirés de ce modèle né en Allemagne : la France, l'Italie, la Belgique, le Luxembourg, l'Autriche, la Suisse, l'Espagne, le Portugal et la Grèce.

Le second modèle, dit "beveridgien", en référence à l'économiste britannique William Beveridge, est quant à lui fondé sur la solidarité, indépendamment de toute activité professionnelle. Il est financé par l'impôt. Outre le Royaume-Uni, ce système prévaut aux Pays-Bas, en Irlande, et avec des nuances, dans les régimes des pays nordiques : Suède, Finlande, Danemark, Norvège et Islande.

A côté de ces deux modèles, le rapport mentionne un autre système de pension étatique qu'il qualifie de "super-beveridgien" en vigueur dans les pays du bloc de l'Est, d'Europe centrale et orientale avant son éclatement. 

Cependant, le rapport note "une évolution convergente" entre ces modèles "sous la double contrainte de l'évolution démographique et de la compatibilité de besoins de financement croissants avec le maintien de leur compétitivité dans une économie mondialisée". Cela a conduit les gouvernements à diversifier les modes de financement des retraites, ce qui s'est traduit par "la fiscalisation progressive des systèmes bismarckiens et l'élargissement de l'assiette des ressources des systèmes beveridgiens". 

A cet égard, la mission d'information s'attarde sur le choix fait par certains pays européens de recourir à la "TVA sociale" pour financer, en partie, leur système de protection sociale. Elle rappelle que "techniquement, le financement par la TVA fait porter la charge de la protection sociale sur les produits et non plus sur la production, dans le cadre plus large d'une fiscalité repensée pour lutter contre les délocalisations et pour renforcer l'outil industriel national". Parmi les pays ayant exploré cette piste, le rapport cite le Danemark, la Suisse et l'Allemgane. Bien que cette piste fait polémique en France, le rapport invite à "ne négliger aucune piste".

De surcroît, le rapport relève que d'autres pistes de réforme des régimes de retraites ont été et continuent d'être explorées :

- Augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour disposer d'une retraite complète comme en France en 1993, en Espagne ou en Belgique (45 ans);

- Relèvement des âges légaux de départ à la retraite, soit l'âge d'ouverture des droits, soit l'âge d'obtention d'une pension complète (en France, 60 et 65 ans), Italie (65 ans), Allemagne (67 ans en 2029);

- Refondation des barèmes des pensions en les rendant plus incitatifs à la prolongation de l'activité, par l'introduction de décote et de surcote;

- Faire dépendre le montant de la pension de l'espérance de vie de la génération à laquelle appartient le retraité, dans les pays ayant mis en place des "comptes notionnels" comme la Suède;

 - Restriction des possibilités de départs anticipés prévues dans les dispositifs de retraite.

Les enseignements des expériences étrangères :

La mission d'information sénatoriale s'est penchée sur les réformes menées dans trois pays européens : l'Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande. Les rédacteurs du rapport précisent que leur démarche vise à "ouvrir un questionnement enrichissant" car il est difficile de "tirer des conclusions à partir d'exemples étrangers difficilement transposables".

 

 

Le système des retraites allemand :

 

L'Allemagne a décidé de relever de façon progressive l'âge légal de départ à la retraite. Ainsi, de 2012 à 2023, pour les personnes nées de 1947 à 1958, le relèvement se fera à raison d'un mois par an, et de 2024 à 2029, le relèvement s'accélère à raison de deux mois par an, le nouvel âge de 67 ans n'étant atteint que par les personnes nées à partir de 1964. Le rapport note que cette mesure s'est accompagnée d'une réflexion sur le rôle des salariés âgés et sur leur place dans l'entreprise. Le gouvernement allemand considère que le relèvement de l'âge de départ stimulera les possibilités d'emploi des seniors.

Pour résorber le chômage important des travailleurs âgés, l'Allemagne a développé pour eux une série de mesures spécifiques, réunies sous le nom de "Initiative 50 plus". Ainsi, les chômeurs âgés indemnisés reprenant un emploi dont la rémunération nette est inférieure à celle perçue avant d’être au chômage bénéficient d’une compensation partielle de leur perte de salaire ainsi que d’un complément à leur cotisation d’assurance vieillesse, pour en préserver les droits au niveau antérieur. Les employeurs bénéficient d’une aide à l’insertion si l’embauche d’un senior au chômage depuis au moins six mois implique un soutien individuel. Enfin, par dérogation aux règles générales, il est possible de conclure des contrats de travail à durée déterminée avec les salariés âgés de plus de 52 ans.

En outre, l'Allemagne s'est doté d'un régime par points directement lié au nombre d'années de travail, ce qui permet d'articuler en fait, annuités et points. Le rapport rappelle que ce mode de fonctionnement particulier s'explique par la volonté des pouvoirs publics allemands de ne pas modifier le montant des pensions versées, lors de la transition, en 1992, entre l'ancien régime par annuités et le régime par points. 

Le nouveau mode de calcul par points ne se fonde plus sur un taux de l'annuité appliqué au salaire moyen, mais sur une valeur de point.

Le rapport souligne également qu'en Allemagne, un système de partage des droits à la retraite (mis en place en 2002) acquis pendant la durée du mariage, le "splitting" permet d'atténuer les inégalités entre hommes et femmes. Les droits accordés en matière de réversion pour les veuves, les veufs et les orphelins en font même une "référence" selon le rapport.

Enfin, le développement de l'épargne retraite à travers les plans "Riester", permet de favoriser les familles à revenus modestes, "à l'inverse des divers plans d'épargne complémentaire introduits dans certains pays d'Europe, dont la France". 

 

 

 Le système des retraites néerlandais :

 

le rapport note que le système des retraites aux Pays-Bas repose sur trois piliers : le premier est fondé sur la solidarité nationale et il est financé par l'impôt, le deuxième est constitué des régimes professionnels par capitalisation et le troisième repose sur l'épargne individuelle.

Les fonds de pension qui couvrent, dans le cadre du deuxième pilier, séparément, les salariés des secteurs publics, fonctionnaires compris, et privés, soit près de 95% des actifs, dont les cotisations sont principalement payées par l'employeur, ont longtemps permis aux Pays-Bas "d'envisager avec une relative sérénité les projections de financement des retraites à moyen et long terme". Mais, la crise économique et financière a mis à mal ces fonds, menaçant le taux de couverture des réserves. Le gouvernement a dû accorder des délais de redressement des comptes, passés d'un à cinq ans.

Par ailleurs, afin d'encourager l'emploi des seniors, le gouvernement a supprimé en 2005 les systèmes de retraite anticipée, ce qui a permis d'augmenter leur taux d'emploi de 8%.

Enfin, comme la France, le gouvernement des Pays-Bas a mis en place, dès 1998, un fonds de réserves pour contenir le coût du régime public et le répartir sur plusieurs générations.

 

 

Le système des retraites finlandais :

 

Le système de retraite finlandais actuel créé en 1962, s’inscrivait dans une logique beveridgienne de couverture de l’ensemble de la population contre le risque vieillesse, sur la base d’une pension d’un régime public universel, accordée sous condition de résidence (40 ans à partir de l’âge de 16 ans pour un taux plein) et non pas de cotisation, et de régimes contributifs complémentaires d’entreprises gérés par des fonds de pension organisés en grandes branches professionnelles, avec l’objectif, comme aux Pays-Bas, ou dans les pays nordiques structurés autour d’un État providence, de garantir aux retraités un niveau de vie équivalent à celui qui était le leur pendant leur vie active.

Des réformes ont successivement aligné en 1993 les régimes de pension du secteur public, dont l’âge légal de départ à la retraite est ainsi passé de 63 à 65 ans, sur celui, moins favorable, du secteur privé puis modifié en 1996 le calcul du salaire de référence, porté des quatre aux dix meilleures années et introduit une condition de ressources pour déterminer le montant de la prestation de la retraite publique, jusque-là forfaitaire. 

Mais ce qu'a fait de la Finlande "une référence" selon le rapport, ce sont les progrès réalisés en matière d'emploi des seniors et de la prise en compte de la pénibilité.

En effet, le taux d'emploi des travailleurs âgés de 55 ans à 64 ans est passé d'environ 35% en 1994 à près de 55% aujourd'hui. Comment expliquer cet inversement de tendance? Selon le rapport "Les particularités de la stratégie finlandaise dans le domaine du vieillissement actif sont doubles : la question y est abordée depuis longtemps et, surtout, de façon globale. L’objectif est assez pragmatiquement de maintenir plutôt que de réinsérer les seniors au travail dans un pays qui, comme la France, connaît depuis près de vingt ans un taux de chômage assez important. De vastes programmes de mobilisation sociale ont été lancés, parallèlement aux mesures en matière de retraite ... et tendant à limiter les départs, par la suppression de la plupart des dispositifs de retraites anticipés et par l’introduction d’un système de surcote attractif, auxquelles s’ajoutent le principe, assez généralement appliqué en matière de licenciement, du « dernier entré, premier sorti », et la mise à la charge des entreprises d’une partie des indemnités de chômage des salariés âgés de plus de 55 ans qu’elles ont licenciés et qui ne retrouvent pas d’emploi.

En plus du maintien des seniors au travail, les axes principaux de ces programmes visaient à faire accepter à l’opinion la prolongation de la vie active et à améliorer l’inclusion sociale des travailleurs âgés comme des retraités.

L’entretien et la promotion de la capacité de travail ont été mis en œuvre par l’Institut finlandais de santé au travail, qui s’est proposé de développer les actions dans quelques domaines principaux, la santé et les capacités fonctionnelles, l’adaptation de l’environnement physique et psychosocial de travail et les compétences".  

S'agissant de la prise en compte de la pénibilité, le rapport relève que c'est dans le "cadre général de bien-être au travail, appuyé sur les études et les pratiques de ses nombreux groupes de travail spécialisés, institutionnels mais aussi au sein de l’entreprise, que la Finlande prend en compte la pénibilité du travail dans les réformes de son système de retraite, comme d’ailleurs la plupart des pays de l’Europe du Nord".

Plus précisément, au lieu de se contenter de prendre le problème de la pénibilité au seul moment de la retraite, "l’Institut de la santé au travail et le réseau efficace de la médecine du travail finlandais ont inversé la question en proposant des solutions tout au long de la vie professionnelle". Ainsi, selon le rapport, l'approche finlandaise semble la mieux à même de répondre aux multiples conséquences du travail sur la santé des salariés, indépendamment de leur âge.

 

Source : www.assemblee-nationale.fr/

 

* Mission créée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales du Sénat, en mai 2009.