Précisions sur le critère d'autonomie de gestion dans les établissements distincts. Cass.soc.11 décembre 2019 et Cass.soc.22 janvier 2020

Instances repésentatives du personnel

- Auteur(e) : Sara Klack

La chambre sociale de la cour de cassation est récemment venue préciser la notion d’autonomie de gestion en matière de fixation des établissements distincts au travers de deux arrêts publiés au bulletin, une première datant du 11 décembre 2019, et une seconde du 22 janvier 2020.

 

Rappel sur les modalités de fixation des établissements distincts : 

 

Par voie d’accord : 

Par décision unilatérale de l’employeur :

 

Rq : Suppose qu’une tentative de négociation préalable ait échoué (Cass. soc., 17 avr. 2019, n° 18.22.948)

L.2313-2 du code du travail :

 

« Un accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12 (majoritaire), détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts. »

 

L.2313-4 du code du travail : 

 

« En l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées à l'article L. 2313-2 et en l'absence de délégué syndical, un accord entre l'employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité, peut déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts. »

 

L.2313-4 du code du travail :

 

« En l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3, l'employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel. »

 

Précisions : Cass. Soc. 19 décembre 2018 n°18-23.655

« caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service »

 

Cass. Soc. 11 décembre 2019 n°19-17.298

 

FAITS : 

Il était question en l’espèce de la mise en place d’un ou plusieurs CSE au sein de la Mutualité française Loire Haute-Loire. Une tentative de négociation d’un accord collectif en vue de déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts a eu lieu entre l’employeur et les organisations syndicales. Cette tentative n’ayant pas abouti à un accord, l’employeur a décidé unilatéralement de la mise en place de 3 CSE dans l’entreprise, correspondant aux 3 secteurs d’activité existant au sein de la Mutuelle (1) : filières médico-sociale, sanitaire et de la distribution.

Trois organisations syndicales ont contesté la décision de l’employeur devant le DIRECCTE, trouvant le nombre de CSE désiré par l’employeur trop faible. Le DIRECCTE a donc finalement fixé à 24 le nombre de CSE à mettre en place.

L’employeur a alors formé recours de la décision devant le TI. Il demande à ce que le nombre d’établissements distincts soit fixé à 3 et, subsidiairement, à un seul.

 

PROCEDURE :

Le TI de Saint-Etienne rend un jugement le 21 mai 2019 qui accueille la demande de l’employeur. Le juge constate l’absence d’établissement distinct au sein de la Mutuelle et décide de fixer un CSE unique.

Les syndicats se pourvoient donc en cassation.

 

MOYENS DU POURVOI ET MOTIFS DU TRIBUNAL :

  • Dans la première branche de leur moyen, les syndicats rappellent que « l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement est appréciée compte tenu de la délégation de compétences qui lui est attribuée ». Ils se prévalent desdélégations de pouvoir consenties aux directeurs d’établissementau sein de la filière médico-sociale (comprenant 20 établissements) –comme par exemple leur faculté à prononcer des sanctions à l’encontre des membres ne respectant pas les consignes de sécurité, ou à identifier les besoins de formation, ou encore à procéder eux-mêmes au recrutement via des entretiens d’embauche- pour affirmer que ces directeurs ont uneautonomie de gestion suffisante pour reconnaitre au sein de la société mutualiste des établissements distincts. 

En jugeant le contraire, le tribunal aurait violé par fausse application les articles L.2313-4 et L.2313-5 du code du travail.

  • Les syndicats rappellent ensuite dans la deuxième branche que « à défaut d’accord, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont déterminés compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel ». En l’espèce les directeurs d’établissement procèdent seuls à l’entretien d’embauche puis au choix du candidat qui sera embauché au sein de leur établissement en CDI. Ils sont donc autonomes en matière de gestion du personnel.

Le tribunal a pourtant jugé que ces directeurs d’établissement ne bénéficiaient pas de l’autonomie suffisante en ce que les contrats de travail ne sont pas signés par eux et qu’ils sont « standardisés et uniformisés dans le cadre d’une procédure imposée par l’entreprise ». De ce fait, il aurait violé les articles L.2313-4 et -5 du code du travail.

 

De plus, dans la cinquième branche, les syndicats soulignent que les directeurs d’établissements sont « effectivement chargés de la gestion quotidienne des sites » puisqu’ils signent les accords collectifs applicables au sein de leur établissement.

 

Le tribunal qui considère que ce constat n’est toujours pas suffisant à établir leur autonomie de gestion violerait les articles L.2313-4 et -5 du code du travail.

 

  • Selon les syndicats, le juge aurait dénaturé les pièces soumises à son examen en jugeant :

-3° branche : qu’il découle de l’une des pièces produites par l’entreprise que l’embauche des salariés en CDD serait soumise à l’accord préalable du siège.

’après les syndicats au contraire, cette pièce ne démontre pas que la demande d’un directeur d’ouverture d’un poste en CDD avait fait l’objet d’une procédure d’autorisation préalable.

-4° branche : que les pièces produites n’établissent pas que les directeurs d’établissement exercent un pouvoir disciplinaire. 

Alors que d’après les syndicats, il résulte des délégations de pouvoir qui leur sont consenties qu’ils sont « seuls juges des sanctions éventuelles à prendre pour faire respecter par le personnel les mesures de sécurité prescrites ».

 

  • Les syndicats rappellent dans la sixième branche du moyen que « le périmètre des établissements distincts [est déterminé] compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable d’établissement, notamment en matière d’exécution du service. ». En l’espèce, les directeurs d’établissement disposent de « toute latitude pour engager les dépenses qui seraient rendues impératives par la règlementation ».

 

Le tribunal, jugeant que cet engagement « s’insère dans le cadre des procédures définissant les règles de paiement et d’engagement des dépenses au sein de l’entreprise », aurait violé les articles L.2313-4 et -5 du code du travail. 

 

Le tribunal de son côté relève que malgré les délégations de pouvoir dans l’entreprise dans des domaines de compétences variés, ainsi qu’une responsabilité pénale du délégataire ; il convient de « déterminer la manière dont le pouvoir s’exerce effectivement dans l’entreprise, notamment en matière de gestion du personnel ». Pour le tribunal, même si les directeurs d’établissement ont un rôle en matière de gestion du personnel, ils doivent l’assurer en respectant des procédures définies au niveau de l’entreprise. Il en est de même en terme de définition des orientations générales puisqu’ils « n’exercent pas les pouvoirs effectifs propres à leur conférer une autonomie de gestion d’autant que, aux termes du document contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens du 1er janvier 2016, certaines fonctions support sont centralisées au niveau du siège. ».

 

--> Ces éléments lui permettent donc de constater l’absence d’établissements distincts au sein de la Mutualité et de décider la mise en place d’un CSE unique. 

 

QUESTION DE DROIT : 

La centralisation des fonctions de support au niveau du siège et l’obligation pour les directeurs de site de respecter les procédures en matière de gestion du personnel définies au niveau de l’entreprise privent-elles par nature ces responsables d’établissement d’une autonomie suffisante de gestion ? 

 

REPONSE DE LA COUR DE CASSATION : 

La cour répond par la négative, elle casse et annule le jugement du TI de Saint-Etienne.

Selon la chambre sociale, « ayant constaté l’existence de délégations de pouvoirs dans des domaines de compétence variés et d’accords d’établissement, il (…) appartenait [au tribunal] en conséquence de rechercher au regard de l’organisation de l’entreprise en filières et en sites le niveau caractérisant un établissement distinct au regard de l’autonomie de gestion des responsables, le tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision. ». 

 

Il faut s’attarder la notion « d’autonomie suffisante de gestion ». 

Pour la chambre sociale, l’autonomie suffisante repose sur « l’existence de délégations de pouvoirs dans des domaines de compétence variés ». Ce qui compte donc est le niveau d’autonomie acquis par les directeurs d’établissement dans des domaines variés.

 

L’arrêt souligne la nécessité d’adapter la notion au contexte de l’entreprise. En l’espèce, le contexte de l’entreprise est défini par l’organisation d’une mutuelle. Il s’agit d’une organisation particulière soumise à une règlementation précise, notamment en matière de finance, ce qui a pour conséquence le fait que certaines fonctions sont centralisées et certaines règles posées au niveau du siège.

 

Si la cour jugeait sans tenir compte de cette organisation particulière, cela aurait pour effet d’écarter très souvent la reconnaissance d’établissements distincts dans les entreprises ayant plusieurs sites.

 

La chambre sociale pose donc le principe selon lequel « la centralisation des fonctions de support et l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure l’autonomie de gestion des responsables d’établissement ».

 

L’autonomie de gestion suffisante pour la reconnaissance d’établissements distincts repose donc sur 2 critères : 

 

-l’existence de délégations de pouvoirs dans des domaines de compétences variés

-l’existence d’accords d’établissement.

 

Remarque : Des CSE sont implantés au niveau des établissements dans le but de pouvoir créer des discussions avec les élus. Mais encore faut-il avoir de quoi discuter sinon les comités d’établissement s’avèrent inutiles. Les enjeux du critère d’autonomie de gestion reposent donc sur ce point. Il faut tout de même que les directeurs d’établissement possèdent effectivement une certaine autonomie de gestion afin d’avoir matière à discuter avec les élus dans les comités.

 

(1) Dans le secteur de la mutuelle, le service à la personne est dominant ce qui explique le nombre important d’établissements, et plus particulièrement dans la filière médico-sociale.

 

 

Cass. Soc. 22 janvier 2020 n°19-12.011

FAITS :

En l’espèce, suite à l’échec des négociations préélectorales dans la société, l’employeur a pris la décision unilatérale de mettre en place un CSE unique. Cette décision a été contestée devant le DIRECCTE, lequel a décidé de reconnaitre l’existence de 6 établissements distincts.

La société conteste la décision du DIRECCTE devant le tribunal d’instance.

 

PROCEDURE : 

Le TI de Villejuif a rendu un jugement le 30 janvier 2019 déboutant la société de sa demande visant à mettre en place un CSE unique en son sein, ainsi que sa demande de reconnaissance du caractère d’établissement distinct aux 6 sites qu’elle a énumérés.

La société se pourvoit donc en cassation. 

 

MOYEN DU POURVOI : 

D’une part, la société fait valoir les règles posées par le code civil en matière de charge de la preuve :

  • Selon la société, il appartenait au syndicat CGT, qui se prévalait du caractère distinct de l’établissement d’en apporter la preuve en justifiant que le représentant de l’employeur sur chaque site opérationnel disposait d’un pouvoir de décision en matière d’élaboration de budgets. Le tribunal a donc inversé la charge de la preuve posée à l’article L.1353 du code civil en retenant que la société ne démontrait pas l’absence d’autonomie des chefs de station en matière budgétaire.

 

D’autre part, la société nie l’autonomie budgétaire et de gestion du personnel des établissements distincts qui ont été retenus car des compétences restent dévolues au siège dans ces matières :

  • Elle avance de plus que « le seul fait que soient établis des budgets spécifiques à plusieurs sites de l’entreprise en raison de la taille de ces établissements et que le chef de station dispose d’un pouvoir de proposition en matière de l’élaboration de ces budgets ne permet pas de caractériser l’existence de l’autonomie de décision dont doit disposer le responsable d’établissement dans la conduite de son activité économique. ». 
  • Pour juger si l’autonomie des chefs de station en matière de budget était avérée ou non, le tribunal aurait dû examiner tous les éléments qui lui étaient soumis et notamment le document de la « délégation de pouvoir du chef de station » produite par la société duquel il ressortait que les propositions de budget de fonctionnement et d’investissement devaient être approuvés par la direction, et que, dans la mise en œuvre du budget, le chef de station ne pouvait engager de dépenses au-delà d’une certaine somme sans la contresignature du directeur des opérations, de même qu’il devait aussi faire contresigner toutes les commandes d’investissement.

 

Or le tribunal a déclaré les chefs de station autonomes en matière de budget simplement en examinant la fiche de poste de laquelle il ressortait que le chef de station participe à « l’élaboration des budgets de fonctionnement et d’investissement de la station avec le siège » sans précision sur un quelconque pouvoir décisionnel du siège.

  • La société faisait également valoir le montant limité du pouvoir d’engagement des chefs de station en matière de dépenses et leur absence de pouvoir en matière de commandes d’investissement, ainsi que le fait que la comptabilité de la société était externalisée.
  • Pour la société, « seule la faculté pour un chef d’établissement de disposer d’un pouvoir de recrutement, de promotion, de sanction et d’un pouvoir de décision en matière de rupture du contrat de travail à l’égard des salariés exerçant leur activité au sein de l’établissement caractérise une autonomie en matière de gestion du personnel susceptible de justifier l’implantation d’un CSE d’établissement ».

 

Dès lors qu’il existe au niveau du siège des compétences centralisées en matière de gestion du personnel, sont alors inopérants des éléments tels que « le fait que le chef de station était chargé d’organiser et de coordonner l’activité du personnel, de diriger l’équipe de collaborateurs en contrôlant l’emploi du temps des salariés, que, par ailleurs, il était auparavant appelé à présider les réunions des délégués du personnel et qu’il était garant du respect du règlement intérieur unique de l’entreprise, ou encore de l’exercice par les chefs de station du pouvoir de délivrer des avertissements ».

  • Le juge aurait donc dû rechercher si ce n’était pas au niveau de la direction du siège, et non à celui de chaque site opérationnel, qu’étaient engagés et promus les salariés et que se décidaient les sanctions disciplinaires ainsi que les mesures concernant la rupture de leur contrat de travail : c’est-à-dire tous les actes engageant l’entreprise en matière de gestion du personnel. 

 

QUESTION DE DROIT : 

La centralisation des fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège sont-elles de nature à exclure l’autonomie de gestion des responsables d’établissement ? 

 

REPONSE DE LA COUR DE CASSATION : 

Elle répond par la négative et rejette le pourvoi. 

 

  • Concernant la charge de la preuve : En cas de recours exercé à l’encontre de la décision unilatérale de l’employeur, le DIRECCTE et le TI se fondent sur « les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation » pour pouvoir apprécier l’existence d’établissements distincts au regard du critère d’autonomie de gestion.

Il semble être admis la preuve partagée qui ne repose sur aucune partie en particulier. La preuve ne pèse donc pas uniquement sur les syndicats (en l’espèce le syndicat CGT).

 

  • Concernant l’autonomie en matière de budget et de gestion des établissements définis ainsi que la centralisation de certaines fonctions et procédures de gestion au niveau du siège :

Elle rappelle la règle posée à l’article L.2313-4 « caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service ».

De plus elle réaffirme, comme il avait déjà été posé dans l’arrêt du 11 décembre 2019, que « la centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement. ».

 

En l’espèce, 

-s’agissant de l’autonomie budgétaire : chacune de ces stations dispose d’un budget spécifique décidé par le siège sur proposition du chef de station, lequel participe à l’élaboration des budgets de fonctionnement et d’investissement de la station avec le siège.

-s’agissant de l’autonomie en matière de gestion du personnel : le chef de station dispose d’une compétence de management du personnel social, est garant du respect du règlement intérieur, mène des entretiens individuels de carrière (…).

Ces délégations sont admises comme des critères d’une autonomie de gestion suffisante, puisque la cour de cassation valide les 6 établissements distincts ainsi déterminés par le tribunal. 

 

> Apport des deux arrêts

Il semblerait que la cour va faire un assouplissement des critères d’autonomie de gestion utilisés pour définir les établissements distincts dans une situation de fixation par décision unilatérale de l’employeur (L.2313-4). Désormais, l’autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et exécution de service (Cass. Soc. 19 décembre 2018) peut être caractérisée lorsque les directeurs d’établissement font l’objet de délégations dans des domaines variés, même si une partie des fonctions dans ces matières reste centralisée au niveau du siège. Il faudra tout de même vérifier dans les faits leur niveau d'autonomie et leurs prérogatives dans ces domaines de gestion et exécution de services.

 

Tout du moins il est affirmé que la centralisation de ces fonctions de support et procédures de gestion n’est pas de nature à exclure l’autonomie de gestion des responsables d’établissement. La cour ne s'oppose donc pas à reconnaitre des établissements distincts lorsqu'il y a éventuellement partage de compétences avec le siège.