Pénibilité du travail, santé et droits d'accès à la retraite, Barnay T, (2005).

Conditions du travail

- Auteur(e) : Tiphaine Garat

Article paru dans Retraite et Société n° 46 (octobre 2005) sur le soutien aux personnes âgées en Europe. Retraite et Société est la revue pluridisciplinaire de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, diffusée par La Documentation française. Revue d’études et d’analyses consacrée à la retraite et aux problématiques du vieillissement, elle paraît 3 fois par an sous le parrainage d’un comité scientifique international.

 

 

Le système de retraite français résulte d’une longue évolution historique. Les ordonnances de 1945 visaient à créer un régime obligatoire garantissant l’universalité et l’unicité du système. Le premier objectif a été atteint dans les années soixante-dix, cependant la multiplicité des régimes de retraites marque une rupture face aux buts initialement recherchés. La couverture vieillesse a été progressivement étendue par l’instauration de régimes particuliers pour des catégories non couvertes à l’origine (exploitants agricoles en 1952) et par l’attribution d’une allocation minimum pour toute personne âgée sans ressources et ne relevant d’aucun régime vieillesse (1952). La législation (1974, 1978) a permis ensuite de couvrir d’autres catégories de personnes (détenus, artistes, conjoints collaborateurs, femmes au foyer sous certaines conditions, etc.). Pour des raisons souvent liées à des considérations sectorielles, les actifs ne bénéficient donc pas de règles similaires d’accès aux droits à la retraite. En outre, pour pallier le déficit démographique, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites s’est presque essentiellement concentrée sur le rééquilibrage intergénérationnel, s’appuyant sur une augmentation de la durée de cotisation. Le système de retraite est complexe puisqu’il se caractérise à la fois par une égalité à terme des durées de retraite pour les salariés du privé et les fonctionnaires, mais aussi par une grande diversité des règles d’accès à la retraite. L’âge moyen de liquidation des droits à la retraite diffère en fait sensiblement selon le niveau d’études, la catégorie sociale ou les spécificités des régimes. Ainsi, les cadres, les artisans et les agriculteurs cessent leur activité plus tard que les ouvriers (Barnay, 2004a).

 

Par ailleurs, d’autres disparités intragénérationnelles persistent, particulièrement devant la santé. Le suivi de cohortes, à partir des recensements de 1954 et 1975, montre d’importantes différences de mortalité par catégorie sociale en France (Calot, Febvay, 1965 ; Desplanques, 1993 ; Mesrine, 1999). Ainsi à 35 ans, dans la population masculine, l’espérance de vie des ouvriers est inférieure de sept ans à celle des cadres (Monteil, Robert-Bobée, 2005). L’état de santé en fin de vie active est particulièrement dégradé pour certaines catégories sociales, comme les ouvriers, par ailleurs arrivées tôt sur le marché du travail. L’une des causes de ces inégalités sociales de santé relève de la pénibilité du travail subie durant l’activité professionnelle.

 

Dans ce contexte, de nombreux salariés se demandent comment ils vont pouvoir travailler quarante, quarante et une voire quarante-deux années, compte-tenu des contraintes physiques subies durant leur carrière professionnelle et des conséquences qu’elles ont sur leur état de santé en fin de vie active. Cette question est d’autant plus légitime que de nombreux économistes (Lagarde, 1985 ; Dutailly, 1988 ; Creedy et al., 1993 ; Aubert, 1999 ; Assous et al., 2000 ; Vincent, Walraet, 2003 ; Barnay, 2004a) ont par ailleurs mis en lumière le caractère antiredistributif de l’opération retraite stricto sensu (c’est-à-dire sans prendre en compte les mécanismes de redistribution ou de majoration) au détriment des classes à faible longévité.

 

Pour répondre à cette préoccupation, plusieurs concepts liés à la santé coexistent dans le système de protection sociale français. Dans une composante beveridgienne du système, un état de santé détérioré donne droit, sous certaines conditions, à des pensions d’invalidité [1] avant 60 ans puis à des pensions d’inaptitude [2]. Par ailleurs, la logique assurantielle justifie que les actifs confrontés à des conditions de travail pénibles bénéficient d’un retrait précoce du marché du travail par des dispositifs de cessation anticipée pour certains travailleurs salariés (Cats) et de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Caata). Le recours au motif de santé devient un véritable outil de régulation des flux de sorties anticipées du marché du travail [3]. Cependant, le vieillissement reste perçu comme un processus homogène et collectif alors qu’il revêt intrinsèquement de fortes disparités. Malgré l’obtention de nouveaux droits à la retraite pour des catégories de salariés arrivés tôt sur le marché du travail (la loi de 2003 permet aux salariés ayant travaillé avant 16 ans de bénéficier d’un départ précoce en retraite) ou pour ceux qui rassemblent les conditions d’éligibilité aux dispositifs de préretraite, l’âge légal de la retraite (c’est-à-dire l’âge à partir duquel les salariés du privé peuvent prétendre à une retraite à taux plein s’ils ont atteint la durée de cotisation requise) demeure le même pour tous les autres salariés.

 

L’étude des inégalités sociales de santé, appréhendées à travers la mortalité (espérance de vie) ou la morbidité mais aussi abordées comme résultantes de conditions de travail plus ou moins éprouvantes, s’inscrivent comme un des grands chantiers des prochaines réformes sur les retraites. Le législateur a donné un délai de trois ans aux partenaires sociaux pour mener une négociation sur la pénibilité. La pénibilité a par ailleurs fait l’objet d’un rapport au Conseil d’Orientation des Retraites (Struillou, 2003) qui souligne l’intérêt de cette question mais aussi les difficultés liées à la définition conceptuelle et normative de la pénibilité. Struillou préconise de considérer la pénibilité provoquant une réduction de l’espérance de vie en bonne santé.

 

La question de la pénibilité du travail peut alors être analysée de deux manières. Comment prévenir et assurer la sécurité et la santé des salariés durant la vie professionnelle ? Ce premier axe s’inscrit dans une réflexion politique de prévention de moyen ou long terme. La seconde approche tend à corriger a posteriori les différences d’état de santé (à la suite de conditions de travail pénibles) par des mesures compensatrices et s’inscrit donc dans une politique corrective et transitoire de court terme pour des salariés en fin de carrière qui vont partir en retraite. Cet article s’intéresse uniquement au second point.

 

Peut-on, doit-on introduire une « discrimination positive » par la santé plus précisément par la pénibilité du travail dans l’accès aux droits à la retraite ? Au regard des faits stylisés (intergénérationnels et aussi intragénérationnels), la légitimité et la mise en place de cette discrimination seront étudiées à travers trois prismes : philosophique, juridique et économique.

 

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