Modes d’accueil des enfants, réforme de l’indemnisation du congé parental, entreprises « family friendly » : les propositions du rapport Damon-Heydemann pour mieux concilier vie privée/vie professionnelle

Égalité professionnelle F/H
Organisation du travail

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

La thématique de la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle est plus que jamais d’actualité : le recours massif au télétravail, induit par la pandémie, bouleverse concomitamment l’organisation des entreprises et des familles. Au-delà de la crise sanitaire, le contexte est marqué par une baisse de la fécondité, une amplification des demandes des jeunes actifs en matière de qualité de vie au travail, et par des nouvelles exigences qui pèsent sur les entreprises, notamment en matière d’égalité professionnelle.

Or, si les politiques publiques et les pratiques des entreprises intensifient leurs efforts pour répondre aux impératifs d’une meilleure conciliation des temps, un cercle vicieux se dessine : « Les pouvoirs publics déploient des programmes consistants ; les parents demandent toujours davantage ; les besoins restent donc élevés ».

En partant des constats susmentionnés, le rapport Damon-Heydemann, publié le 6 octobre 2021, se penche sur une série de mesures pour optimiser les politiques et pratiques en matière de conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle[1]. Et le ton est vite donné : « Mieux concilier responsabilités familiales et carrières professionnelles compte désormais parmi les dimensions importantes de la qualité de vie au travail. Et, partant, de la qualité du travail et de la performance des organisations ».

Le rapport se veut prospectif et original dans la formulation de propositions, établies le plus souvent du point de vue de l’entreprise. En son sein figurent 45 recommandations classées dans 5 grands chapitres, à savoir : progresser par l’exemplarité ; renforcer et réorganiser l’offre de services ; reformater l’indemnisation du congé parental (PreParE) ; unifier les congés familiaux ; impliquer et appuyer davantage les entreprises et partenaires sociaux.

  • La petite enfance au cœur des préoccupations

Les auteurs constatent que malgré les efforts réalisés, l’offre d’accueil de la petite enfance est insuffisante, surtout « si l’on ne raisonne plus en nombre de places mais en nombre d’heures d’accueil ». Une offre d’accueil de la petite enfance renforcée et organisée de façon optimale constitue ainsi un besoin crucial pour les entreprises. 

A cet égard, le rapport envisage de mieux structurer l’accueil du jeune enfant en le séquençant en trois temps :

-Pour les moins d’un an : il s’agit de favoriser le congé parental dans les premiers mois en réduisant sa durée (idéalement à six mois pour chacun des deux parents) mais en l’indemnisant mieux ;

-Pour les 1-2 ans : il s’agit ici de se concentrer sur le déploiement des modes de garde en finançant et en gouvernant mieux l’offre de services, dans les équipements collectifs (EAJE) mais aussi dans le secteur des assistants maternels ;

-Enfin, pour les 2-3 ans : il s’agit de structurer l’offre d’accueil afin d’organiser le passage progressif à l’école maternelle. En effet, la fusion des jardins d’enfants, jardins d’éveil et classes passerelles pourrait avoir lieu d’ici 2024.

De manière plus intéressante encore, les auteurs proposent un « droit opposable » à un mode d’accueil pour les parents. Le principe qui entoure cette proposition est d’avoir un service homogène, qui englobe tant le secteur public que le secteur privé, et qui comporte non seulement l’offre d’accueil collectif mais aussi l’offre des assistants maternels. Toutefois, il ne s’agit pas « de nationaliser et fonctionnariser les salariés des crèches associatives et marchandes, encore moins les assistants maternels », assurent les auteurs.

D’autres propositions ambitieuses sont présentées : l’établissement d’un droit à l’information personnalisé au sujet de la conciliation, à l’image du droit à l’information retraite, le soutien à l’attractivité des professions de la petite enfance, la révision du modèle des crèches à vocation d'insertion professionnelle (AVIP) avec un soutien accru de Pôle Emploi ou même l’intégration du sujet de la petite enfance dans les opérations d’aménagement.

  • La réforme de l’indemnisation du congé parental, dimension d’un chantier plus large, celui de la refonte des congés familiaux

Les auteurs reviennent sur le sujet de la réforme de l’indemnisation du congé parental. Leurs suggestions tournent autour de quatre axes :

-Réduire encore la durée de cette indemnisation, en lien avec la politique d’accueil à trois temps;

-Prévoir une indemnisation proportionnelle au précédent salaire (sous plafond) ;

-Conserver globalement les règles actuelles sur l’éligibilité ;

-Envisager les fractionnements des congés, jusqu’aux trois ans de l’enfant avec une indemnisation qui se concentre sur la première année.

Au-delà de ces révisions, les auteurs ambitionnent de basculer, à long terme à « une véritable assurance parentale » : « Les droits, complétés par des accords d’entreprise ou de branche, relèveraient d’une logique contributive, revenant ainsi pleinement au principe d’une contribution à partir de la masse salariale », précisent-ils.

L’ensemble de ces recommandations va de pair avec l’ouverture d’un débat parallèle sur la fusion de tous les congés familiaux (de naissance, mariage, PACS, décès de proche, congé parental d’éducation, de présence parentale ou de proche aidant). « L’ambition générale doit être non pas de continuer à empiler des réponses mais à simplifier la vie, celle des personnes, celle des entreprises », réclament les auteurs. La démarche générale consisterait à produire un congé familial unique, en unifiant le régime et les dénominations des congés familiaux : « Ainsi, singulièrement, congé de présence parentale, congé de solidarité familiale et congé de proche aidant, au régime juridique et aux formes proches, pourraient fusionner et s’inscrire dans un plus vaste ensemble unifié », précise le rapport.

  • Des entreprises « family friendly » : la politique familiale en tant qu’élément conséquent du dialogue social

Avec cette terminologie à consonance managériale, les auteurs souhaitent marquer les aménagements des entreprises en termes d’offre de services ou de gestion des carrières, en faveur des jeunes parents. Ainsi, les organisations « family friendly » auraient une longueur d’avance sur les autres qui peinent à s’emparer du sujet.

Dans cette lignée, le rapport invite les entreprises à autoriser davantage de flexibilité des horaires : la facilitation de l’accès au temps partiel pour les parents, l’amélioration du régime des comptes épargne-temps (CET), le recours au télétravail, etc.

Les auteurs appellent aussi à une meilleure information et communication dans les entreprises sur les droits en matière de conciliation :  des documents spécifiques explicatifs remis au moment de l’embauche, des guides à destination des managers, etc.

De manière plus intéressante encore, un recours plus large au crédit d’impôt famille (CIF) (reformaté par la même occasion) est préconisé : « Se profile un enjeu de démocratisation de cet instrument de la politique familiale, afin qu’il ne bénéficie pas principalement aux grands groupes. Le CIF pourrait ainsi être modulé selon la taille des entreprises, afin de mettre l’accent sur les PME et TPE », suggèrent les auteurs.

Le retour au travail des salariés en congé parental est un autre point de préoccupation. En effet, la suspension du contrat de travail qui en découle, « impose une interruption des relations et des informations garantes d’une parfaite intégration. Une telle coupure présente le risque de rendre difficile le retour à l’emploi », remarquent les auteurs. C’est ainsi qu’ils insistent sur le maintien d’un lien minimal entre entreprise et salarié en congé parental total, « tout en respectant une nécessaire distance ».

Pour le reste, le rôle des partenaires sociaux sur les questions de conciliation, est longuement souligné.  Afin de garantir leur information et soutenir le dialogue social en la matière, le rapport suggère l’insertion dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) des indicateurs spécifiques à la conciliation. Additionnement, les auteurs estiment plus opportun d’intégrer systématiquement un chapitre « conciliation » dans les accords égalité professionnelle et qualité de vie au travail, au lieu d’en faire un thème à part entière de la négociation annuelle obligatoire (NAO). In fine, ils incitent les élus du comité social et économique (CSE) à diriger davantage leur budget des activités sociales et culturelles sur les problématiques de conciliation des salariés.

Vous trouverez, ci-après, l’intégralité du rapport Damon-Heydemann, Renforcer le modèle français de conciliation entre vie des enfants, vie des parents et vie des entreprises, 6 octobre 2021.

 

[1] Par une lettre de mission datant d’avril dernier, le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, le ministère des Solidarités et de la Santé, le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques et le Secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles ont commandé à Christel Heydemann, présidente de Schneider Electric France et Julien Damon, conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de sécurité sociale la réalisation d’un rapport sur « la conciliation des temps professionnel et familial des parents ». Le rapport a été remis le 6 octobre 2021 dans le cadre de la Conférence des familles.