Manquement à l’obligation de neutralité de l’employeur lors des élections professionnelles : celui qui l’invoque doit en rapporter la preuve

Instances repésentatives du personnel

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

Dans un arrêt du 18 mai 2022, la Cour de Cassation revient sur la charge de la preuve de la méconnaissance par l'employeur de son obligation de neutralité dans le cadre des élections professionnelles.

Pour rappel :

Suivant l’article L. 2141-7 du Code du travail, « il est interdit à l'employeur ou à ses représentants d'employer un moyen quelconque de pression en faveur ou à l'encontre d'une organisation syndicale ». Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour de Cassation s’est penché sur les contours de l’obligation de neutralité, notamment : l’interdiction à l’employeur d’autoriser la propagande électorale des candidats libres avant le second tour des élections professionnelles (Cass. soc., 14 janv. 2004, nº 01-60.788), l’interdiction de contrôler ou de censurer le contenu des tracts (Cass. soc., 12 nov. 2003, nº 02-60.714), ou même l’obligation d’agir contre tout détournement des moyens de propagande visant à favoriser une liste de candidats au détriment d'une autre (Cass. soc., 27 mai 2020, nº 19-15.105).

  • Le refus d’une candidature déposée tardivement

En l’espèce, le syndicat CFTC avait adressé sa liste de candidats pour le premier collège par courriel, avec un retard de 16 minutes par rapport à l’heure limite de dépôt, telle que fixée par le protocole d’accord préélectoral. Par conséquent, l’employeur refuse sa candidature.

Le syndicat CFTC saisit le Tribunal judiciaire pour demander l’annulation des élections au motif d’un manquement à l’obligation de neutralité de l’employeur. En effet, il allègue que la candidature d’un autre syndicat remise en mains propres auprès de l’employeur avait été retenue, sans précision de l'heure de son dépôt. Pour le syndicat, il incombe à l’employeur de prouver que la candidature avait bien été déposée dans les délais et qu’il avait respecté, conséquemment, son obligation de neutralité.

Pour les premiers juges, l’impossibilité de vérifier le respect de l'heure limite de dépôt par l’autre syndicat s’apparentait à une violation par l'employeur de son obligation de neutralité. Ils prononcent ainsi l’annulation des élections. L’employeur s’est ensuite pourvu en cassation.

  • La charge de la preuve incombant au syndicat qui reproche un manquement de l’employeur à son obligation de neutralité

La Cour de Cassation ne s’aligne pas à la position des premiers juges. Aux visas des articles L. 2314-28 et L. 2314-29 du Code du travail et les principes généraux du droit électoral, la Haute juridiction rappelle deux principes bien établis : « les irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral constituent une cause d'annulation des élections indépendamment de leur influence sur le résultat des élection », et « l'obligation de neutralité de l'employeur est un principe général du droit électoral ».

Cela étant, la Cour considère « qu’Il appartient à celui qui invoque la violation par l'employeur de son obligation de neutralité d'en rapporter la preuve ». Concrètement donc, c’est au syndicat qui remet en cause le respect de l’obligation de neutralité de l’employeur, en l’occurrence la CFTC, de prouver que la liste de l’autre syndicat avait été déposée tardivement.

L’annulation des élections par les premiers juges pour défaut de l’employeur de justifier l’heure de dépôt de la candidature litigieuse constitue, pour la Cour de Cassation, un inversement de la charge de la preuve. Une décision qui suscite des discussions sur la sécurisation du processus électoral, afin de ne pas laisser planer le doute sur la méconnaissance par l'employeur de son obligation de neutralité.

Cass., soc., 18 mai 2022, n°20-21.529