Lutte contre les discriminations au travail : le gouvernement souhaite privilégier une approche pragmatique (rapport de synthèse des travaux du groupe sur la lutte contre la discrimination - mai 2015)

Égalité dans le travail
Non-discrimination

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

A l'issue de plusieurs séances de travail et de débat, le groupe de dialogue sur la lutte contre les discriminations en entreprise[1], installé le 29 octobre 2014, a remis hier son rapport à M. François Rebsamen, Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, à Mme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et à M. Patrick Kanner, Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

Cette initiative trouve son origine dans la feuille de route de la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet 2014 qui avait prévu la mise en place de cette instance avec pour mission d'identifier "les voies de progrès pour rendre plus efficace la réduction des discriminations dans l'entreprise" et d'examiner "les mesures nécessaires pour promouvoir les méthodes de recrutement non discriminantes".  

Vers une approche pragmatique

Considérant que "les discriminations au travail font partie de ces sujets sur lesquels la République doit se montrer intraitable" et souhaitant adresser un message fort à la société, le gouvernement n'a pas tardé à réagir par la voix du ministre du travail qui a présenté hier même un plan d'action qui reprend pour l'essentiel les propositions avancées par le groupe de dialogue. En effet, face aux discriminations qui "minent la cohésion sociale de notre pays" et "brouillent le message républicain d'égalité", M. Rebsamen plaide pour une approchepragmatique dans la lutte contre ce problème, en privilégiant la méthode d'objectivation des discriminations.

Ainsi, en partant du constat que "l'approche morale du problème qui est privilégiée depuis 20 ans n'a pas permis de le résoudre", le ministre souhaite mettre en avant des arguments différents pour promouvoir le principe de non-discrimination comme par exemple le coût économique pour les entreprises du fait de la pratique des discriminations et à l'inverse les gains qu'elles peuvent récolter par suite de la mise en oeuvre d'une politique de non-discrimination, de sorte que cette question devienne "un enjeu d'amélioration du fonctionnement du marché du travail". Une étude en ce sens sera commandée d'ailleurs à France Stratégie.    

En outre, pour mettre des mots sur les maux en quelque sorte, le gouvernement prévoit de lancer une grande campagne de testing à l'automne prochain auprès des entreprises. L'objectif sera d'observer et d'analyser les pratiques auprès d'un échantillon d'entreprises en matière de recrutement au regard du principe de non-discrimination. Si la campagne de testing à venir ne concernera que certaines entreprises, toutes en revanche seront encouragées à pratiquer l'auto-testing, sur le modèle de ce qu'a mis en place le groupe Casino dans le cadre du projet européen de lutte contre les discriminations, baptisé Averroes.   

Par ailleurs, il est prévu de mobiliser Pôle Emploi et ses nouveaux conseillers "entreprises" pour sensibiliser les recruteurs aux différentes techniques de recrutement non-discriminantes, comme la méthode de recrutement par simulation. 

Réaffirmation des vertus de la loi

Cependant, cette nouvelle approche n'est pas exclusive de toute initiative sur le terrain juridique et judiciaire et la lutte contre les discriminations "ce n'est pas seulement valoriser des bonnes pratiques, mais bien respecter et faire respecter la loi", insiste le ministre du travail. Dans cet esprit, le gouvernement souhaite ouvrir aux citoyens s'estimant victimes de discrimination au travail une nouvelle voie de recours collectif qui leur permettra d'initier des actions de groupe.

Au sein du groupe de dialogue les débats à ce sujet se sont focalisés au tour de trois questions  :

- faut-il introduire une nouvelle voie de recours collectif ou ne vaut-il mieux pas mieux utiliser les voies existantes en cas d’échec du dialogue et de la négociation ?

- faut-il privilégier une voie de recours mettant l’accent sur la réparation des victimes de discriminations et la sanction de leurs auteurs ou convient-il que le juge intervienne prioritairement pour demander qu’il soit mis fin aux discriminations, en ne sanctionnant leurs auteurs qu’en cas de refus de donner suite à ces injonctions?

- la voie de recours collectif doit elle être ouverte aux seules organisations syndicales ou à l’ensemble des parties ayant intérêt à agir en matière de discrimination, c'est-à-dire également les associations (en faveur par exemple des citoyens candidats à un emploi, qui n'ont pas encore le statut de salarié)?

Bien que la pertinence d'une nouvelle voie de recours fut vivement contestée par certains de ses membres, le groupe a été très majoritairement favorable à l'introduction dans le droit de cette possibilité de recours collectif, assortie toutefois d'une condition : une procédure contentieuse ne peut être enclenchée qu'en l'absence de dialogue social sur la lutte contre les discriminations.       

Du côté du gouvernement, compte tenu des spécificités du monde du travail notamment au regard du rôle particulier qui y jouent les organisations patronales et syndicales en termes de médiation, le ministre du travail, sans aller jusqu'à reprendre telle quelle la proposition du groupe de dialogue, souhaite néanmoins que les syndicats soient mis en première ligne dans la lutte contre les discriminations, d'abord, pour agir dans le dialogue et la concertation avec les autres acteurs de l'entreprise afin d'identifier les causes possibles de discriminations et y mettre fin et ensuite au stade du recours collectif sous une forme qui devrait être précisée ultérieurement.   

Le plan du gouvernement prévoit par ailleurs d'étudier en lien avec les organisations syndicales et patronales la possibilité d'intégrer de nouveaux indicateurs dans le bilan social, et invitent les entreprises à désigner en leur sein un "référent égalité des chances".

Enfin, dans le cadre de la transposition de la directive européenne sur la publication d’informations non-financières et d’informations relatives à la diversité par certains groupes, les politiques d’entreprise de lutte contre les discriminations seront valorisées comme indicateur de respect des droits de l’Homme.

Abrogation du dispositif du CV anonyme

La loi du 31 mars 2006 qui rend obligatoire l'anonymisation des CV dans les entreprises d'au moins 50 salariés a débouché sur un dispositif que l'on peut qualifier de mort-né, car faute de décret d'application, il n'est jamais entré en vigueur.

Le groupe de dialogue a énuméré une série d'arguments qui justifieraient que les pouvoirs publics mettent fin au caractère obligatoire de ce dispositif : 

  • les difficultés soulevées par la mise en œuvre de l’anonymisation : coût, modalités pratiques, nécessité d’anonymiser également la lettre de motivation ;
  • le CV anonyme ne permettrait pas de valoriser les différences alors que c’est le fondement des politiques de diversité;
  • il risquerait de conduire à des démarches de contournement avec l’utilisation accrue d’internet comme mode de recrutement. Or la remise directe de CV à l’employeur est une démarche fréquemment utilisée dans certains secteurs faisant appel à des candidats relevant de catégories susceptibles d’être discriminées;
  • le CV anonyme irait à l’encontre de la liberté de choix des entreprises et des candidats;
  • il serait difficilement compatible avec la mise en oeuvre des politiques publiques en faveur de l’emploi dans le cadre de la politique de la ville;
  • il ferait prévaloir l’obligation sur la démarche de pédagogie et d’information qu’il convient de privilégier en matière de lutte contre les discriminations.

Le gouvernement s’est montré sensible à ces arguments et a décidé d’abroger prochainement la disposition (article L. 1221-7 du code du travail) incriminée. 

En revanche, il est d’avis que le CV anonyme peut « être utile et efficace s’il est mis en œuvre sur la base du volontariat par des entreprises ou des collectivités territoriales, dans le cadre d’une politique de recrutement cohérente ».

La sensibilisation par la communication

Pour sensibiliser le grand public à la nécessité de lutter contre les stéréotypes, une campagne de communication sera lancée par le gouvernement avant la fin de l’année. Le groupe de dialogue souligne fort justement que « l’entreprise n’est pas un monde clos et il n’est pas envisageable de lui demander de conduire le combat contre les discriminations si son environnement demeure marqué par des attitudes discriminatoires ». 

Les pouvoirs publics s’engagent par ailleurs à communiquer plus systématiquement sur les entreprises titulaires du Label Diversité et sur les actions qu’elles ont mises en place.

Enfin, pour donner à la lutte contre les discriminations à l’embauche et dans l’emploi une consistance, une cohérence et une efficacité, il est prévu la pérennisation du groupe de dialogue dans sa configuration actuelle   

 



 

 

[1] Le groupe réunit les partenaires sociaux, les associations, les intermédiaires de l’emploi, des personnalités qualifiées, et les services des différents ministères concernés.