Un récent arrêt, du 9 octobre 2019, de la Chambre sociale de la Cour de cassation[1] vient préciser les contours et la sanction de cette obligation de loyauté, admise de longue date en droit du travail français. Désormais, le manquement de l’employeur à l’obligation de négociation loyale du protocole préélectoral est une cause de nullité de ce dernier.
Faits
Une société, en vue de la mise en place d’un comité social et économique (CSE), a invité les organisations syndicales à la négociation du protocole d’accord préélectoral (PAP). Lors d’une première réunion le 5 juillet 2018, se sont ainsi présentés les syndicats CFDT et CFE-CGC, représentatifs dans l’entreprise, ainsi que l’union locale CGT, non représentative.
Lors d’une seconde réunion le 11 juillet 2018, le protocole préélectoral a été signé par l’employeur et les deux organisations représentatives. Les élections ont eu lieu les 13 et 27 septembre 2018.
Procédure
Avant les élections, l’union locale CGT avait pourtant saisi le tribunal d’instance en contestation de ce fameux protocole. Le tribunal a ainsi ordonné l’annulation du protocole signé le 11 juillet et en conséquence, l’annulation des élections de septembre 2018. En effet, le tribunal estime que le syndicat CGT n’avait pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges.
La société se pourvoit en cassation.
Moyens du pourvoi : les demandeurs au pourvoi estiment que :
- Un PAP qui répond aux conditions de validité (c’est-à-dire la condition de la double majorité[2]) ne peut être contesté qu’en ce qu’il contiendrait des stipulations contraires à l’ordre public, notamment si elles méconnaissent les principes généraux du droit électoral. Donc selon la société, dont le PAP signé était valide au regard de la condition de double majorité, la simple circonstance que le syndicat n’ait pas eu accès à toutes les informations ne suffit pas à vicier l’opération électorale, autrement dit le vote. Il n’y avait donc pas lieu d’annuler le protocole et les élections.
- L’obligation de loyauté de l’employeur tient simplement à la mise à disposition des syndicats participant à la négociation préélectorale les éléments nécessaires au contrôle de l’effectif de l’entreprise et de la régularité des listes électorales. Mais, selon la société, l’employeur n’est pas tenu de remettre aux syndicats des données nominatives et confidentielles sur les fonctions et la classification des salariés. L’employeur estime donc ne pas avoir failli à son obligation de loyauté.
Solution : La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Motivation :
- L’employeur, dans le cadre de son obligation de loyauté, est tenu de mettre à la disposition des syndicats participant à la négociation les éléments d’information indispensables à celle-ci. L’employeur ne peut pas refuser de communiquer ces éléments au motif qu’ils sont « nominatifs et confidentiels à des personnes extérieures à l’entreprise. » Ici, l’union locale CGT n’avait pas eu accès aux éléments sur l’identité des salariés et leur niveau de classification, et donc ne pouvait se livrer à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges. L’employeur a donc manqué à son obligation de loyauté.
- « le manquement à l'obligation de négociation loyale constitue une cause de nullité de l'accord, peu important que celui-ci ait été signé aux conditions de validité prévues par l'article L. 2314-6 du code du travail ; » En clair, étant donné que le syndicat avait régulièrement contesté le protocole d’accord préélectoral[3] et que celui a été vicié par manque d’information et défaut de loyauté, il convient d’annuler le protocole, même s’il était parfaitement régulier quant à ses conditions d’adoption (double majorité en l’espèce).
Pour ces raisons, la Cour de cassation a approuvé l’annulation du protocole d’accord préélectoral, et ainsi par voie de conséquence, l’annulation des élections du CSE.
La Cour de cassation confirme ici le principe, admis de longue date, de l’obligation substantielle de loyauté de l’employeur qui doit présider à la négociation collective. L’employeur doit fournir aux syndicats toutes les informations qui leur sont nécessaires pour négocier le protocole préélectoral de manière éclairée. Mais ici, la Chambre sociale alourdit la sanction : en cas de manquement à l’obligation de loyauté, l’accord sera déclaré nul, peu importe qu’il réponde à la condition de double majorité.
[3] Contestation du protocole préélectoral introduite judiciairement avant le premier tour des élections, ou postérieurement par un syndicat n’ayant pas signé le protocole et ayant émis des réserves expresses avant de présenter des candidats