Licenciement d’un salarié en situation de handicap : la lutte contre l’absentéisme est un objectif justifiant le licenciement CJUE 18 janvier 2018, aff. C-270/16, Ruiz Conejero

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- Auteur(e) : Khalida BENZIDOUN

Les faits : 

Monsieur RUIZ CONEJERO est employé en qualité d’agent de nettoyage par un hôpital de CUENCA en Espagne.

M. C est un salarié en situation de handicap avec un taux d’incapacité de 37%. Du fait de son handicap, M. C est parfois en arrêt maladie justifiée.

La législation espagnole, et plus particulièrement L’article 52 décret royal législatif 1/1995, portant approbation du texte refondu de la loi sur le statut des travailleurs, du 24 mars 1995, dispose que «Le contrat pourra être résilié d) pour absences intermittentes au travail, fussent-elles justifiées, qui représentent 20 % des jours ouvrables au cours de deux mois consécutifs lorsque le total des absences au cours des douze mois précédents atteint 5 % des jours ouvrables ou 25 % au cours de quatre mois non consécutifs sur une période de douze mois ».

 

Or en l’espèce, entre 2014 et 2015, M. C a été absent de nombreuses fois, au point de dépasser les maximums prévus par la législation précitée.

 

L’hôpital de CUENCA procède alors à son licenciement.

 

M. C saisit alors le tribunal du travail, il « ne conteste pas la véracité et l’exactitude des informations concernant ses absences ni le pourcentage que celles-ci représentent, mais excipe du fait qu’il existe un lien direct entre lesdites absences et sa situation de personne handicapée. Il sollicite l’annulation de son licenciement au motif que celui-ci constitue une discrimination fondée sur le handicap ».

 

La procédure :

Les tribunaux nationaux décident de saisir la CJUE d’une question préjudicielle[1]  au motif que « les travailleurs handicapés sont plus exposés que les autres travailleurs au risque de se voir appliquer l’article 52, sous d), du statut des travailleurs, que l’employeur ait connaissance de cette situation de handicap ou non. Il existerait ainsi une différence de traitement comportant une discrimination indirecte fondée sur le handicap, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78, sans que cette différence de traitement puisse être objectivement justifiée par un objectif légitime, comme l’exige le point i) de cette disposition ».

Elle s’interroge donc sur l’éventualité d’une discrimination indirecte inhérente à l’application de la législation espagnole.

 

Le tribunal du travail de Cuenca a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La directive 2000/78 fait-elle obstacle à l’application d’une réglementation nationale permettant à l’entreprise de licencier un travailleur pour un motif objectif tiré d’absence[s] intermittentes au travail, fussent-elles justifiées, qui atteignent 20 % des jours ouvrables sur deux mois consécutifs lorsque le total des absences sur les douze mois précédents atteint 5 % des jours ouvrables ou 25 % des jours ouvrables au cours de quatre mois non consécutifs sur une période de douze mois, dans le cas d’un travailleur qui doit être considéré comme handicapé au sens de la directive lorsque cette absence au travail a été causée par son handicap ? »

 

La solution :

La CJUE considère que « L’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’un employeur peut licencier un travailleur pour le motif tiré d’absences intermittentes au travail, fussent-elles justifiées, dans la situation où ces absences sont la conséquence de maladies imputables au handicap dont est atteint ce travailleur, sauf si cette réglementation, tout en poursuivant l’objectif légitime de lutter contre l’absentéisme, n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier ».

 

La motivation :

Le raisonnement de la CJUE se décompose en 3 temps :

  • La CJUE considère que la législation espagnole est bien de nature à créer une discrimination indirecte à l’égard des salariés en situation de handicap : « (…) un travailleur handicapé est, en principe, plus exposé au risque de se voir appliquer l’article 52, sous d), du statut des travailleurs qu’un travailleur valide. En effet, (…), un travailleur handicapé est exposé au risque supplémentaire d’être absent en raison d’une maladie liée à son handicap. Il est ainsi exposé à un risque accru de cumuler les jours d’absence pour cause de maladie et, partant, d’atteindre les limites prévues à l’article 52, sous d), du statut des travailleurs ».
  • Elle estime toutefois que la législation espagnole poursuit un objectif légitime, malgré le risque de discrimination indirecte : « en vue d’augmenter la productivité et l’efficacité au travail, l’absentéisme au travail, qui se manifeste par des congés de maladie intermittents de courte durée, est considéré depuis très longtemps par le législateur espagnol comme une cause d’extinction de la relation de travail, afin d’éviter une augmentation indue du coût du travail pour les entreprises (…) il y a lieu de considérer que la lutte contre l’absentéisme au travail peut être reconnue comme étant un objectif légitime, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78, dès lors qu’il s’agit d’une mesure relevant de la politique de l’emploi ».
  • Elle laisse place à l’appréciation de la juridiction nationale le fait de « vérifier si les moyens mis en œuvre par la réglementation nationale pour réaliser cet objectif sont appropriés et n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

Vous trouverez ci-après l'arrêt de la CJUE dans son intégralité.

 

 

 

[1] Le renvoi préjudiciel permet à des tribunaux nationaux de saisir la CJUE  lorsqu'apparait une question d'interprétation ou de validité relative à la réglementation de l'union européenne . Elle découle de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex art. 234 TCE)