Les propositions du rapport Bellon-Mériaux-Soussan pour le maintien en emploi des seniors

Publics prioritaires

- Auteur(e) : Sara Klack

Un rapport portant sur le maintien en emploi des seniors a été remis le 14 janvier 2020 au Gouvernement. Il s’intitule « favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés ».

Ses rédacteurs sont Sophie BELLON, présidente conseil d’administration de Sodexo; Olivier MÉRIAUX, ancien directeur général adjoint de lAgence nationale pour lamélioration des conditions de travail; et Jean-Manuel SOUSSAN, directeur général adjoint en charge des RH chez Bouygues Constructions.

 

Le préambule de cet accord souligne l’urgence de ce problème de société, tout en constatant qu’il s’est étendu dans le temps au fil des différentes politiques publiques, si bien que dans la société actuelle, y remédier n’est pas aisé et nécessite « un processus de remise en question profonde des pratiques ancrées de longue date ».

Note: Cette problématique est au coeur de l’actualité, étant notamment en lien avec la réforme des retraites. En effet, si l’âge légal de la retraite vient à reculer afin de garantir l’équilibre du régime, il est alors primordial de tout mettre en oeuvre pour assurer le bon maintien en emploi des travailleurs âgés.

 

Le rapport Bellon-Mériaux-Soussan s’organise principalement en deux blocs.

-Dans un premier temps, le rapport présente des éléments de constat et de diagnostic sur l’emploi des séniors (I).

-Puis dans un deuxième temps, il donne une liste de propositions pour favoriser « le vieillissement actif au travail » et faciliter l’emploi des travailleurs expérimentés, le tout articulé en 5 axes (II).

Finalement, les rédacteurs terminent leurs travaux par une conclusion générale énonçant plusieurs recommandations (III).

 

 

I)       Éléments de constat et de diagnostic sur l’emploi des seniors

 

Note : Le terme « seniors » est une notion subjective. Lorsqu’il est employé afin de désigner les travailleurs âgés sur le marché du travail, il faut l’entendre au sens des personnes qui arrivent en fin de carrière. La signification peut donc varier en fonction du type de profession. Ce rapport se fonde de manière globale sur la tranche d’âge des 55-64 ans.

Le diagnostic proposé repose sur les publications récentes de la DARES, la DREES, le COR, France Stratégie, le CAE et l’OCDE. Il s’agit de données chiffrées dont les rédacteurs du rapport tirent des conclusions.

 

2 constats sont ainsi mis en avant :

1° Bien que le taux d’emploi des seniors se soit redressé ces vingts dernières années en France,  il reste inférieur à celui de la majorité des pays européens. De plus, une partie des seniors connait des fins de carrière difficiles.

De 2007 à 2018, les taux d’activité et d’emploi des travailleurs âgés ont subi une évolution notable. En effet, le taux d’emploi pour les 55-64 ans s’est élevé de 13,9 points sur cette période. Cette progression est d’autant plus remarquable que le taux d’emploi de l’ensemble de la population en âge de travailler a augmenté beaucoup plus modestement de 1,6 points seulement.

Il reste néanmoins faible en comparaison internationale : le taux d’emploi des 55-64 ans en France (52,1%) est inférieur de 6,6% au taux moyen de l’UE et très inférieur au taux de certains autres pays du coeur et Nord de l’Europe comme la Suède ou l’Allemagne.

En revanche, le taux d’emploi des 55-59 ans se situe plus ou moins au niveau de la moyenne européenne avec 72,1%, ce qui laisse tout de même la France derrière une dizaine de pays de l’UE. Concernant les 60-64 ans, leur taux d’emploi en France demeure l’un des plus bas des pays avancés: 31,0%.

Note : Il faut cependant apprécier ces données en tenant compte de facteurs propres à chaque pays : développement massif du temps partiel aux Pays-Bas, risque de pauvreté monétaire bien plus important lors du passage à la retraite en Suède (…).> Ces facteurs constituent une forte incitation à prolonger leur activité pour certains seniors.

La situation économique et la performance globale en matière demploi sont également meilleures que celles de la France pour une majorité de pays européen.

Le taux de chômage des seniors a augmenté au cours de la décennie passée et s’élève à 6,5% pour les +55 ans en 2018. Ce taux reste néanmoins inférieur à celui de l’ensemble des actifs en âge de travailler (9,1% en 2019).

De plus les chômeurs seniors connaissent des difficultés plus importantes de retour à l’emploi que les chômeurs des autres classe d’âge. La part de chômeurs de longue durée chez les seniors est plus importante, ce qui élève le taux de chômage de longue durée chez les +55ans au même niveau que le taux de lensemble des actifs.

En période de transition vers la retraite, une proportion sensible des assurés passe par des périodes de chômage ou d’inactivité entre leur sortie définitive du marché du travail et leur départ à la retraite. En moyenne sur les années 2016-2018 à l’âge de 60ans: 28% des personnes ni en emploi ni à la retraite.

 

 

2° Les rédacteurs du rapport soulignent que d’importants enjeux demeurent pour conforter la poursuite de l’allongement des carrières dans des conditions favorables à l’économie et aux travailleurs âgés.

Ils expliquent que le redressement du taux d’emploi des seniors de ces dernières années est la résultante des réformes du système de retraite.

Les conditions de départ à la retraite ont été durcies du fait des actions prises pour lever les tensions sur le financement des retraites: augmentation du taux de prélèvement sur les revenus d’activité + diminution de la pension moyenne relative + augmentation significative de l’âge moyen de départ en retraite sur période récente: 62 ans et 1 mois en 2017.

Mesures liées:

-les pouvoirs publics ont restreint les dispositifs de cessation anticipée d’activité à partir du début des années 2000 + extinction des dispositifs de préretraite à financement public (sauf CAATA).

—> Ces mesures ont affecté fortement les évolutions du taux d’emploi des seniors de 55-64 ans sur la période récente et laissent entendre une poursuite de la hausse des taux d’activité des seniors à moyen-long terme.

 

 

II) Des propositions pour favoriser « le vieillissement actif au travail » et faciliter l’emploi des travailleurs expérimentés.

 

Bien qu’il y ait eu des tentatives de la Commission européenne en 2012 ou des mesures prises dans le champ du travail et du dialogue social notamment avec laccord-cadre autonome « sur le vieillissement actif et lapproche intergénérationnelle » signé en mars 2017 par les partenaires sociaux européens, « Force est de constater que la France est lun des pays européens dans lequel lapproche du « vieillissement actif » et les divers instruments qui la portent ont eu le moins d’échos et de traductions opérationnelles, tant du côté des pouvoirs publics que des partenaires sociaux. ».

 

Les rédacteurs du rapport ont organisé leurs 38 propositions en 5 axes, chaque axe composé de plusieurs objectifs.

Toutes les propositions s’inscrivent dans une même ligne directrice : « rompre avec la vision défensive dominante depuis des décennies dans notre pays (et dont rend bien compte le terme de « maintien en emploi ») pour engager une bascule vers une stratégie préventive globale de maintien de la capacité de travail des salariés à tous les âges. ».

 

    AXE 1. Mettre les enjeux du vieillissement au coeur des politiques de prévention et de santé au travail

Il s’agit d’une problématique majeure pour les entreprises et les pouvoirs publics. « Le soutien à lactivité des travailleurs âgés passe nécessairement par une action volontariste pour développer la qualité de vie au travail et maintenir en bonne santé tous les travailleurs, quelles que soient leurs caractéristiques. »

Cette proposition met en avant un objectif d’amélioration du dispositif de prévention de l’usure afin qu’il réponde davantage aux enjeux de l’allongement de la vie professionnelle. Cette amélioration peut passer par l’abaissement des seuils déclenchant l’obligation de négocier un accord de prévention de la pénibilité et celle de traiter des thèmes de l’aménagement des fins de carrière dans les accords et plans d’action, ainsi que le renforcement de l’accompagnement individuel des salariés ayant ouvert des droits à la pénibilité afin d’activer davantage le C2P. Il serait également utile d’améliorer les synergies entre médecin du travail, médecin traitant et entreprise afin de mieux anticiper les actions d’adaptation nécessaires du fait de la réduction progressive des capacités de travail avec l’âge.

 

    AXE 2. Prévenir les risques d’obsolescence des compétences en seconde partie de carrière et favoriser la transmission des savoirs

Il serait judicieux pour cela de faire en sorte que les plans de développement des compétences des entreprises soient davantage orientés vers la réponse aux enjeux du maintien de l’employabilité à long-terme.

Un des objectifs serait de renforcer les outils de développement des compétences à l’abord de la seconde partie de carrière, en mettant en place un bilan de compétences « salarié expérimenté » ( à partir de 20 ans d’expérience) ou en incluant dans l’entretien professionnel biannuel le sujet de la seconde partie de carrière du salarié lorsque celui-ci a plus de 20 ans d’activité professionnelle.  La réalisation de cette objectif pourrait également passer par le déplafonnement du compte personnel de formation pour les salariés à partir de 45 ans par accord d’entreprise.

 

    AXE 3. Faciliter et organiser les mobilités et transitions professionnelles favorables au maintien en emploi

Un salarié mobile augmente ses chances de garder un emploi.

À ce titre, une simplification de la procédure de mise à disposition temporaire de salariés au sein d’un même groupe permettrait de faciliter la mobilité interne. Une autre proposition serait de permettre aux salariés des entreprises de moins de 300 salariés de pouvoir bénéficier d’une mobilité volontaire sécurisée et relancer une communication sur le dispositif.

 

    AXE 4. Favoriser des transitions plus progressives entre « pleine activité » et « pleine retraite »

Pour cela les rédacteurs proposent d’étendre le dispositif de retraite progressive peu mis en oeuvre aux salarié « au forfait jour », aux professions libérales et aux agents publics.

Ils proposent également d’agir sur le Cumul Emploi-Retraite en l’élargissant et le rendant plus attractif : un moyen d’y parvenir serait de rendre créatrices de droits à la retraite les cotisations prélevées sur les revenus d’activité exercée dans le cadre d’un cumul emploi-retraite à taux plein.

Un autre objectif est de favoriser des logiques d’aménagement de fin de carrière en mettant en oeuvre un « droit de demander » un aménagement raisonnable de l’organisation du travail pour les salariés de plus de 50 ans (Ex: passage à temps partiel).

De plus, le rapport prend en compte la responsabilité des employeurs qui gardent leurs salariés jusqu’à la retraite et qui sont défavorisés fiscalement de ce fait et propose comme solution d’expérimenter une bonification à compter de 57 ans pour les salariés licenciés (sous condition d’ancienneté) convertible en rachat de trimestres/points pour la retraite.

 

    AXE 5. Accélérer la transformation culturelle des organisations pour faire évoluer les représentations

Les travailleurs seniors sont souvent perçus comme une charge, un problème à régler au sein des entreprises, or ils peuvent souvent représenter un atout à exploiter du fait de leur expérience et leurs compétences.

Il est donc nécessaire de trouver des moyens de les inclure, et ceci peut passer par la valorisation des bonnes pratiques dans les entreprises. Le rapport propose d’initier des programmes de recherche et développement sur la valeur de l’expérience, et d’encourager la systématisation de critères relatifs à l’inclusion des travailleurs expérimentés dans les « labels diversifiés ». 

 

III) Conclusion

 

Les rédacteurs du rapport jugent important de rappeler que les transformations à engager sont avant tout de nature culturelle, bien que les propositions de ce rapport soient formulées dans une optique technique et juridique.

Il est nécessaire dagir sur la conception même des travailleurs âgés au sein des entreprises. En effet, le plus souvent ces seniors sont perçus comme un coût et un facteur de rigidité. Il faudrait alors une prise de conscience des décideurs dans lentreprise de la ressource que représentent ces travailleurs expérimentés.

Certes les évolutions récentes en matière de droit du travail sont propices à la construction de solutions et les « bonnes pratiques » d’entreprise sont de plus en plus nombreuses, néanmoins encore faut-il que celles-ci soient ouvertes à toutes les catégories de salariés et d’entreprises.

Un des buts poursuivis est d’« élever le niveau d’ambition collective en matière de gestion du vieillissement »; et pour ce faire, des actions de la part à la fois des pouvoirs publics, des entreprises et également des acteurs du dialogue social sont requises.

 

Vous trouverez ci-dessous:

-une synthèse sous forme de tableaux reprenant les principaux éléments du rapport et dressant la liste des 38 propositions.

-le Rapport Bellon-Meriaux-Soussan dans son intégralité.