Les propositions de la mission parlementaire "Poisson" sur la pénibilité au travail présentées dans un rapport intitulé "prévenir et compenser la pénibilité au travail" .

Conditions du travail

- Auteur(e) : Tiphaine Garat

 

 

Jean-Frédéric Poisson, député UMP et président-rapporteur de la mission d’information sur la pénibilité au travail, a présenté les conclusions de ses travaux, le 27 mai, devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée dans un rapport intitulé "prévenir et compenser la pénibilité au travail" . Cette mission a été mise en place par les députés en novembre dernier pour établir un état des lieux et formuler des propositions sur le sujet.

 

Parallèlement, la négociation des partenaires sociaux sur la pénibilité est toujours dans l’impasse. A ce titre, les propositions de ce rapport sont une invitation à continuer le travail de négociation engagé par les partenaires sociaux « peut être non plus sur les principes du traitement de la pénibilité, mais éventuellement sur les modalités de mise en place des systèmes de traitement et de prise en charge ».

 

Dans son rapport, Jean-Frédéric Poisson, définit la pénibilité au travail comme "le résultat de sollicitations physiques et psychiques qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de la demande sociale, sont excessives en regard de la physiologie humaines et laissent à ce titre, des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé et l’espérance de vie d’un travailleur".

 

Cette définition doit servir à cerner le champ d’application des mesures de prévention et à définir le champ d’application d’éventuelles mesures de compensation ou de réparation.

 

Cette définition présente quelques caractères :

 

   elle est évolutive

 

   elle est liée à l’organisation des activités productives : il doit revenir aux partenaires sociaux dans les branches professionnelles de déterminer si leur secteur d’activité est concerné par la pénibilité ainsi définie.

 

   Elle s’appuie sur l’existence de « sollicitations physiques ou psychiques ». Le « ou » employé est inclusif : la pénibilité peut résulter du cumul des deux types de sollicitations ou de l’un des deux types.

 

   Le rapporteur considère qu’aussi bien la santé du travailleur que son espérance de vie doivent être altérées pour que soit identifiée l’existence d’une pénibilité.

 

Le rapport fait d’une part des propositions concernant la prévention de la pénibilité et d’autre part des propositions concernant la compensation de la pénibilité.

 

A. Les propositions concernant le volet « prévention de la pénibilité »

 

1. Organiser une campagne nationale de prévention ciblée, pragmatique et participative

 

2. Renforcer la formation de l’encadrement aux questions liées à la pénibilité et aux conditions de travail, tant sur le plan matériel au regard de l’ergonomie que sur le plan psychologique, afin notamment de minimiser le stress

 

3. Renforcer la présence et le rôle des CHSCT en la matière

 

  Les CHSCT devraient pouvoir bénéficier d’un budget spécifique permettant de réaliser des expertises, de recourir à des ergonomes du travail et d’être assistés par des psychologues. Le rapport préconise de renforcer la pluridisciplinarité au sein des CHSCT.

 

  Dans la perspective d’un renforcement du rôle et des prérogatives des CHSCT, le rapport propose d’aller vers une élection puis un statut spécifique de ces salariés et une formation obligatoire aux thématiques liées à la santé et à la pénibilité au travail.

 

  Afin de valoriser ces différentes missions, le rapport encourage à ce que les mécanismes de validation des acquis de l’expérience puissent prendre en compte les responsabilités et les compétences acquises dans leur exercice.

 

  Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, le rapport précise que les compétences nouvelles seraient automatiquement attribuées aux délégués du personnel.

 

  Enfin, « les entreprises qui ne feraient pas le nécessaire en matière de prévention, notamment pour la mise en place des CHSCT, ou qui ne répercuteraient pas dans leur organisation les mesures de prévention identifiées chez elles comme nécessaires, doivent faire l’objet de sanctions financières ».

 

4. Inciter à l’aménagement et l’adaptation des postes de travail en vue de réduire la pénibilité au travail par une défiscalisation totale des dépenses engagées à cette fin

 

En particulier, les dépenses d’expertise en ergonomie devraient pouvoir être incluses.

 

5. Réformer et simplifier le document unique de prévention et d’évaluation des risques professionnels

 

Les inspecteurs du travail pourraient être sollicités pour fournir une aide pratique à la réalisation de ce document et à sa "vie" dans l’entreprise.

 

6. Elargir la GPEC à la prévention de la pénibilité, afin d’accompagner l’évolution des parcours professionnels des salariés concernés

 

Avant l’âge de 45 ans, les salariés devraient pouvoir exprimer des vœux d’évolution professionnelle. La GPEC pourrait planifier le reclassement des salariés usés et la formation qui l’accompagne. Des négociations de branches pourraient définir les modalités de mise en place de ces aménagements de carrière.

 

7. Renforcer le rôle des intervenants locaux et réseaux d’expertise extérieurs aux entreprises en doublant le budget annuel du réseau ANACT-ARACT

 

8. Réformer la médecine du travail, notamment en vue d’une meilleure articulation entre celle-ci, le CHSCT et l’employeur

 

La mission préconise que les conclusions du rapport des Inspections générales des affaires sociales et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche d’octobre 2007 soient suivies.

 

B. les propositions concernant le volet « compensation de la pénibilité »

 

9. Etudier la mise en place d’un curriculum laboris

 

Ce relevé, suivant chaque salarié tout au long de sa carrière, permettrait de connaître précisément, en fin de carrière, les diverses expositions à la pénibilité subies par un travailleur, soit au moment de la mise en œuvre d’un dispositif de réparation de la pénibilité, soit après l’âge de 45 ans pour la gestion des secondes carrières. Ce relevé pourrait consister, soit en un document unique tenu par l’employeur, soit en une fiche d’entreprise tenue par le médecin du travail.

 

Si la mission considère que l’idée est bonne, elle estime néanmoins que sa mise en place est « difficilement réalisable en pratique ». En effet, le curriculum laboris exige un très long délai pour s’appliquer à l’ensemble des salariés en activité. En outre, il conviendrait de régler cinq difficultés :

 

   la prise en compte des emplois occupés à l’étranger

 

   la procédure de rectification a postériori (dans quel délai ?) et de règlement des litiges portant sur les informations contenues dans le document ou ses lacunes

 

   la détermination du rôle des régimes d’assurance vieillesse par rapport aux employeurs dans l’exploitation des données

 

   le risque que le curriculum laboris soit un frein à l’embauche de salariés ayant été exposés longuement à des facteurs de pénibilité

 

   le fait qu’il s’agit d’un dispositif dont les effets sont attendus au terme de plusieurs années, donc dans un temps où le monde du travail et celui de la santé publique auront évolué d’une manière qu’il est rigoureusement impossible de prévoir ou d’imaginer.

 

Mais la difficulté du système peut également venir du salarié lui-même qui peut s’opposer à ce qu’il pourrait considérer comme une intrusion dans sa vie personnelle.

 

C’est pourquoi, compte tenu des nombreux opérationnels à régler, la mission estime qu’il doit faire l’objet d’un travail spécifique devant aboutir à la définition d’un calendrier de mise en place.

 

10. Ouvrir la possibilité d’une réduction de temps de travail en fin de carrière ou d’un départ anticipé à la retraite

 

Deux dispositifs seraient ouverts :

 

A. Les travailleurs dont la carrière pénible aurait été reconnue se verraient ouvrir de plein droit une réduction de leur temps de travail jusqu’à la date de leur départ en retraite, avec le maintien de leur rémunération et de l’ensemble des clauses salariales de leur contrat (revalorisation, avancement, droit à congés...). Cette réduction du temps de travail pourrait osciller, par exemple, entre un quart et un tiers de leur temps de travail contractuel. Cette clé de répartition devrait être étudiée par les partenaires sociaux qui devraient proposer au gouvernement les taux qui leur paraissent les mieux adaptés.

 

La charge induite par cette réduction du temps de travail serait supportée, par exemple :

 

   pour moitié par l’entreprise, qui continuerait ainsi de payer le salarié à hauteur de son salaire contractuel, moins la moitié de la réduction de salaire induite par la reconnaissance de la pénibilité.

 

   Pour moitié par les comptes publics, par le biais de laquelle la solidarité nationale jouerait son rôle à l’égard des salariés ayant eu une carrière pénible. Cette clé de répartition par moitié devrait être étudiée par les partenaires sociaux qui devraient proposer au gouvernement les taux qui leur paraissent les mieux adaptés.

 

B. Pour les travailleurs usés, qui ne seront pas en mesure de poursuive leur activité professionnelle mais qui ne seront pas éligibles aux dispositifs d’inaptitude au travail ou d’invalidité, la mission considère qu’une mesure de retraite anticipée, négocié par les partenaires sociaux dans les branches professionnelles, paraît être la mieux adaptée.

 

Il ne s’agirait pas d’une mesure de cessation anticipée car le lien contractuel de travail ne serait pas maintenu.

 

La mission encourage les partenaires sociaux à engager des discussions pour :

 

  définir précisément les branches professionnelles et en leur sein les métiers ou activités concernés par la réparation de la pénibilité

 

  définir, au sein de ces branches, les conditions de déroulement de carrière ouvrant droit aux dispositifs

 

  faire examiner les personnes ainsi potentiellement éligibles par une commission médicale idoine, dès que les circonstances de carrière sont réunies, afin que cette commission prononce leur admission à un des dispositifs si elle constate une altération irréversibles de la santé du travailleur du fait de cette pénibilité.

 

Face aux dossiers qui lui seraient transmis, celle-ci aurait donc à choisir entre trois options :

 

   le rejet de la demande de compensation du fait que les critères d’éligibilité et d’atteinte à la santé ne sont pas réunis

 

   le prononcé d’une mesure d’aménagement de fin de carrière avec compensation salariale

 

   le prononcé d’une mesure de retraite anticipée si la précédente option ne peut pas être mise en œuvre compte tenu de l’état de santé du travailleur.

 

La mission précise que dans l’hypothèse où les partenaires sociaux n’aboutiraient pas, il conviendrait que le législateur reprenne directement en charge ces différentes définitions.

 

Quid du cout de cette mesure ?

 

En s’appuyant sur les données de l’enquête épidémiologique SUMER 2003, la mission évalue le coût global possible d’une telle mesure entre 1,5 milliard d’euros et 6 milliards d’euros dont la moitié serait pris en charge par les comptes publics. Néanmoins, la mission rappelle que si la mesure proposée se traduit par une dépense publique substantielle directe, elle est cependant de nature à induire un effet vertueux sur les comptes publics. En effet, contrairement à une mesure de retraite anticipée ou à ce qui se pratique actuellement et qui consiste à mettre les salariés usés par la pénibilité en arrêt maladie, en invalidité, au chômage et à faire supporter par la branche des AT-MP les préjudices causés par la pénibilité, la mesure d’aménagement du temps de travail en fin de carrière qui leur est proposée permettrait de maintenir les seniors dans l’emploi actif, ce qui maintiendrait les versements de cotisations pour la branche vieillesse, éviterait des dépenses d’indemnisations pour les Assedics et serait de nature à réduire les dépenses AT-MP, et donc les cotisations dues par les entreprises, ainsi que les dépenses de solidarité engagées en cas de mise en invalidité ou au chômage.