La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, médiatiquement plus connue sous le nom de loi « El Khomri » ou encore loi « Travail », a modifié de façon substantielle les règles juridiques applicables à certains aspects de la relation de travail.
Le livre V, intitulé « moderniser la médecine du travail », s’attache à désengorger les services de santé au travail tout en assurant un suivi plus adapté à la santé de chaque salarié. Elle simplifie par ailleurs la procédure de constatation de l’inaptitude.
Ces modifications, qui ont conduit à une modification en profondeur des articles existants et à la création de nouveaux articles, vont impacter profondément le régime actuellement en vigueur. Cependant, de nombreux points restent en suspens. Les projets de décrets d’application ont été soumis au COCT. Nous en faisons mention en rappelant qu’il ne s’agit que de projets et que le contenu peut évoluer (vous retrouverez ces informations en italique)
Toutes les dispositions entreront en vigueur à la date de publication des décrets pris pour leur application, et au plus tard le 1er janvier 2017.
- Un suivi médical adapté à chaque salarié
Tout en ancrant dans le code du travail le principe d’un suivi individuel de l’état de santé de tous les salariés (C.trav., art.L4624-1, a. l1), la loi « Travail » cible l’activité des services de santé au travail sur certains salariés. Dans tous les cas, ce suivi individuel sera assuré par le médecin du travail, et sous l’autorité de celui-ci, par le collaborateur médecin, l’interne en médecine du travail et l’infirmier.
Quelles sont les mesures prévues ?
- Suppression de la visite médicale d’embauche pour les salariés affectés à des postes ne présentant pas de risque particulier
- Espacement des visites médicales périodiques
- Maintien du principe de la visite médicale d’embauche au profit des salariés occupant des postes à risques
Avant | Après |
Visite d’embauche destinée à permettre au médecin du travail d’évaluer l’aptitude du salarié à son poste de travail avant son embauche ou au plus tard l’expiration de sa période d’essai (art. R4624-10)
| Visite d’information et de prévention après l’embauche, qui peut être effectuée par médecin du travail, le collaborateur médecin, l’interne en médecine du travail ou l’infirmier (art. L4624-1)
Maintien d’un suivi individuel renforcé comprenant un examen médical d’aptitude au profit des salariés occupant des postes à risque. Sont concernés tout travailleur affecté à un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité ou pour celles de ses collègues pour des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail art L 4624-2 (Les postes présentant des risques particuliers mentionnés au premier alinéa de l’article L. 4624-2 comprennent notamment ceux exposant les travailleurs :
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Visites périodiques réalisées par le médecin du travail au moins 1 fois tous les 2 ans (art. R4624-16 | Fréquence des visites médicales adaptée à la situation de chaque salarié (art. L4624-1) et prenant en compte :
La loi précise toutefois que tout salarié qui anticipe un risque d’inaptitude pourra solliciter une visite médicale afin d’engager une démarche de maintien dans l’emploi (art. L4624-1 al.5). |
| Les exceptions :
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| Exception : les travailleurs de nuit (art. L4624-1 al.7) Suivi individuel régulier de leur état de santé, selon une périodicité fixée par le médecin du travail, en fonction des particularités du poste occupé et des caractéristiques du travailleur. |
| Exception : les salariés handicapés ou titulaire d’une pension d’invalidité (L4624-1) Suivi individuel adapté à leur état de santé par le médecin du travail |
| Cas particulier : les salariés temporaires et en CDD Suivi individuel d’une périodicité équivalente à celle des salariés en CDI (en attente du décret qui devrait adapter le dispositif, notamment concernant les modalités d’information de l’employeur, les modalités d’hébergement des dossiers médicaux et les modalités d’échanges d’informations entre médecin du travail)
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- Le régime de l’aptitude profondément modifié
Dans une rubrique intitulée « moderniser la médecine du travail », l’article 102 de la loi modifie en profondeur les règles applicables en matière d’inaptitude du salarié, domaine qui a suscité ces dernières années un abondant contentieux.
Ces mesures vont concerner :
- Le rôle clé du médecin du travail en matière d’aptitude
- La présomption d’aptitude à la suite d’un accident ou d’une maladie
- Les formalités liées à la déclaration d’inaptitude
- La procédure de reclassement
- La portée de l’obligation de reclassement
- Le licenciement pour inaptitude
L’aptitude au travail : le rôle clé du médecin du travail (MT)
Avant | Après |
Les notions d’aptitude et d’inaptitude n’étaient pas expressément définies par le code du travail. Ces situations étaient seulement envisagées sous l’angle de la procédure de constatation, par le médecin du travail (MT), d’un tel état et de leurs conséquences pour le salarié et l’employeur. | La loi définie la notion d’inaptitude. Un salarié est déclaré inapte par le MT lorsque celui constate, après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l'équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l'employeur, qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible, et que l’état de l’intéressé justifie un changement de poste (L4624-4). A contrario, le salarié doit être déclaré apte si son état lui permet d’être réintégré sur son poste, à l’identique ou après prise en compte des préconisations formulées par le MT s’il rend un avis d’aptitude avec réserves. |
Pour favoriser le maintien dans l’emploi, le MT était habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs (art. L4624-1)
| La loi « Travail » complète et précise la liste des mesures de prévention du MT (L4624-3). Il pourra s’agir de mesures :
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L’employeur était tenu de prendre en considération les propositions du MT et, en cas de refus, de faire connaitre les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite (art. L4624-1)
| Si l’employeur refuse de les appliquer, il doit le faire savoir au salarié et au MT, par un écrit motivé (art. L4624-6). |
En cas de difficulté ou de désaccord, l’employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l’inspecteur du travail. Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail.
| En cas de difficulté ou de désaccord, l’employeur ou le salarié devra saisir en référé le conseil des prud’hommes pour demander la désignation d’un médecin expert près la Cour d’appel (art. L4624-7). Le demandeur devra informer le MT d’une telle procédure. |
Présomption d’aptitude à la suite d’un accident ou d’une maladie
Avant | Après |
Le salarié bénéficie d’un examen de reprise du travail par le MT (art L1226-8, R4624-21 et 22 CT), qui seul mettait fin à la période de suspension du contrat après :
A l’issue de cette visite de reprise, le salarié retrouvait son emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente lorsqu’il était déclaré apte par le MT. | La loi « Travail » gomme ces différences de prise en charge entre inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle et institue une présomption d’aptitude après l’arrêt de travail: A l’issue des périodes de suspension du contrat de travail qui font suite à un accident du travail ou une maladie (professionnels ou non), le salarié retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente sans qu’il soit fait mention de la nécessité préalable qu’il soit déclaré apte par le médecin du travail.
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La notion d’inaptitude n’était pas expressément définie par le code du travail. | La loi précise qu’un salarié pourra être déclaré inapte :
En conséquence, l’inaptitude du salarié impose de chercher un emploi de reclassement au salarié, sauf avis express contraire du MT |
Les formalités liées à la déclaration d’inaptitude
Avant | Après |
Sauf cas particuliers (voir infra), le MT ne pouvait déclarer le salarié inapte à son poste de travail qu’après 2 examens médicaux espacés de 2 semaines (L1226-2 et L1226-10) et après avoir réalisé une étude de poste et une étude des conditions de travail dans l’entreprise (R4624-31).
Cas particuliers (inaptitude après une seule visite) (art R4624-31) :
| La loi simplifie la procédure : Le MT pourra constater l’inaptitude après (L4624-4):
Une fois sa décision prise, le MT doit recevoir le salarié en rendez-vous pour échanger avec lui sur cette décision et sur les indications ou propositions qu’il compte adresser à l’employeur (art L4624-5)
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Le MT rédige un avis d’inaptitude sans suivre un formalisme bien précis (sauf inaptitude d’origine professionnelle, voir infra). Il estime alors que le salarié est inapte à son poste mais apte à exercer d’autres fonctions ou inapte à tout poste dans l’entreprise. Le code du travail ne lui imposait pas de formuler des préconisations (c’était à l’employeur de solliciter le MT).
| Pour aider l’employeur dans sa recherche de reclassement, le MT aura l’obligation de joindre à l’avis d’inaptitude :
Il devra recevoir au préalable le salarié en entretien afin d’échanger sur les propositions de reclassement. Le MT peut proposer à l'employeur l'appui de l'équipe pluridisciplinaire ou celui d'un organisme compétent en matière de maintien en emploi pour mettre en œuvre son avis et ses indications ou ses propositions (art.L4624-5). |
L’employeur était tenu de prendre en considération les propositions du MT et en cas de refus, « de faire connaitre les motifs qui s’y opposent ». Le code du travail n’imposait pas à l’employeur de les formaliser par écrit (art L4624-1). | L’avis d’inaptitude physique du salarié, assorti des conclusions du MT s’impose à l’employeur. Si ce dernier refuse de les appliquer, il doit le faire savoir au salarié et au MT, par un écrit motivé (art L4624-6). |
En cas de difficulté ou de désaccord, l’employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l’inspecteur du travail. Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail.
| En cas de difficulté ou de désaccord, l’employeur ou le salarié devra saisir en référé le conseil des prud’hommes pour demander la désignation d’un médecin expert (L4624-7). Le demandeur devra informer le MT d’une telle procédure. |
Procédure reclassement
Avant | Après |
L’ (les) emploi(s) proposé(s) par l’employeur au titre du reclassement doi(ven)t être aussi comparable(s) que possible à l’emploi précédemment occupé au moyen de mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail | Outre des mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail, l’employeur pourra recourir à des aménagements ou adaptations de poste existant |
Régime particulier pour les inaptitudes d’origine professionnelle (suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle)
| La loi unifie le régime de l’inaptitude.
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Portée de l’obligation de reclassement
Avant | Après |
Plusieurs cas de figures pouvaient se présenter :
| Quelle que soit l’origine de l’inaptitude, l’employeur sera présumé avoir satisfait à son obligation (art. L1226-2-1, L1226-2, L1226-10 et L1226-12) :
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Il existait un seul cas de dispense de recherche de reclassement par le MT en cas de risque pour la santé du salarié :
| La loi « Travail reprend la même formulation pour ce premier motif d’exonération, mais il s’applique quelle que soit l’origine de l’inaptitude. Sont également concernés les salariés en CDD (art.L1226-20) La loi « Travail » créé un nouveau et deuxième cas de dispense de la recherche d’un reclassement : l’employeur pourra licencier le salarié sans avoir recherché un reclassement si le MT mentionne expressément dans son avis que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » (art L1226-12 et L1226-2-1).
Sont également concernés les salariés en CDD L1226-20 |
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Obligation de reclassement de l’employeur : après un refus, les juges exigeait jusqu’à présent que l’employeur devait faire de nouvelles offres au salarié, jusqu’à épuisement des possibilités de reclassement. | La loi introduit une notion de refus d’emploi de reclassement. Ainsi, l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail (art L1226-2-1). Cet alinéa restreint-il l’obligation de reclassement de l’employeur ? Si on l’interprète à la lettre, on comprend qu’à partir du moment où l’employeur aura fait au moins une offre de reclassement répondant à ces conditions et que le salarié refuse, il aura satisfait à son obligation de reclassement et pourra engager la procédure de licenciement.
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Le licenciement pour inaptitude
Avant | Après |
L’employeur peut licencier le salarié inapte :
| La loi complète les motifs de licenciement (art. L1226-12 et L1226-2-1) :
Ces motifs s’appliquent quelle que soit l’origine de l’inaptitude, que le salarié soit en CDD ou CDI |
Le code du travail ne prévoyait une notification écrite au salarié de l’impossibilité de le reclasser qu’en cas d’inaptitude résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle | Cette notification est obligatoire quelle que soit la cause de la maladie ou de l’accident (art.L1226-2-1) |
- Les passages en italique sont extraits des projets de décrets en cours de validation