Les juges de cassation gardiens du droit de l'expression directe et collective des salariés

Qualité de vie au travail
Conditions du travail

- Auteur(e) : Altina POTOKU

La plainte d’un salarié de la surcharge mentale subie, exprimée dans le cadre d’une réunion d’expression collective constitue-elle un abus au droit de l’expression ? Un salarié peut-il se permettre de critiquer ouvertement les pratiques managériales de son supérieur hiérarchique, en se rapportant uniquement à son cas individuel ?  C’est à ces questions, que les juges ont répondu dans cette décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation, le 21 septembre 2022.

En l’espèce, un salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse par son employeur, au motif que lors d’une réunion d'expression collective des salariés il a, en présence de la direction et de plusieurs salariés de l'entreprise, remis en cause les directives qui lui étaient données par sa supérieure hiérarchique, en lui reprochant la provocation d’une surcharge mentale.  L’employeur accusant le salarié de l’altération de l’état de santé du supérieur hiérarchique, et de l’abus de son droit d’expression procède par un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le salarié saisit le conseil de prud’hommes à l’encontre de son employeur en contestant son licenciement pour cause réelle et sérieuse. L’employeur interjette appel devant la cour d’appel de Lyon, en contestant le jugement des juges de première instance. C’est ainsi que le salarié forme un pourvoi devant les juges de cassation. Ce dernier reproche aux juges de fond d’avoir considéré que ses déclarations caractérisaient un comportement fautif en l’analysant comme un acte d'insubordination, une attitude de dénigrement justifiant ainsi le licenciement pour cause réelle et sérieuse par l’employeur.

Cependant, la Cour de cassation vient casser et annuler l’arrêt rendu par les juges de fond, en leur reprochant la violation des articles L.281-1 et L.2281-3 du code du travail. Selon ces dispositions, les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise. Les juges refusent de caractériser l’abus du droit de l’expression directe et collective par le salarié. En effet, il ressort de cette décision que les opinions que le salarié émet dans l'exercice de ce droit de l’expression directe et collective ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement, sauf en cas d’abus. En statuant dans ce sens, la Cour se montre protectrice à l’égard du droit de l’expression directe et collective dont les salariés sont titulaires.

L'employeur qui entend se positionner sur le terrain disciplinaire devra relever le défi de réussir à démontrer un véritable abus. Cette démonstration devra être particulièrement soignée et riche, et la seule mention, en l’espèce, d'un impact des propos sur un collègue visé n'était pas un élément suffisant pour caractériser l’abus du droit de l’expression.

Cette solution semble venir s’installer dans une lignée jurisprudentielle en matière de liberté d'expression. Il avait en effet encore récemment été confirmé que « sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression » (Soc. 29 juin 2022, n° 20-16.060). De plus, la tendance actuelle jurisprudentielle se montre donc  assez exigeante pour reconnaître un véritable abus justifiant le licenciement du salarié.

La chambre sociale semble donc veiller à ce que la parole du salarié soit attendue, et que finalement il s’agit d’une une solution logique car on ne peut pas réellement venir réguler de manière efficace les conditions de travail et la qualité de vie au travail, si finalement les salariés n’ont pas la possibilité de s’exprimer librement sur les conditions d’exercice de leur activité et les difficultés qu’ils rencontrent au travail.