Le temps de trajet domicile-client des salariés itinérants peut dans certains cas constituer un temps de travail effectif

Emploi
Gestion de l'emploi

- Auteur(e) : Altina POTOKU

Le code du travail prévoit que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. (Article L.3121-4 alinéa 1 du code du travail)

Toutefois, le code du travail prévoit une contrepartie (repos ou compensation financière) lorsque le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu de travail habituel est dépassé. (Article L.3121-4 alinéa 2)

 

Dans un arrêt rendu le 23 novembre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation répond à la question de savoir si le temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et son premier client, puis entre son dernier client et son domicile doit-il être pris en compte pour le paiement de son salaire, lorsque le salarié utilise ce temps pour communiquer avec ses clients et son équipe du travail.  

En l’espèce, un salarié a été engagé par une société, en qualité d’attaché commercial itinérant. Il effectuait ses déplacements auprès des clients de l’entreprise dans un véhicule de société dans lequel un kit main libre lui permettait de prendre des rendez-vous et de communiquer avec les clients, sur le chemin qui le menait de son domicile à son premier client puis de son dernier client à son domicile. 

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour demander le paiement d’un rappel de salaire à titre d’heures supplémentaires pour le temps passé professionnellement au téléphone lors de ses trajets entre son domicile et son premier client et entre son dernier client et son logement. Le salarié souhaitait également obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

La cour d’appel de Rennes a condamné l’employeur au paiement d’un rappel d’heures supplémentaires et de congés payés afférents au titre des temps de déplacement effectués par le salarié pour se rendre sur les lieux d’exécution du contrat de travail.

L’employeur conteste la décision des juges de fond en retenant que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre du domicile aux lieux d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif et n’ouvre droit qu’à une contrepartie financière ou en repos s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ».

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur, en reprenant le raisonnement de la cour d’appel. Elle rappelle que « la durée du travail effectif pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans vaquer à des occupations personnelles ». Dans cette affaire, le salarié n’avait pas de lieu habituel et son employeur lui demandait d’intervenir avec un véhicule de société dans le cadre d’un parcours de visites programmé. Pendant les temps de trajet entre son domicile et ses premiers et derniers clients, le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives, “sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles”. Les juges raisonnent sur l’existence d’un lien de subordination lors du temps de trajet du salarié itinérant entre son domicile et son premier client, puis entre son dernier client et son domicile. Ils confirment que les temps de trajets du salarié entre le domicile et ses clients, et inversement, doivent être intégrés dans son temps de travail effectif.

La cour de cassation semble venir abandonner la jurisprudence antérieure, puisqu’elle avait jugé, en 2018, que le temps de déplacement qui dépasse le temps normal de trajet ne pouvait être considéré comme du travail effectif. (Cass.soc., 30 mai 2018).

De plus, dans le développement de sa solution, la chambre sociale explique ce revirement par l’obligation d’interpréter les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du Code du travail « à la lumière » de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

En effet, le juge européen a déjà estimé que les temps de déplacements quotidiens des salariés itinérants qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur, devaient être considérés comme du « temps de travail ». (CJUE, 10 sept. 2015, aff. C-266/14, Tyco).

→  Les juges de cassation par cet arrêt se conforment au droit de l'Union européenne. 

 

 Cour de cassation, chambre sociale, 23 novembre 2022, Pourvoi n° 20-21.924