Le point sur l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle

Gestion de l'emploi

- Auteur(e) : Hakim El Fattah

La négociation nationale sur la formation professionnelle engagée entre les organisations patronales et syndicales au mois de septembre dernier a abouti, le 14 décembre 2013, à la conclusion d'un accord interprofessionnel. Cet accord a été signé du côté patronal par le MEDEF et l'UPA et du côté syndical par la CFE-CGC, la CFDT, la CFTC et FO. Il institue notamment un entretien professionnel en faveur de tous les salariés quelque soit leur âge, il définit les modalités de déploiement du compte personnel de formation et instaure une contribution unique au titre du financement de la formation professionnelle qui sera versée à un seul organisme collecteur agréé.

 

La conclusion de cet accord constitue une étape importante dans le nouveau processus d'élaboration des normes en matière sociale, voulu par le président de la République. En effet, la première étape a été la grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013. A cette occasion, les participants "ont rappelé leur attachement aux fondements posés par la loi du 16 juillet 1971 qui dispose que la formation professionnelle doit contribuer tout à la fois à l'adaptation des compétences des travailleurs, à leur promotion sociale par la qualification et à leur contribution au développement culturel, économique et social".

 

A l'issue de cette conférence, une feuille de route a été établie, elle prévoyait l'ouverture d'une négociation collective au niveau national et interprofessionnel relative à la réforme de la formation professionnelle. Un document d'orientation a été adressé par le gouvernement aux acteurs sociaux, il y définit les objectifs suivants :

  • l'amélioration de l'orientation professionnelle et un meilleur accès à la formation professionnelle, notamment pour celles et ceux qui sont les plus exposés au risque de rupture professionnelle dans ou hors de l'entreprise : les salariés peu ou pas qualifiés, ceux exposés le plus fortement aux mutations économiques et technologiques ou à des facteurs de pénibilité, les salariés seniors, les salariés précaires, les demandeurs d'emploi ayant besoin d'une qualification complémentaire et les jeunes sans qualification ;
  • l'investissement dans la formation professionnelle comme un levier de compétitivité au sein de l'entreprise. Un investissement collectif accru dans la formation doit à la fois favoriser le développement de l'entreprise et sécuriser l'emploi de ses salariés;
  • une gouvernance des politiques de formation professionnelle plus simple et plus efficace, garante d'un véritable accès pour tous à la formation tout au long de la vie et de la continuité des parcours.

 

Plusieurs séances de négociations ont été nécessaires aux acteurs interprofessionnels afin d'aboutir au texte final qui, bien qu'il ne recueille pas l'unanimité des acteurs sociaux (la CGPME et la CGT ont refusé de le signer), constitue pour le ministre du travail M. Michel Sapin, dans le sillage des accords sur le contrat de génération d’octobre 2012, sur la sécurisation de l’emploi de janvier 2013 et sur la qualité de vie au travail de juin 2013,  "la démonstration" que la réforme par la négociation est possible.     

 

Un avant-projet de loi qui traduit au niveau législatif les dispositions de l'ANI du 14 décembre est actuellement à l'étude.

 

Voici une synthèse des principaux éléments de l'accord. 

 

L'entretien professionnel pour tous

Il est institué en faveur de chaque salarié, indépendamment de la taille de l'entreprise dans laquelle il travaille, de son âge et de son ancienneté, le droit de bénéficier d'un entretien professionnel qui a lieu au minimum tous les deux ans. Il s'agit d'offrir, à travers cette mesure qui est limitée actuellement aux salariés âgés d'au moins 45 ans et travaillant dans une entreprise d'au moins 50 salariés, à l'employeur et au salarié un cadre de réflexion et d'échanges sur les perspectives d'évolution voire, si possible, de progression professionnelle de celui-ci.  

Cet entretien doit s'inscrire dans la durée. A cette fin, l'accord national interprofessionnel stipule que tous les six ans, l'employeur s'entretient avec chaque salarié pour faire un état des lieux récapitulatif de son parcours professionnel dans l'entreprise. Le tout est formalisé par écrit. 

Pour donner à ce droit un ancrage réel dans la pratique en permettant aux salariés d'en bénéficier, les négociateurs de l’ANI vont au-delà d'une simple reconnaissance formelle. Une garantie d'accès à la formation est prévue. Elle consiste à ce que l'état des lieux récapitulatif recense les entretiens réalisés, les actions de formation suivies par le salarié, les évolutions salariales collectives ou individuelles, ou les évolutions professionnelles intervenues et les validations des acquis de l'expérience ou les certifications, mêmes partielles, obtenues par le salarié. 

Cette garantie s'impose avec encore plus de force s'agissant des entreprises d'au moins 50 salariés dans lesquelles le relevé de situation doit vérifier si, sur la période de six ans considérée, le salarié a bénéficié d'éléments répondant à au moins trois de ces quatre familles de critères. Lorsque cette obligation n'est pas respectée, le salarié bénéficie d'un abondement correctif de son compte personnel de formation (voir plus loin) égal à 100 heures.       

L'entretien professionnel qui est distinct de l'entretien d'évaluation va se substituer à l'entretien de seconde partie de carrière ainsi qu'aux entretiens prévus à l'issue d'un congé de maternité, d'un congé parental d'éducation et d'un congé de soutien familial. Il sera proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l'issue de ces différents congés ainsi qu'à l'issue d'une période d'activité à temps partiel, d'un congé d'adoption, d'un arrêt maladie, d'un congé sabbatique ou d'un mandat syndical.

 

Le compte personnel de formation, un droit universel  

Les parcours professionnels sont de moins en moins linéaires (périodes de chômage, reconversion professionnelle...), dès lors le besoin d'une sécurité professionnelle renforcée se fait plus grand. Prenant acte de cette évolution, les négociateurs de l'ANI sont d'avis qu'il faut "attacher les nouveaux droits à la personne elle-même, et non à son statut".

Pour ce faire, l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 crée un nouveau dispositif en faveur de tous les salariés : le compte personnel de formation (CPF) qui consiste selon l’ANI du 14 décembre 2013 qui en définit les modalités de mise en œuvre à "donner à chacun les moyens d'évoluer professionnellement et de sécuriser son parcours professionnel, notamment en progressant d'au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle ou en obtenant une qualification dans le cadre d'une reconversion".

Dans cette perspective, tout salarié bénéficie d'un nombre d'heures annuel crédité sur son compte personnel de formation. Ce crédit d'heures est calculé à due proportion du temps de travail sur la base de 20 heures par an pendant les six premières années, puis 10 heures par an pendant les 3 années suivantes pour les bénéficiaires d'un contrat à durée indéterminée à temps plein, soit 150 heures en 9 ans. L'accord national interprofessionnel stipule que le nombre d'heures portées au crédit du CPF ne peut être supérieur à 150 heures (ce plafond est de 120 heures pour le DIF), hors abondement intervenant au moment de la mobilisation du compte. 

Le CPF peut être alimenté, à titre complémentaire, selon des modalités diverses, par l’employeur, la personne elle-même, les branches professionnelles, les conseils régionaux, Pôle emploi, l’Etat et tout organisme public. Un accord d’entreprise peut prévoir que l’employeur consacre 0,2% du montant des rémunérations versées pendant l’année de référence au financement du CPF des salariés et à son abondement.      

Chaque personne disposera à partir du 1er janvier 2015 d'un compte personnel de formation dès son entrée sur le marché du travail, c'est-à-dire dès l'âge de 16 ans, et jusqu'à son départ en retraite. Les heures acquises au titre du DIF et non utilisées, à cette date, par le salarié, sont portées, dans la limite de 150 heures, au crédit du CPF. 

L’ANI indique que les formations éligibles au compte personnel de formation sont obligatoirement des formations qualifiantes correspondant aux besoins de l’économie prévisibles à court ou moyen terme et favorisent la sécurisation des parcours professionnels des salariés.

Le salarié peut relativement librement utiliser son crédit d’heures de formation au titre du CPF. Ainsi, lorsque cette utilisation intervient hors son temps de travail, le salarié n’a pas d’autorisation à demander à son employeur. En revanche, dans l’hypothèse où la formation envisagée par le salarié se déroulerait pendant son temps de travail, l’autorisation de l’employeur est nécessaire.

Pour les demandeurs d’emploi, l’accord stipule que le CPF, dès lors qu’il est crédité d’un nombre suffisant d’heures de formation et que son utilisation débouche sur le suivi d’une formation qualifiante, doit pouvoir être utilisé sans passer par une demande d’autorisation auprès de Pôle emploi.

 

Redynamisation du congé individuel de formation

Pour inciter davantage de salariés à recourir au CIF, l’ANI prévoit un financement dédié à hauteur de 0,15% du montant des rémunérations versées pendant l’année de référence à la charge des entreprises de 10 à 49 salariés et à hauteur de 0,20% pour celles de 50 salariés et plus. Par ailleurs, lorsqu’un salarié accède au CIF et bénéficie parallèlement d’un compte personnel de formation, le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels en prendra en charge le financement des frais pédagogiques dans la limite des heures créditées sur son CPF.   

 

Conseil en évolution professionnelle

A la suite de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, l’ANI affirme le principe que toute personne peut bénéficier, à titre gratuit, d’un conseil en évolution professionnelle dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ en retraite, quel que soit son statut. Dans ce cadre, chaque personne est informée sur les différents dispositifs et possibilités de formations lui permettant de réaliser son projet professionnel, mais également sur l' environnement professionnel dont lequel elle travaille et l’évolution des métiers.

Des réseaux en charge du conseil en évolution professionnelle verront le jour, ils auront accès à l’ensemble de l’offre de formation nationale et du territoire afin de faciliter l’information et la validation des projets de formation.         

 

Simplification des contributions financières des entreprises

En matière de formation professionnelle, outre son investissement direct dans la formation de ses salariés dans le cadre du plan de formation (en moyenne 2,7 % de la masse salariale), l’employeur devra, désormais, s’acquitter au profit de l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) compétent d’une contribution obligatoire unique équivalente, en ce qui concerne les entreprises de 1 à 9 salariés, à 0,55% du montant des rémunérations versées pendant l’année de référence, et à 1% en ce qui est des entreprises de 10 salariés et plus. Il appartient, ensuite, aux OPCA d'affecter ces contributions au titre des différentes prises en charge des actions de formations auxquelles ils concourent (plans de formation, contrats et périodes de professionnalisation, compte personnel de formation, congé individuel de formation ... ). 

 

Promotion de l’accès à la formation des salariés des TPE

Les acteurs sociaux font le constat que parmi les salariés des très petites entreprises seulement 10% accèdent chaque année à la formation. Sont en cause la difficulté de trouver un remplaçant au salarié parti en formation ainsi que le coût de ce remplacement. Pour lever ces obstacles, l’ANI prévoit que les OPCA prendront en charge, sous certaines réserves, les frais pédagogiques des formations inscrites au plan de formation et, lorsqu’un accord de branche le prévoit, la rémunération des salariés des TPE de moins de 10 salariés.

Dans le même esprit, il est prévu une mutualisation interprofessionnelle du financement de la formation. Cette mutualisation est dotée d’une enveloppe financière significative (20% des ressources du FPSPP y sont consacrées).              

 

Rôle des branches professionnelles 

L’accord insiste sur le rôle de soutien que les branches professionnelles remplissent auprès des entreprises pour dynamiser leur compétitivité en développant les compétences de leurs salariés et pour favoriser l’accès des jeunes et des demandeurs d’emploi aux métiers de leurs entreprises. Pour accomplir ces missions efficacement, l’ANI leur impose de se doter d’un Observatoire paritaire prospectif des métiers, des qualifications et des compétences et d’un service de proximité auprès des entreprises et des TPE/PME, conduire une politique de certification permettant d’attester d’une qualification et/ou d’une compétence par les salariés, conduire une politique d’amélioration et de suivi de la qualité de la formation et garantir, par les OPCA, l’optimisation et la maîtrise des coûts de formation …

Par ailleurs, les branches professionnelles peuvent négocier un accord collectif pour définir les conditions dans lesquelles un OPCA collecte et mutualise, dès réception, des contributions des entreprises afin de faciliter le financement du plan de formation des entreprises. Elles peuvent, également, prévoir par accord collectif que les entreprises de 10 à moins de 300 salariés consacrent 0,2% du montant des rémunérations versées pendant l’année de référence au financement du compte personnel de formation des salariés et à son abondement.      

 

Modernisation de la gouvernance

Pour améliorer l’articulation, la coordination et l’efficacité des différentes politiques en matière d’emploi et de formation professionnelle, les acteurs sociaux conviennent de repenser les règles de gouvernance paritaire interprofessionnelle. A cet égard, ils considèrent que le comité paritaire national pour la formation professionnelle et l’emploi est l’instance pivot en la matière. Il lui revient notamment de définir les orientations des politiques paritaires et de les coordonner, de définir les politiques mises en œuvre par le FPSPP, d’élaborer la liste des formations éligibles au compte personnel de formation et de suivre le déploiement de ce dernier.

 

Pour coller au plus près du terrain et donner un ancrage non seulement national mais également local à cette instance, il est prévu la constitution de comités paritaires régionaux pour la formation professionnelle et l’emploi.

 

A lire les éclairages très utiles de M. Jean-Philippe Cépède, directeur du département juridique et observatoire à Centre-Inffo