Le Parlement européen se prononce en faveur d’un droit à la déconnexion des travailleurs européens

Qualité de vie au travail
Organisation du travail

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

Par 472 voix pour, 126 contre et 83 abstentions, les députés européens adoptent une résolution relative au droit à la déconnexion[1]. Par son biais, le Parlement européen demande à la Commission européenne de proposer une directive (dont le texte figure en annexe) qui permet à ceux qui travaillent avec des outils numériques de s’en déconnecter en dehors des heures de travail. Cette reconnaissance viendra renforcer les exigences minimales que dispose la législation européenne sur le travail à distance.

 

L’adoption de cette résolution intervient dans un contexte de forte utilisation des ressources numériques. Les députés européens observent une culture de « connexion permanente » qui brouille les limites entre vie privée et vie professionnelle et qui engendre des problèmes de santé.

Ce phénomène qui existait déjà à des différents degrés selon les États membres, les secteurs et les professions, a été essentiellement intensifié par l’irruption de la crise sanitaire et l’augmentation du nombre de travailleurs à distance. Selon une enquête en ligne d’Eurofound[2], plus d’un tiers des personnes interrogées ont commencé à travailler depuis leur domicile en raison de la pandémie de coronavirus et des mesures de confinement, contre 5 % de la population active de l'UE qui travaillait régulièrement à domicile en 2017. Eurofound montre aussi que les personnes qui travaillent régulièrement à domicile sont plus de deux fois plus susceptibles de travailler au-delà du maximum de 48 heures de travail par semaine, par rapport à celles qui travaillent sur site. En effet, 27% des personnes travaillant à domicile affirment avoir dépassé les horaires de bureau afin de satisfaire les exigences de travail.

 

Face à ces constats, « nous ne pouvons pas abandonner des millions de travailleurs européens qui sont épuisés par la pression de la connexion permanente et de l’allongement des horaires de travail. Le moment est venu de nous tenir à leurs côtés et de leur donner ce qu’ils méritent : le droit à la déconnexion. C’est essentiel pour notre santé mentale et physique. Il est temps d’adapter les droits des travailleurs aux réalités de l’ère numérique », affirme le rapporteur Alex Agius Saliba.

 

Proposition de directive sur le droit à la déconnexion

Pour les députés européens, le droit à la déconnexion est un droit fondamental dont la reconnaissance au niveau européen permettrait « d’établir des prescriptions minimales pour la protection de tous les travailleurs de l’Union qui utilisent des outils numériques à des fins professionnelles, et en particulier de leurs droits fondamentaux en matière de conditions de travail équitables ». Il est important, conséquemment, que les travailleurs qui invoquent leur droit à la déconnexion « soient protégés contre le risque de représailles ou d’autres répercussions négatives ».

La proposition de directive le désigne comme « le droit des travailleurs de ne pas se livrer à des activités ou à des communications liées au travail en dehors du temps de travail au moyen d’outils numériques, tels que les appels téléphoniques, les courriels ou autres messages ». En parallèle, ajoute le texte, « il convient que les employeurs n’exigent pas des travailleurs qu’ils travaillent en dehors des heures de travail ».

S’agissant du champ d’application personnel, la future directive a vocation à couvrir tous les travailleurs qui utilisent des outils numériques, y compris les TIC, à des fins professionnelles. Elle s’applique ainsi à tous les travailleurs de tous les secteurs, tant publics que privés, indépendamment de leur statut et de leur régime de travail.

 

Mise en œuvre effective du droit à la déconnexion

La mise en œuvre effective du droit à la déconnexion repose sur une série d’exigences minimales garanties par les Etats membres. Ces derniers veillent « à ce que des modalités détaillées soient adoptées, après consultation des partenaires sociaux au niveau pertinent, pour permettre aux travailleurs d’exercer leur droit à la déconnexion et à ce que les employeurs mettent en œuvre ce droit d’une manière équitable et transparente ». Ils prévoient ainsi :

 

  • des modalités pratiques de déconnexion des outils numériques à des fins professionnelles, y compris les éventuels outils de contrôle liés au travail ;
  • un système de mesure du temps de travail ;
  • des évaluations de la santé et de la sécurité, y compris des évaluations des risques psychosociaux ;
  • les critères permettant aux employeurs de déroger à leur obligation de mettre en œuvre le droit d’un travailleur à la déconnexion. Cette dérogation ne peut intervenir « que dans des circonstances exceptionnelles, telles que la force majeure ou d’autres situations d’urgence, et sous réserve que l’employeur fournisse par écrit à chaque travailleur concerné une motivation justifiant la nécessité de la dérogation à chaque fois que la dérogation est invoquée ».  Dans le cas où une telle dérogation est accordée, la législation nationale doit préciser « les critères permettant de déterminer la façon dont il convient de calculer la compensation pour le travail effectué en dehors du temps de travail » ;
  • des mesures de sensibilisation et de formation.

 

De même, les Etats membres s’assurent que les employeurs fournissent à chaque travailleur des informations claires, suffisantes et adaptées sur son droit à la déconnexion. Ces informations incluent, notamment, les modalités de déconnexion et de désactivation des outils numériques, la manière dont le temps de travail est enregistré, l'évaluation de la santé des travailleurs, et autres.

Désormais, il incombe à la Commission européenne de statuer, soit en marquant son accord, soit en refusant de soumettre la proposition législative demandée et en communiquant au Parlement européen les raisons de son refus.