Le faible taux d’emploi des seniors : explications et controverses

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- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH


Dans deux articles¹ parus en 2006 et 2008, trois économistes Jean-Olivier Hairault, François Langot et Thepthida Sopraseuth, se sont interrogés sur les raisons du faible taux d’emploi des seniors en France (38%, la moyenne européenne² est à 44% ). Pour ces trois auteurs : « dans un modèle de cycle de vie, l’âge de la retraite introduit une date terminale de cessation d’activité qui modifie fondamentalement les comportements de recherche d’emploi lorsque les agents se rapprochent de cet horizon. Comme cette date-butoir résulte d’un choix dépendant des particularités du système de retraite, ce dernier peut influer sur le taux d’emploi bien avant l’âge de la retraite ». En effet, « quelle incitation existe-t-il à rechercher un travail, si l’on sait que le niveau de la pension sera exactement identique, que l’on retrouve un emploi ou que l’on reste en inactivité ». La conviction de ces auteurs est que « la distance à la retraite est négativement corrélée au taux d’emploi ».

Quel remède à cette situation ? Faut-il réduire l’accès et la générosité des dispositifs de retraite anticipée,  relever l’âge de la retraite ou introduire dans les pensions de retraite des incitations à l’activité prolongée?


Pour répondre à ces questions, les trois auteurs se fondent sur « un modèle de recherche d’emploi avec cycle de vie ». Et il en résulte deux éléments qui « exercent des influences opposées sur le taux d’emploi des seniors ».

Le premier élément est un «effet d’impatience qui n’est pas cohérent avec le faible taux d’emploi des seniors observé sur données françaises : le senior à la recherche d’un emploi sait que, s’il reçoit une offre, il peut s’agir d’une de ses dernières opportunités de retour vers l’emploi. Ceci accroit son incitation à accepter dés aujourd’hui une offre d’emploi […] Cet effet élargit l’intervalle des offres d’emploi pour les quinquagénaires, ce qui tend à relever leur taux d’emploi.».

Le second effet est la « distance à la retraite » qui « est cohérent avec le faible taux d’emploi des seniors. L’effort de recherche d’emploi décline avec l’âge. Le quinquagénaire proche de la retraite ne peu bénéficier des gains de l’activité que pendant quelques années. Pour qu’il accepte de travailler, les gains associés à l’emploi doivent être significativement supérieurs à ceux associés à l’inactivité. Or, ce n’est pas le cas, jugent les auteurs, car :


-si l’individu proche de la retraite accepte l’offre, il ne bénéficie des gains associés à l’emploi que pendant une courte période ;

-puisque les périodes de chômage sont validées au titre de la retraite, la pension de retraite d’un senior au chômage ne diffère pas de celle d’un senior en emploi. L’utilité espérée de l’emploi et de l’inactivité tenant compte des pensions de retraite d’un employé et d’un inactif ne fournit aucune incitation à accepter un emploi aujourd’hui. »


Que faire pour corriger cette situation ? Pour ces auteurs « un modèle, calibré sur l’économie française, révèle qu’une réforme visant à allonger la durée d’activité par la mise en place de surcotes au-delà du taux plein présente effectivement un double dividende : elle allonge la vie active de ceux qui ont toujours été en emploi et elle favorise également le retour en emploi des seniors qui ont été licenciés en fin de vie, par stimulation de l’offre de travail ».

Mais, « Suffit-il de décaler l’âge de la retraite pour résoudre tous les problèmes d’inactivité des travailleurs âgés ? Certainement pas, estiment les auteurs, car des problèmes de productivité et de pénibilité pèsent également. Mais il est urgent de dégager l’horizon des travailleurs âgés en l’allongeant, de façon réglementaire, mais surtout par l’incitation et la retraite choisie ».

Cependant, cette thèse ne fait pas l’unanimité parmi les économistes. Ainsi, Samia Benallah, Cindy Duc et François Legendre³ mettent en doute l’existence d'un lien entre la probabilité d’être en emploi et la distance à l’âge d’obtention du « taux plein » de la retraite. Pour ces auteurs, l’ « effet de distance à la retraite pourrait tout aussi bien retracer uneffet distance à l’entréec’est-à-dire l’impact négatif de la longueur de la carrière professionnelle sur la probabilité d’occuper un emploi ».

Quelle pourrait être l’origine de cet impact négatif ? Selon les trois auteurs, l’« impact négatif pourrait provenir d’un affaiblissement de la demande de travail ». L’explication est la suivante : « la longueur de la carrière pourrait ainsi contribuer à la dégradation des qualités intrinsèques des travailleurs vieillissants (état de santé détérioré, usure physique). Ces derniers pourrait alors souffrir d’une obsolescence spécifique de leur capital humain, d’un affaiblissement de leurs capacités productives, d’une moindre aptitude à l’apprentissage ».

Mais l’effet « distance à l’entrée » pourrait aussi retracer un affaiblissement de l’offre de travail, estiment les auteurs. Le raisonnement est le suivant : « dans un premier temps, face aux difficultés d’emploi que les seniors rencontraient, un certain nombre de dispositifs de retrait du marché du travail ont été mis en place à leur destination, comme les préretraites (qu’elles soient financées par le fonds national pour l’emploi ou par l’UNEDIC) ou les dispenses de recherche d’emploi. Dans un second temps, ces dispositifs, en décourageant l’offre de travail, pourraient contribuer au faible taux d’emploi des travailleurs âgés. En quelque sorte, la causalité de la relation, au fil du temps s’inverse : tout d’abord, le faible taux d’emploi est la cause de ces dispositifs, ensuite, ces dispositifs sont la cause du faible taux d’emploi ».

 

 

 

¹Hairault J-O., Langot F. et Spraseuth Th., Le double dividende des politiques incitatives à l’allongement de la durée de vie active. Revue économique n°3, mai 2006, pp.449-460

Hairault J-O., Langot F. et Spraseuth Th., Le faible taux d’emploi des seniors, distance à l’entrée dans la vie active ou distance à la retraite ? Revue de l’OFCE, 2008/4, N°109, 63-74.

²Il convient de rappeler que l'objectif pour l'Union européenne (défini à Lisbonne en 2000 et réaffirmé lors du Conseil de Stockholm de mars 2001) est de 50%, ce qui reviendrait pour la France à maintenir dans l'emploi ou à recruter environ 800000 seniors de plus par rapport à aujourd'hui. Voir La Semaine Juridique Social n°24, 9 juin 2009, 1248.

³Benallah S., Duc C. et Legendre F., Peut-on expliquer le faible taux d’emploi des seniors en France ?, Revue de l’OFCE 2008/2, N°105, p.19-54.

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