Mise à jour le 6 janvier 2016
Afin de simplifier et d’alléger les obligations des employeurs en matière de traçabilité des expositions de leurs salariés aux facteurs de pénibilité, le législateur a procédé, dans le cadre de la loi relative au dialogue social et à l’emploi, à une refonte du dispositif de la fiche des expositions issu des lois portant réforme des retraites du 9 novembre 2010 et du 20 janvier 2014.
En effet, jusqu’à récemment, pour chaque travailleur exposé, au-delà de certains seuils, après application des mesures de protection collective et individuelle, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels caractéristiques de la pénibilité, l'employeur avait plusieurs obligations : établissement d’une fiche individuelle de prévention, satransmissionau travailleur, déclaration du ou des facteurs en cause à la Caisse nationale d'assurance vieillesse … La question de la traçabilité avait pris une dimension nouvelle à la faveur de la loi du 20 janvier 2014 qui en avait fait la première étape d’un processus devant conduire à alimenter le compte personnel de pénibilité et donc à créer des droits nouveaux en faveur des salariés (droit à la formation, droit au temps partiel, droit à la retraite anticipée).
Cependant, en raison des démarches réglementaires d’appréciation et d’évaluation des risques qu’il implique, ce dispositif a été jugé beaucoup trop complexe par une partie des acteurs économiques. Attentifs à ces inquiétudes, les pouvoirs publics, confortés par les constats[1] et préconisations de deux missions de réflexion lancées sur le sujet, ont procédé à un recentrage des obligations s’imposant aux entreprises.
Obligation de déclaration des expositions auprès des CARSAT
Désormais, il incombe à l’employeur de déclarer de façon dématérialisée via la déclaration sociale nominative, aux caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) les salariés exposés à des « facteurs de risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail, susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles » sur leur santé. Dans cette démarche, l'employeur est tenu d'agir en cohérence avec l'évaluation des risques professionnels prévue par l'article L. 4121-3 du code du travail et au regard des conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, appréciées en moyenne sur l'année. Pour établir cette déclaration, l'employeur peut utiliser, le cas échéant, les postes, métiers ou situations de travail définis dans l'accord collectif de branche étendu ou, à défaut de cet accord collectif, définis par le référentiel professionnel de branche homologué et déterminant l'exposition des travailleurs aux facteurs de risques professionnels, en tenant compte des mesures de protection collectives et individuelles appliquées (voir ci-dessous).
Afin de protéger les salariés concernés contre notamment d’éventuelles discriminations à raison de leur état de santé, la loi prévoit que les informations contenues dans cette déclaration sont confidentielles et ne peuvent pas être communiquées à un autre employeur auprès duquel ils sollicitent un emploi.
En revanche, les employeurs ne seront plus tenus d’établir une fiche de prévention des expositions pour chaque salarié travaillant dans des conditions pénibles, ni de l’adresser annuellement à la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Ce seront les CARSAT, chargées d’enregistrer sur le compte pénibilité les points correspondant aux données déclarées par l'employeur, qui porteront annuellement à la connaissance du travailleur les points acquis au titre de l'année écoulée dans un relevé précisant chaque contrat de travail ayant donné lieu à déclaration et les facteurs d'exposition.
La seule déclaration d’exposition ne présume pas un manquement à l’obligation de sécurité
Pour dissuader les salariés qui peuvent être tentés, lors de contentieux portant sur la faute inexcusable, de faire valoir la déclaration d’exposition faite par leur employeur comme preuve de son manquement à son obligation de sécurité de résultat, la loi prévoit que le seul fait pour l’employeur d’avoir déclaré l’exposition d’un travailleur aux facteurs de pénibilité ne saurait constituer une présomption de manquement à son obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Facteurs de pénibilité : vers une redéfinition des critères et des seuils d’exposition
Certains facteurs de risques professionnels caractéristiques de la pénibilité et les seuils qui s’y rattachent ont soulevés nombre d’interrogations et de critiques (ex. le travail répétitif dont la définition actuelle donne lieu à différentes interprétations ; le bruit dont il a été souligné que le seuil retenu de 80 décibels n’est pas relié au seuil d’action de 85dB ; les manutentions manuelles de charge à propos desquelles les organisations professionnelles souhaiteraient pouvoir raisonner en cumul de charges globalisant les différents facteurs : actions de lever/porter, pousser/tirer, déplacer, cumul de manutentions de charges ; les agents chimiques dangereux qui ne devraient, selon certaines organisations professionnelles, être traités que sous l’angle de la réglementation de prévention).
Les pouvoirs publics semblent partager ce constat, si bien que la loi relative au dialogue social et à l’emploi, entérinant une préconisation du rapport des missions de réflexion précitées appelant à une remise à plat de certains facteurs de pénibilité, confie au pouvoir réglementaire le soin de revoir lesdits facteurs en y apportant les précisions nécessaires et, le cas échéant, en faisant évoluer les paramètres de définition.
Par ailleurs, compte tenu de leur nature hétérogène, les facteurs de pénibilité peuvent nécessiter une appréciation plutôt individuelle (travail de nuit, équipes alternantes, milieu hyperbare) ou à l’inverse plutôt collective (facteurs relatifs aux contraintes physiques marquées). Aussi, le législateur, soucieux « de ne pas enfermer les professions dans des contraintes trop fortes » (rapport des missions de réflexion précité), ouvre plus largement, tout en lui donner une plus grande force juridique, la possibilité –déjà prévue par le législateur de 2014- pour les acteurs sociaux de définir dans le cadre des accords de branche relatifs à la prévention de la pénibilitél'exposition des travailleurs à un ou plusieurs des facteurs de risques professionnels au-delà des seuils réglementaires, en faisant notamment référence aux postes, métiers ou situations de travail occupés et aux mesures de protection collective et individuelle appliquées.
En l'absence d'accord de branche étendu, ces postes, métiers ou situations de travail exposés peuvent également être définis par un référentiel professionnel de branche homologué par un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et des affaires sociales après avis du Conseil d'orientation des conditions de travail. Un décret du 30 décembre 2015 précise que ce référentiel ne peut être établi que par une organisation professionnelle représentative dans la branche concernée, dans la limite de son champ d'activité. Il indique en outre qu'il ne peut être établi qu'un seul référentiel pour chaque branche ou pour chaque champ d'activité d'une branche et, s'agissant des postes, métiers ou situations qu'il identifie, il précise qu'il ne peut être fait usage dans cette même branche ou dans ce même champ d'activité d'un autre référentiel.
Le référentiel doit présenter l'impact des mesures de protection collective et individuelle sur l'exposition des travailleurs à la pénibilité. Pour que l'instruction de la demande de son homologation puisse se faire, il doit être accompagné de toutes données permettant d'évaluer les effectifs de travailleurs de la branche concernée exposée aux facteurs de risques professionnels au-delà des seuils. Une réévaluation du référentiel doit être entreprise selon une périodicité qui ne peut excéder 5 ans.
Enfin, pour sécuriser la situation des employeurs mobilisant ces outils conventionnels, il est prévu d’une part que les employeurs qui appliquent un référentiel de branche pour déterminer l’exposition de leurs salariés sont présumés de bonne foi et, d’autre part que les employeurs qui appliquent les stipulations d’un accord de branche étendu relatif à la prévention de la pénibilité ou d’un référentiel de branche homologué pour déclarer l’exposition de leurs travailleurs ne peuvent se voir appliquer les pénalités prévues en cas de déclaration d’exposition inexacte.
[1] Dans leur rapport commun, les acteurs ayant conduit les missions de réflexion notent que dans le dispositif de fiche de prévention, tel qu’il était prévu par la loi portant réforme des retraites du 20 janvier 2014, l’employeur n’avait le choix, pour procéder au travail de recensement (des expositions aux risques de pénibilité), qu’entre deux « mauvaises solutions » :
- soit procéder lui-même au travail de recensement, travail fastidieux et risqué dans la mesure où il est aléatoire au moins sur les facteurs liés aux contraintes physiques marquées ;
- soit développer prudemment une approche plus globale faisant entrer dans la pénibilité des salariés qui en application des seuils ne le devraient pas.