L’assouplissement des règles d’indemnisation du préjudice d’anxiété des victimes de l’amiante : revirement jurisprudentiel de l’arrêt C. cass. Ass. Plén. 5 avril 2019

Conditions du travail

- Auteur(e) : Khalida BENZIDOUN

C’est un revirement de jurisprudence qu’opère la Cour de cassation dans l’arrêt rendu par l’Assemblée Plénière le 5 avril 2019 (n°18-17.442).

En effet, réunie sous la forme la plus solennelle, la Haute juridiction affirme désormais que les salariés exposés aux poussières d’amiante durant leur vie professionnelle pourront obtenir réparation de leur préjudice d’anxiété au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Toutefois, la Cour de cassation précise cette indemnisation n’est pas automatique pour tous les salariés exposés mais doit au contraire obéir à des règles spécifiques.

 LES FAITS 

Un salarié d’EDF embauché « en qualité de rondier, chaudronnier et technicien au sein de la centrale de Saint-Ouen affirme avoir été exposé à l’inhalation de fibres d’amiante ».

Il saisit alors le conseil de prudhommes aux fins d’obtenir réparation du préjudice d’anxiété du travailleur de l’amiante.

Jusqu’ici, ce préjudice consistait en « un préjudice spécifique tenant à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante ».

LA PROCEUDRE

Les juridictions du fond se prononcent en faveur du demandeur et lui octroient 10 000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice d’anxiété.

EDF décide alors de se pourvoir en cassation. Elle invoque notamment le fait qu’elle ne figure pas dans la liste des entreprises visées par l’article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 relative au financement de la sécurité sociale pour l’année 1999.

En effet, cet article dispose qu’ une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante[1], des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ».

Or la liste des établissements est dressée par arrêté ministériel, et EDF n’en fait pas partie.

Elle considère ainsi qu’elle n’a pas à réparer le préjudice d’anxiété.

Au contraire, le salarié avance l’argument selon lequel cette liste n’est pas exhaustive et qu’il peut obtenir réparation de son préjudice d’anxiété sur le fondement de l’obligation de résultat de l’employeur.

LA SOLUTION 

L’assemblée plénière de la Cour de cassation censure partiellement l’arrêt d’appel. Toutefois, au travers de 3 arguments, elle opère un revirement de jurisprudence sur l’indemnisation du préjudice d’anxiété.

LA MOTIVATION

Le revirement de la Cour de cassation se décompose en 6 temps :

1.    L’article 41 de la loi de finance pour 1999 instaure une présomption irréfragable quant aux préjudices subis par les salariés ayant travaillé avec de l’amiante dans les établissements énumérés par arrêté ministériel : ils bénéficient d’un « régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l’amiante, de la faute de l’employeur et de leur préjudice, [qui précise] que l’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété réparait l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence ».

2.    Or jusqu’à présent la jurisprudence considérait que cette liste d’établissements était exhaustive  et que dès lors, les salariés exposés à l’amiante ne travaillant pas dans les établissements visés ne pouvait bénéficier de la présomption irréfragable d’exposition permettant le versement de dommages-intérêts[2].

3.    Toutefois la Haute juridiction considère que cette solution jurisprudentielle prive de nombreux salariés ne répondant pas aux conditions posées par l’article 41 alors même qu’ils ont été exposés à l’inhalation de poussières d’amiante : « Qu’il apparaît toutefois, à travers le développement de ce contentieux, que de nombreux salariés, qui ne remplissent pas les conditions prévues par l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ou dont l’employeur n’est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel, ont pu être exposés à l’inhalation de poussières d’amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé »

4.  Aussi elle affirme que ces salariés peuvent obtenir réparation du préjudice d’anxiété à certaines conditions, et ce au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité : « Que dans ces circonstances, il y a lieu d’admettre, en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, que le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ».

5.   Toutefois, la Haute juridiction affirme par un attendu de principe que l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur n’est pas une obligation de résultat en ce sens que ce dernier peut s’exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve qu’il a bien satisfait à cette obligation telle qu’énoncée par la loi. C’est sur ce point que l’assemblée plénière censure l’arrêt d’appel en affirmant que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés ».

6.   Aussi, comme tout préjudice, les dommages-intérêts ne peuvent découler de la seule exposition à l’amiante mais bien d’un « préjudice d’anxiété personnellement subi par Monsieur X… et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave ». Le salarié doit donc démontrer un préjudice direct et certain proche de celui du droit commun de la responsabilité civile.

Vous trouverez ci-après l’arrêt dans son intégralité.

 



 

 

[1] Acaata : Allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante également appelée « préretraite amiante »

 

 

 

[2] Cass. Soc. 11 mai 2010 n°09-42.241