L’absence d’incidence du télétravail sur la charge de la preuve en matière de droit de repos

Organisation du travail

- Auteur(e) : Altina POTOKU

Pour rappel :

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le par salarié à la suite de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. (Art., L.3171-4 du code du travail)

Dans cet arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 14 décembre 2022, il revenait aux juges de la Haute juridiction de répondre à la question de savoir si le télétravail pouvait avoir un impact sur la charge de la preuve en matière de droit de repos.

En l’espèce, un salarié a été engagé le 27 mars 2000, par une société, en qualité d’ingénieur d’études. Par la suite, le salarié a fait l’objet d’un transfert de contrat vers une autre société. Elle travaillait deux jours par semaine sur site et trois jours à domicile. Le 4 mars 2014, le salarié s’est donné la mort sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail.

Les ayants droit du salarié ont saisi la juridiction prud’homale en paiement des heures supplémentaires non rémunérées, de dommages-intérêts pour violation du droit au repos et pour violation du droit à la vie privée et familiale.

La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 15 avril 2021 a débouté la demande de condamnation de l’employeur, par les ayants droit.  Elle avait jugé que le tableau de décompte du temps de travail produit était insuffisant en ce qu'il se contentait d'affirmer, semaine après semaine, que le salarié travaillait systématiquement 56,25 heures, sauf les semaines où il prenait un jour de congé ou RTT, sans mentionner les horaires accomplis. Par ailleurs, les attestations indiquant que le salarié travaillait beaucoup ne permettaient pas, selon elle, de connaître les horaires réellement effectués par celui-ci. Pas plus que le rapport de l'inspection du travail visant les heures de début et de fin de travail du salarié sur quelques jours non consécutifs. Enfin, elle faisait valoir que l'envoi de mails ne démontrait pas que le salarié avait travaillé en temps continu. Il ressort de ces éléments que les juges de fond estimaient que la charge de la preuve des heures supplémentaires pèse seul sur le salarié.

Les ayants droits du salarié, reprochant aux juges de fond la violation des dispositions de l’article L.3171 -2 alinéa 1er, L.3173-3 et L.31717-4 forment pourvoi devant la chambre sociale de la Cour de cassation.

Les juges de cassation cassent et annulent l’arrêt rendu par la cour d’appel.  La chambre sociale contrairement à la cour d’appel estime que les demandeurs « présentaient des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre ». Or, affirmer qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures ou de travail accomplies, que la charge de la preuve pèse seulement sur le salarié, revient à oublier que la charge de la preuve n'incombe pas exclusivement au salarié. En raisonnant comme elle l'avait fait, la cour d'appel faisait injustement peser la charge de la preuve sur le salarié.

 La Haute juridiction semble reprocher à la cour d‘appel de Versailles de refuser le débat contradictoire en se focalisant uniquement sur les éléments fournis par le salarié et par les ayants droit du salarié décédé. Cependant, la chambre sociale se conforme à la position du CJUE et à sa jurisprudence (Soc. 4 sept. 2019, n° 18-11.038  et 18 mars 2020, n° 18-10.919) en appliquant le principe selon lequel « la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur ».

 Autrement dit, il revient à l’employeur, de prouver que le droit au repos du salarié est respecté. Il lui appartient donc de fournir les éléments nécessaires, et ce peu important que le salarié soit en télétravail ou qu’il bénéficie d’une flexibilité dans son organisation du travail.

 

Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 1352 du 14 décembre 2022, Pourvoi nº 21-18.139