La possibilité pour une salariée d’obtenir de l’employeur la communication de bulletins de paie de collègues masculins pour démontrer une inégalité salariale

Égalité professionnelle F/H
Non-discrimination

- Auteur(e) : Altina POTOKU

Dans un arrêt rendu le 8 mars 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation traite la question de savoir s’il est admis à une salariée d’obtenir la communication de bulletins de paie de collègues masculins, pour démontrer l’existence d’une éventuelle inégalité salariale. 

En l’espèce, une salariée licenciée, considérant avoir subi une inégalité salariale par rapport à certains collègues masculins occupant ou ayant occupé des postes équivalents à celui qu’elle occupait, saisit en référé la juridiction prud’homale pour obtenir la communication d’éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs.  

Les juges d’appel donnent raison à la salariée et la jugent bien fondée dans sa demande. La cour d’appel a pu relever que, pour permettre à une salariée de pouvoir présenter des éléments laissant présumer l’existence d’une inégalité salariale alléguée entre elle et certains de ses collègues masculins, « celle-ci était fondée à obtenir la communication des bulletins de salaires de huit autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien dans des fonctions d’encadrement, commerciales ou de marché, avec occultation des données personnelles à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile 

Cependant, la société contestant la décision rendue par les juges de fond, a formé pourvoi devant la Cour de cassation. En effet, la société retient que la communication à la salariée des bulletins de paie de ses collègues masculins avec occultation des données personnelles, à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée, était contraire aux exigences du règlement européen (règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD)) qui s'impose au juge.

Cette dernière, conduisait à la divulgation à un tiers de l'ensemble des rémunérations des salariés concernés dans un but très différent de la finalité légale pour laquelle les ressources humaines les avaient collectées, sans que ces salariés n'aient pu s'y attendre, et sans que le juge n'adopte aucune garantie de sécurité, de confidentialité et de limitation de la durée de conservation. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et juge que la communication des éléments de preuve portait atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, mais était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. C'est-à-dire, la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail. Les Hauts magistrats semblent faire primer le droit à la preuve sur le droit à la protection des données. Cependant, la mise en œuvre pratique d'une telle solution de la Cour, par l'employeur pourrait s'avérer délicate dès lors que le transfert des données doit être encadré et que les salariés dont les données vont être transférées doivent être informés.

 

Cass.Soc. 8 mars 2023, n°21-12.492