La persistance des discriminations dans l’emploi

Égalité dans le travail
Non-discrimination

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

23% des personnes actives en France déclarent avoir été victimes de discrimination(s) ou de harcèlement discriminatoire dans l’emploi et 42% en avoir été témoins. Tels sont quelques-uns des chiffres clés de la 13ème édition du baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi[1].

 

Réalisée chaque année conjointement par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT), cette enquête offre une vue d’ensemble des inégalités de traitement dans l’emploi et s’efforce d’éclairer un aspect spécifique des discriminations au travail (apparence, harcèlement discriminatoire, discrimination syndicale, demandeurs d’emploi…). L’édition de 2020 est issue des entretiens téléphoniques réalisés entre le 6 février et le 14 mai 2020 auprès d’un échantillon représentatif de la population des actifs du secteur privé (590 salariés) et d’un échantillon représentatif des agents de la fonction publique (500 agents).

 

L’étude s’intéresse à quatre types de comportements hostiles dans l’emploi entendus comme ainsi :

Préjugés et stéréotypes : jugements de valeur ou d’idées préconçues assignant une identité sociale dévalorisée à un groupe d’individus et pouvant se traduire, dans le cadre professionnel, par un sentiment de malaise vis-à-vis de collègues ou de supérieurs hiérarchiques ;

Propos ou comportements stigmatisants : propos ou comportements sexistes, homophobes, racistes, liés à la religion, au handicap ou liés à l’état de santé, rapportés par les personnes qui en ont directement été l’objet ;

Dévalorisation du travail : situations de dépréciation ou de déni de reconnaissance du travail ou des compétences, renvoyant soit à une dévalorisation injuste du travail et la manière dont il est mené, une sous-estimation des compétences, ou l’attribution de tâches ingrates ou dévalorisantes ;

Expérience de discrimination et harcèlement discriminatoire : L’expérience de discrimination consiste à un traitement défavorable subi au travail en lien avec au moins l’un des critères suivants : sexe, grossesse ou maternité, âge, origine ou couleur de peau, religion, état de santé ou situation de handicap. Le harcèlement discriminatoire se définit par la loi en tant que tout agissement lié à [un motif prohibé], subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.   

  • Une perception massive des discriminations en France

Selon le baromètre, la perception des discriminations en France se révèle massive, avec plus d’un quart des actifs estimant « que les individus sont souvent ou très souvent discriminés au cours de leur vie, quel que soit le critère envisagé ». De même, 42% des personnes enquêtées ont déclaré avoir été témoins de discrimination(s) ou de harcèlement discriminatoire dans le cadre de leurs activités professionnelles.

 

Parmi les critères perçus comme les plus discriminants, l’origine ou la couleur de peau figurent en première place, suivies de l’état de santé ou le handicap, l’apparence physique et l’âge.

 

Parmi les groupes sociaux qui perçoivent de façon plus aigüe les discriminations figurent ceux qui sont les plus souvent exposés : les actifs perçus comme non blancs (62 % soulignent davantage l’ampleur des discriminations liées à l’origine contre 44% pour les personnes perçues comme blanches) ; les femmes (35% perçoivent davantage les discriminations liées à une grossesse ou à un congé maternité contre 23% des hommes) ; les personnes homosexuelles et bisexuelles (39% considèrent davantage que les discriminations liées à l’orientation sexuelle se produisent souvent ou très souvent contre 28% des personnes hétérosexuelles); etc.

 

Source :13ème baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi

 

In fine, l’étude témoigne que la recherche de logement et la recherche d’emploi restent les contextes perçus comme les plus discriminants.

 

  • Des attitudes hostiles qui s’inscrivent dans la continuité

L’intérêt que l’étude porte sur les quatre types de comportements dans l’emploi (voir encadré), « permet de penser les discriminations dans leur dimension systémique et de les relier aux représentations collectives (préjugés et stéréotypes), aux rapports sociaux spécifiques dans le cadre de l’emploi et aux inégalités plus larges qui structurent la société ». Il en ressort que lesdits comportements ne surviennent pas isolement mais, au contraire,  se cumulent : 24% des personnes actives en France déclarent avoir subi cumulativement des discriminations, des propos et comportements sexistes, racistes, homophobes, liés à la religion, etc.

 

Préjugés et stéréotypes :trois catégories de personnes visées

En 2020, 17% des répondants déclarent être mal à l’aise avec des collègues transgenres, 13% avec des gens du voyage et 12% face aux personnes atteintes d’une maladie grave ou chronique, et ce quel que soit le secteur d’activité ou la position hiérarchique.

 

Les chercheurs mettent en lumière l’ancrage profond de ces préjugés dans la société, « puisqu’en 2012, ils apparaissaient déjà comme les plus cités ».

 

La dévalorisation au travail : un phénomène massif

Selon l’édition de 2020, près de 80% des personnes enquêtées affirment avoir déjà été confrontées à une dévalorisation professionnelle. En même temps, environ 13% déclarent avoir subi l’ensemble des huit situations hostiles suivantes : dévalorisation injuste du travail ; sous-estimation des compétences ; attribution de tâches inutiles, ingrates ou dévalorisantes ; pression pour en faire plus ; volonté d’isoler, de « placardiser » ou de faire démissionner ; tentative d’humilier ou de ridiculiser ; empêchement d’exercer correctement son travail ou de s’exprimer ; sabotage du travail. La dévalorisation injuste du travail ainsi que la sous-estimation des compétences sont les situations les plus fréquentées. Par ailleurs, les femmes rapportent plus fréquemment la sous-estimation de leurs compétences (61% contre 53% des hommes).

 

Propos ou comportements stigmatisants : quatre répondants sur dix sont concernés

41% des actifs affirment avoir été confrontés d’au moins à un propos ou comportement sexiste, homophobe, raciste, lié à l’état de santé, au handicap, à la religion ou à d’autres caractéristiques personnelles au travail.

 

Trois groupes sociaux figurent parmi les plus exposés à ces propos et comportements : les femmes en situation de handicap (68%) ; les femmes de moins de 50 ans perçues comme non blanches (69%) ; et les hommes homosexuels ou bisexuels (70%).

 

Discriminations et harcèlement discriminatoire : moins de personnes disent avoir subi une discrimination depuis 2013

Depuis 2013, une légère diminution de la proportion de la population active déclarant avoir été discriminée dans l’emploi se constate (-7 points). Pourtant, le pourcentage demeure encore élevé, avec 23% des personnes enquêtées qui affirment avoir déjà été victimes de discrimination(s) ou de harcèlement discriminatoire dans l’emploi, sans différence significative selon le secteur d’activité.

 

Le critère de discrimination le plus souvent évoqué demeure l’apparence physique (40% des répondants), suivi du sexe (40% d’entre eux) et de l’état de santé (30%). Si ce classement reste inchangé depuis 2013, les chercheurs pointent une augmentation des discriminations liées à l'apparence physique (de 19% en 2013 à 43% dans le secteur privé en 2020), à l'orientation sexuelle (de 5% en 2013 à 37% dans le secteur privé en 2020) et au jeune âge (de 8% en 2013 à 28% dans le secteur privé en 2020).

 

  Source :13ème baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi

 

  • Conséquences : des effets délétères et durables sur les parcours individuels

Un des enseignements majeurs de l’étude est que la multiplicité de ces comportements, ainsi que leur caractère systémique et imbriqué, a des répercussions négatives sur la vie professionnelle et personnelle des individus.

 

Il s’avère ainsi que près de la moitié des actifs (46%) ayant été victimes de discriminations disent avoir connu un impact sur leur emploi. A la suite des faits, 48% des personnes enquêtées ont pris des mesures pour se protéger : 31% ont démissionné ou négocié un licenciement ; 19% ont changé de service à leur demande ; et 18% considèrent qu’elles ont obtenu une réparation.

 

Additionnement, les victimes de discrimination voient leur bien-être au travail sensiblement affecté : 82% expriment un sentiment de colère ; 49% font état des sentiments de fatigue, de tristesse, de déprime ou de dégradation de l’état de santé ; 38% évoquent l’absence d’envie ou la peur d’aller travailler ; et 29% estiment avoir des pertes de mémoire ou des difficultés de concentration.

 

Les répercussions sur la suite de la carrière sont aussi négatives : 22% des répondants n’ont pas soumis leur candidature à une offre d’emploi, pourtant en adéquation avec leurs compétences, en raison de leur sexe, leur âge, leur origine ethnique, etc.

 

In fine, l’expérience de discrimination est susceptible d’influencer les relations de la victime avec son entourage. Ainsi, 44% des répondants admettent avoir connu des relations perturbées avec leur famille et 37% avec leurs amis.

 

  • Une augmentation des recours intentés

Un de constats encourageants de l’étude est que plus des trois quarts des personnes ayant été confrontées à une discrimination déclarent avoir entrepris des démarches à la suite des faits. Ce qui représente deux fois plus de personnes par rapport à 2012, soit une augmentation de +19 %.

 

Les personnes qui ne se sont pas exprimées au moment des faits représentent tout de même 23,5% des actifs. Parmi elles, 68% évoquent la peur de représailles de la part des auteurs, 60% indiquent qu’elles ne savaient pas quoi faire et 56% pensent que cela n’aurait rien changé.

 

Compte tenu de ces constats, les chercheurs rappellent l’importance pour les entreprises de s’engager dans la lutte contre les discriminations en adoptant une approche globale qui prend en considération « à la fois la multiplicité des comportements hostiles au travail, leur dimension systémique et les situations particulières de certains groupes qui y sont surexposés ».

 

Vous trouverez, ci-après, l’intégralité du 13ème baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi de décembre 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] 13ème baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, présenté par le Défenseur des droits le 1er décembre 2020.