La pratique du télétravail s'est massivement imposée aux entreprises et aux salariés, notamment dans le cadre de la crise sanitaire. Selon une étude de la Dares, plus d’un actif sur quatre s’est vu travailler à 100 % à distance depuis 2019. C’est dans ce contexte très particulier que les salariés et les entreprises ont manifesté un intérêt certain à l’égard du télétravail, incitant les partenaires sociaux à engager un travail de bilan et de réflexion sur ce thème.
A la suite de six séances de travail paritaires, les partenaires sociaux représentatifs au niveau national et interprofessionnel ont élaboré un diagnostic articulé autour de trois enjeux majeurs relatifs au développement du télétravail, dans un contexte « normal » d'activité de l'entreprise, et en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure.
À l'issue de la dernière séance de travail, le 22 septembre dernier, le document élaboré avait recueilli un avis favorable de six organisations :
- Côté organisations syndicales : la CFDT, la CFE-CGC et FO
- Côté organisations patronales : la CPME, le Medef et l'U2P
Au cours de cette même séance, les organisations patronales avaient répondu favorablement à la demande des organisations syndicales d'ouvrir une négociation nationale interprofessionnelle sur le télétravail. Deux premières réunions de travail avaient été programmées les 3 et 23 novembre.
⇒ 3 novembre 2020 : Première séance de négociation
C’est dans un contexte particulier de confinement national, que les partenaires sociaux se sont retrouvés en visioconférence pour une première séance de négociation interprofessionnelle sur le télétravail.
Bilan de la première séance de négociation
- Trois dates de réunion ajoutées : 10, 13 et 17 novembre
- Date de la séance conclusive déterminée : 23 novembre
♦ Position des organisations patronales quant à la conclusion d’un accord
- Concernant l’objectif de conclusion d’un accord le 23 novembre, Hubert MONGNON, négociateur du Medef (mouvement des entreprises de France), a estimé que l’enclenchement rapide d’un travail de fond visant à conclure un accord interprofessionnel était nécessaire à une mise en œuvre réussie du télétravail « pour le bien commun, pour le bien des entreprises et pour celui des salariés ».
- Concernant les contours de l’accord envisagé, l’objectif initial visant à aboutir à un accord qui ne soit « ni normatif ni prescriptif » reste inchangé. Pour Hubert MONGNON, de nombreuses entreprises n’entendent pas revenir à un télétravail à 100 % malgré le dernier protocole sanitaire qui n’est pas « opposable en tant que tel aux entreprises ». Il appartient à l’employeur de définir les postes télétravaillables, et seules les sanctions prévues par la loi pouvaient être appliquées aux employeurs qui ne remplissaient pas leur obligation de sécurité.
♦ Position syndicale quant à la conclusion d’un accord
- Concernant l’objectif de conclusion d’un accord le 23 novembre, l’ensemble des organisations syndicales s’accordent pour dire que l’avancée des travaux déjà réalisés autour du télétravail permet d’envisager que celui-ci sera atteint. Une réserve est toutefois formulée par Éric COURPOTIN, secrétaire confédéral à la CFDT (Confédération française démocratique du travail), qui précise que la communication tardive des documents de travail et les freins politique seraient les principaux obstacles à la réalisation de cet objectif.
- Concernant les contours de l’accord envisagé, Béatrice CLICQ, secrétaire confédérale de FO France (Force Ouvrière), a rappelé que si les organisations syndicales craignaient au regard du contexte sanitaire actuel que les organisations patronales ne cherchent à limiter l’accord envisagé au « seul télétravail exceptionnel », elles se déclarent « satisfaites de l’approche globale finalement envisagée par le patronat ». Toutefois, une place particulière sera faite aux questions liées à la gestion de la crise du Covid-19. En effet, le nouveau protocole sanitaire mis en place donne lieu à de nombreuses interprétations qui, d’après Catherine PINCHAUT, secrétaire nationale à la CFDT, pousse les employeurs dans ce contexte à « privilégier souvent la poursuite d’activité à la sécurité sanitaire ».
Les organisations patronales devaient aussi transmettre aux organisations syndicales, au plus tard le 6 novembre, un plan détaillé de l’ANI envisagé. Celui-ci se construit autour de sept chapitres principaux (qui reprenaient le diagnostic du 22 septembre sur le télétravail), ce plan avait été présenté oralement par le Medef aux organisation syndicales pour être discuté lors des prochaines séances.
- L’intégration du télétravail dans l’organisation et la stratégie de l’entreprise
- La mise en place du télétravail
- L’organisation du télétravail
- Le management et le fonctionnement des équipes
- Les fondamentaux de la relation de travail
- La continuité du dialogue social
- Les modalités de mise en œuvre du télétravail « en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure »
(!) Certains points ne faisaient pas consensus :
- La question des activités télétravaillables : Les organisations syndicales souhaitaient définir avec plus de précision que le patronat les activités télétravaillables et celles qui ne le sont pas.
- La charge de travail: Les organisations syndicales souhaitaient intégrer les questions de santé et de sécurité, clarifier le droit à la déconnexion et permettre une séparation claire entre vie privée et vie professionnelle. Les organisations patronales estimaient que les textes en la matière étaient déjà assez précis.
- La formalisation du télétravail : Si depuis les ordonnances Macron, il n’est plus nécessaire d'en passer par un accord collectif pour mettre en œuvre le télétravail (un accord verbal entre l'employeur et le salarié suffit), les syndicats souhaiteraient que la mise en œuvre du télétravail implique un véritable formalisme.
⇒7 novembre 2020 : le patronat transmet son projet de plan d'accord
Dans le cadre de la négociation, le patronat a transmis aux organisations syndicales le projet de plan détaillé d’accord intitulé « accord pour une mise en œuvre réussie du télétravail ». Comme il l’avait été annoncé, le document contient sept chapitres qui visent à rappeler le cadre juridique applicable au télétravail, ce qui permettra de mettre en place et d’organiser celui-ci au sein des entreprises.
Chapitres envisagés | Contenu du chapitre envisagé |
1. Le télétravail dans l'entreprise et ses impacts sur son écosystème
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2. La mise en place du télétravail
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3. L'organisation du télétravail
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4. L'accompagnement des collaborateurs et des managers
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5. La préservation de la relation de travail avec le salarié
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6. La continuité du dialogue social de proximité
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7. La mise en œuvre du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure
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⇒ 10 novembre 2020 : deuxième séance de négociation
Lors de la deuxième réunion de négociation nationale interprofessionnelle sur le télétravail, les organisations patronales ont présenté aux syndicats leur projet de plan d’accord (déjà transmis aux organisations syndicales le 7 novembre).
♦ Position des organisations patronales à la suite des discutions
Si le Medef relève une « adhésion globale sur l’ensemble du plan et des thèmes » proposés, des points de divergence persistent dans la discussion.
Ainsi, le patronat maintient sa position initiale, considérant les idées d’ajout du télétravail comme thème de la négociation obligatoire ou obligatoire la conclusion d’un accord avant toute mise en place du télétravail comme « excessive ».
A ce titre, le patronat estime que l’ANI qui résultera des discussions ne devra viser qu’à rappeler le droit positif afin que « chacun puisse l’avoir à l’esprit », toute dimension prescriptive ou normative de l’accord est donc exclue.
Le patronat suggère aussi la mise en place d’un comité de suivi, qui aura pour mission d’apporter au texte les adaptations nécessaires en fonction des attentes des salariés et des entreprises.
♦ Positions des organisations syndicales à la suite des discutions
- Éric Courpotin (CFTC) estime que le patronat propose un « accord pour une mise en œuvre réussie du télétravail » quand les syndicats réclament un véritable « accord national interprofessionnel ». Il considère que la recherche du compris dans ces négociations n’est pas assez présente.
- Jean-François Foucard (CFE-CGC) considère que la partie patronale ne fait qu’élaborer « un guide d’utilisation du télétravail » là où partie syndicale souhaite « résoudre des problèmes au niveau interprofessionnel et produire de la norme là où c’est nécessaire ».
- Catherine Pinchaut (CFDT) regrette la tenue d’une réunion « extrêmement laborieuse » dans un contexte où le sujet impose « d’avancer excessivement rapidement ». Elle relève aussi « de nombreux refus du patronat », notamment celui « d’intégrer au texte des définitions plus précises et circonscrites de ce que recouvre le télétravail ».
- Fabrice Angei (CGT) estime que « le patronat campe sur ses positions et ne veut pas véritablement négocier le contenu d’un accord-cadre qui approfondi l’ANI de 2005 », alors que l’ensemble des syndicats se retrouvent autour de la volonté d’aboutir à un accord qui « porte des prescriptions fortes » sur différents points.
Il ressort des négociations que les organisations syndicales ont une position commune sur de nombreux sujets :
- La prise en charge des frais professionnels
- La limitation du recours au télétravail
- Le droit à la déconnexion
- L’éligibilité des postes
- La nécessité de formaliser l’accord entre salarié et employeur
- L’importance de passer par une négociation avant de mettre en place le télétravail
A l’issue de cette deuxième séance de négociation, la CGT a proposé la tenue d’une réunion intersyndicale avant le 13 novembre, pour aboutir à la mise en place d’une « plateforme commune » de propositions syndicales qui pourra être opposée au « blocage patronal ». À défaut de la conclusion d’un accord, la CGT envisage de faire parvenir des propositions intersyndicales au gouvernement en vue d’une évolution du droit positif.
En vue de faciliter les discussions, la CFDT a remis à l’issue de la séance un projet d’accord qui reprend l’essentiel des débats et explique tous les thèmes abordés. Le projet d‘accord proposé rappel les points que les syndicats estiment nécessaire de moderniser au-delà des dispositions légales déjà en vigueur.
Chapitres envisagés | Contenu du chapitre envisagé |
Le télétravail dans l’entreprise et ses impacts sur son écosystème | Définition des différentes formes de télétravail
Précisions quant à l’intégration du télétravail dans le fonctionnement de l’entreprise
Rappel de l’importance de la cohésion sociale interne
Impact du télétravail sur « l’écosystème externe à l’entreprise »
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La mise en place du télétravail | Rappel des conditions d’éligibilité au télétravail
Rappel des différents cadres dans lesquels un employeur peut recourir au télétravail
Rappel des fondements juridiques du télétravail
Le télétravail ne peut pas être imposé au salarié en temps normal (c’est-à-dire hors situation exceptionnelle ou cas de force majeure).
La mise en place du télétravail est réversible sur demande ou de l’employeur ou du salarié, qui pourra réintégrer l’entreprise sur un poste équivalent.
Rappel de l’importance du dialogue avec les salariés et leurs représentants dans la mise en place de ce mode d’organisation du travail. |
L’organisation du télétravail | Rappel des dispositions légales qui permettent d’organiser le télétravail et de préserver le lien contractuel entre le télétravailleur et son employeur.
Clarification des règles relatives à la fréquence du télétravail. Il est à noter que la plupart des partenaires sociaux sont opposés à l’idée d’un télétravail à 100 % sur une longue période.
Mise en avant du maintien communication au sein de la communauté de travail, c’est-à-dire entre les travailleurs qu’ils soient ou non en télétravail.
Précision des modalités d’adaptation des règles de sécurité à ce mode d’organisation du travail, et rappel de la nécessité de réévaluation des risques psychosociaux et organisationnels dues à l’éloignement du salarié |
L’accompagnement des collaborateurs et des managers | Définition des adaptations nécessaires pour une mise en œuvre réussie du télétravail
Précisions relatives à la gestion des situations particulières dans le cadre du télétravail par les managers
Mise en avant de la nécessité de préserver la politique de gestion des ressources humaines malgré le télétravail
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La préservation de la relation de travail avec le salarié | Mise en avant de la nécessité du maintien du lien social au sein des entreprises recourant au télétravail. Mise en avant de la prévention de l’isolement des télétravailleurs (notamment depuis le début de la crise sanitaire liée à la Covid-19). |
La continuité du dialogue social de proximité | Rappel des modalités organisationnelles et techniques devant permettre d’assurer la continuité du dialogue social à distance en cas de télétravail. Rappel des règles en vigueur en matière d’exercice du droit syndical et de la représentation du personnel. |
Le télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure | Définition des circonstances exceptionnelles qui contraint les entreprises de à recourir au télétravail
Rappel des adaptations à mettre en œuvre pour la mise en place rapide et efficiente du télétravail
Rappel de l’importance du dialogue social et du suivi interne continu, notamment par la mise en place de réunions d’urgence
Une vigilance particulière doit être apportée lorsque le télétravail est porté à 100% ou tend à l’être, d’autant plus quand la période est longue, renouvelable voire indéfinie. |
Il est à noter que les organisations patronales doivent transmettre un premier projet d’accord le 12 novembre. D’après le Medef, celui-ci s’appuiera sur le modèle du projet de plan d’accord et « reprendra les éléments de convergence ».