Jurisprudence : l’interdiction absolue qui était faite aux personnels navigants d’exercer leur activité professionnelle au-delà de 60 ans était discriminatoire

Non-discrimination

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Dans un arrêt rendu le 9 juillet dernier, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d'appel de Paris qui a jugé discriminatoire l'ancienne règle que contenait l'article L. 421-9 du code de l'aviation civile, fixant de manière absolue, et sans exception possible, à 60 ans l'âge limite à compter duquel les pilotes ne pouvaient plus exercer leur activité professionnelle.  

Cass. soc.,9 juillet 2015, pourvoi n° 14-12.834

 

Un commandant de bord qui travaillait au sein de la compagnie Air France a été licencié, en 2008, à quelques semaines de son soixantième anniversaire au motif qu'au-delà de cet âge il n'était plus autorisé à exercer son activité professionnelle de pilote de ligne. Les recherches de reclassement au sol qui lui avaient été promises par sa hiérarchie s'étaient avérées infructueuses selon son employeur.

Contestant le bien-fondé de la décision de l'employeur, l'ex-pilote de ligne qui avait, dans l'intervalle, fait valoir ses droits à la retraite saisit, un peu plus d'un an plus tard, la justice prud'homale aux fins d'obtenir sa réintégration et le versement de diverses sommes correspondant aux préjudices qu'il estime avoir subis. Étonnamment, les juges prud'homaux vont le débouter de toutes ses demandes. Il interjette appel de ce jugement. Le contentieux va alors connaître une toute autre tournure.

En effet, pour mettre un terme à la relation contractuelle, la société Air France s'était appuyée sur l'article L.421-9 du code de l'aviation civile dans sa version applicable au moment des faits. Que disait cet article? Il énonçait une règle : le  personnel navigant de l'aéronautique civile ne pouvait exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans. Toutefois, ce même texte prévoyait que "sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui était offert", le contrat de travail du personnel navigant n'était pas rompu du seul fait que cette limite d'âge était atteinte.

Dans ces conditions, les juges du fond avaient à examiner tour à tour la conformité de la décision de l'employeur à ces dispositions avant de s'interroger sur la conformité même de ces dernières au droit européen communautaire.   

Méconnaissance par l'employeur de la loi nationale

Quelle est la finalité des dispositions litigieuses? Pour la cour d'appel de Paris (décision du 19 décembre 2013), saisie de cette affaire, il s'agit "à l'évidence de permettre au personnel navigant âgé de plus de 60 ans de demeurer dans l'entreprise dans un emploi au sol, sans pouvoir exercer une activité de pilote ou de co-pilote" et ne constituaient en aucun cas une mesure couperet, autorisant l'employeur à se séparer de façon automatique de ses personnels navigants dès qu'ils atteignent l'âge de 60 ans. Dès lors, estiment les juges, la compagnie a méconnu la loi et "a exécuté le contrat de façon déloyale en s'abstenant de rechercher effectivement une quelconque solution de reclassement dans un groupe de plusieurs milliers de salariés".

Pour caractériser les manquements de la compagnie Air France à ses obligations, les juges soulignent que celle-ci non seulement "ne justifie pas de recherches effectives dans des compagnies filiales détenues à 100% et dans lesquelles étaient employés des pilotes jusqu'à l'âge de 65 ans", mais elle ne démontre pas que son ex-salarié "n'avait pas les compétences requises pour occuper les postes disponibles au sol et ce d'autant plus, qu'il n'est pas contesté qu'il avait antérieurement occupé des fonctions de responsabilité au sol".

Interdiction frappant les personnels navigants : différence de traitement justifiée ou discrimination?

Cependant, les juges ne se contentent pas de condamner Air France. Ils se sont interrogés- le juge national étant le juge de droit commun de l'application des règles communautaires - sur la conformité des dispositions litigieuses au droit européen communautaire. Plus précisément, il s'est agi de dire si l'article L.421-9 du code de l'aviation civile qui prescrivait l'interdiction de pilotage pour les pilotes de ligne, au-delà de l'âge de 60 ans était en phase ou non (test de conformité) avec les règles européennes inscrites dans la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière de l'emploi.

En effet, le droit communautaire qui interdit les discriminations directes et indirectes fondées sur l'âge, admet toutefois les différences de traitement fondées sur ce même motif, lorsqu'elles ont pour objet des mesures "qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui" (directive 2000/78, article 2), ou lorsque "en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause (c'est-à-dire l'âge) constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée" (directive 2000/78, article 4).

Par ailleurs, les États membres de l'Union européenne "peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires" (directive 2000/78, article 6).

En l'espèce, les juges devaient se prononcer sur le fait de savoir si l'interdiction qui frappait les pilotes de ligne constituait une différence de traitement justifiée ou s'il s'agissait d'une mesure discriminatoire.

Méconnaissance par le législateur du droit européen communautaire

A cet égard, reprenant à son compte la jurisprudence de la Cour de justice de l'union européenne, la réponse de la cour d'appel de Paris est sans ambiguïté : "une règle interne qui fixe de manière absolue, et sans exception possible, à 60 ans l'âge limite à compter duquel les pilotes ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle alors que les réglementations communautaires et internationales, fixent cet âge à 65 ans, n'institue pas une mesure nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé au sens de l'article 2 §5 de la directive précitée, pas plus qu'elle n'instaure une restriction légitime, en raison de la nature de l'activité professionnelle en cause ou des conditions de son exercice, cette limite d'âge à 60 ans n'en constituant pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l'article 4§1 de la même directive". D'où il résulte que cette règle établissait "une mesure discriminatoire du fait de l'âge, peu important par ailleurs que la rupture du contrat de travail provienne non seulement de cet âge atteint mais aussi de l'impossibilité de procéder au reclassement du salarié" et que la rupture du contrat de travail de l'ex-pilote "s'analyse en un licenciement nul et à tout le moins dénué de cause réelle et sérieuse". 

En revanche, l'ex-pilote n'obtient pas satisfaction quant à sa demande de réintégrer son ancienne entreprise en raison d'une part de son âge (plus de 65 ans, au moment où la cour d'appel rend sa décision) et, d'autre part, en raison du fait qu'ayant liquidé ses droits à la retraite, il n'était plus possible  de procéder rétroactivement à sa réintégration.

Dans un arrêt rendu le 9 juillet dernier, la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d'appel de Paris.

Précisons, enfin, que le contenu de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile a connu d’importantes évolutions. En effet, si la règle demeure que le personnel navigant de l'aéronautique civile ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans, elle a, néanmoins, été assouplie par la loi. Ainsi, le personnel qui remplit les conditions nécessaires à la poursuite de son activité de navigant est maintenu en activité au-delà de soixante ans pour une année supplémentaire sur demande formulée au plus tard trois mois avant son soixantième anniversaire, uniquement dans le cas des vols en équipage avec plus d'un pilote, à la condition qu'un seul des pilotes soit âgé de plus de soixante ans. Cette demande peut être renouvelée dans les mêmes conditions les quatre années suivantes.

Par ailleurs, lorsque les personnes concernées ne demandent pas à poursuivre leur activité de navigants ou lorsqu’ils atteignent l'âge de soixante-cinq ans, la loi prévoit que le contrat n'est pas rompu de ce seul fait, « sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui est proposé ».