Jurisprudence : les seniors ont-ils accès à la formation ?

Non-discrimination

- Auteur(e) : Francis Meyer

Les enquêtes concernant le travail des seniors font toutes ressortir que les seniors sont moins formés que les autres salariés pour diverses raisons.

La réforme de la formation professionnelle qui vient d’intervenir essaie une nouvelle fois de remédier à cet état de fait en imposant un entretien professionnel d’un type nouveau dans toutes les entreprises et pour tous les salariés. Il doit être organisé tous les 2 ans durant toute la vie professionnelle pour étudier les perspectives d’évolution professionnelle notamment en termes de qualification et d’emploi. Tous les 6 ans, il doit y avoir une formalisation écrite de cette démarche sous peine de voir l’employeur obligé d’abonder de 100 heures le congé personnel de formation.

Mais «la formation continue tout en long de la vie» n’est pas encore une réalité dans toutes les entreprises, y compris dans les grandes. La surreprésentation des seniors dans les ruptures conventionnelles et le taux de chômage important qui affecte ceux qui perdent leur emploi montre que cette catégorie de travailleurs, plus encore que d’autres, continue à faire office de variable d’ajustement.

L’arrêt de la Cour de Cassation mentionné ci-dessous est représentatif de cet écart entre les prescriptions légales et la situation sur le terrain. Il s’agit d’un pilote d’avion qui souhaite continuer à se former et obtenir une certification pour un autre type d’appareil alors qu’il va atteindre les 60 ans. Selon les règles conventionnelles, une telle formation n’est accessible qu’aux salariés pouvant assurer ensuite un service durant au moins 6 ans, ceci afin d’amortir le coût élevé de ces formations pour l’employeur.

Cette contrepartie est, selon l’employeur, assez virtuelle pour un salarié senior, car celui-ci peut partir d’une année à l’autre à partir de 60 ans. Il lui a donc refusé l’accès à la formation.

La décision de la Cour d’appel, confirmée en Cassation, retient qu’il s’agit d’une discrimination liée à l’âge et les arguments de non-amortissement de la formation ne sont pas recevables : le salarié peut démissionner à tout moment de sa vie professionnelle ou être empêché du jour au lendemain de piloter pour des raisons médicales. Dans ces deux cas, l’employeur n’obtient pas non plus le retour sur investissement qu’il a réalisé en formant le salarié. Cela signifie que le travailleur âgé fait l’objet d’un traitement discriminatoire lié manifestement à son âge.

Reste que les incertitudes liées à la date exacte de départ du salarié de l’entreprise après 60 ans, ou après 65 ans pour le régime général, n’ont pas fini de créer du tracas aux services des ressources humaines.

 

Cour de cassation - chambre sociale

Audience publique du 18 février 2014 - P/13 – 10294

« Mais attendu qu'ayant rappelé que l'article L. 1132-1 du code du travail interdit qu'une personne fasse l'objet d'une mesure de discrimination, directe ou indirecte, notamment en matière de formation, de qualification ou de promotion professionnelle, en raison de son âge, qu'ayant constaté que l'employeur n'apportait aucun élément faisant apparaître que le refus opposé au salarié était justifié par un objectif légitime, que, notamment, l'argument de la société relatif à la rentabilité du coût de la formation, selon lequel le navigant qui a atteint soixante ans serait susceptible de ne pas renouveler sa demande annuelle de poursuite de son activité jusqu'à l'expiration de la durée minimale d'affectation ou de ne plus pouvoir assurer des vols, suite aux visites médicales auxquelles il est soumis, est inopérant, tout navigant pouvant, à un moment quelconque de sa carrière et quel que soit son âge mettre fin au contrat de travail qui le lie à la société ou ne plus être autorisé à piloter en raison d'un problème de santé constaté lors d'une visite médicale, alors qu'il a pu bénéficier d'une récente qualification non encore amortie, et qu'ayant retenu que l'objectif de sécurité publique est assuré pour les pilotes de plus de soixante ans par les conditions posées par le paragraphe II de l'article L. 421-9 du code de l'aviation civile, la cour d'appel a, par ces seuls motifs non critiqués par le moyen, caractérisé une discrimination fondée sur l'âge constitutive d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser … »