Jurisprudence : l'employeur qui se soustrait à l'obligation triennale de négocier ne risque pas de sanction pénale.

Gestion de l'emploi

- Auteur(e) : Hakim El Fattah

Dans les entreprises et les groupes d'entreprises de trois cents salariés et plus, ainsi que dans les entreprises et groupes d'entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise de cent cinquante salariés en France, la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale prévoit l'obligation d'engager tous les trois ans une négociation sur :

 

- les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise ainsi que ses effets prévisibles sur l'emploi et sur les salaires ;

- la mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur laquelle le comité d'entreprise est informé, ainsi que sur les mesures d'accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l'expérience, de bilan de compétences ainsi que d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés;

- les conditions de retour et de maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle;

- le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l'exercice de leurs fonctions. 

 

Cette obligation est entrée en vigueur le 18 janvier 2005; les entreprises concernées avaient, dans un premier temps, jusqu'au 19 janvier 2008, pour s'engager dans une démarche GPEC (Cour de cassation, Chambre sociale, 24 juin 2008, pourvoi n° 07-11411).   

 

Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 7 décembre 2010, la question s'est posée de savoir, à propos du gérant d'une société poursuivi par une organisation syndicale pour n'avoir engagé ces négociations qu'en septembre 2008, s'il convenait de lui infliger une sanction pénale, à l'instar de ce qui est prévu en cas de non-respect de l'obligation de négociation annuelle obligatoire (un an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende). 

 

Le tribunal correctionnel (TGI d'Évry) a relaxé le prévenu en considérant, en l'espèce, que l'élément légal faisait défaut. En revanche, la Cour d'appel, statuant sur les seuls intérêts civils, le ministère public n'ayant pas fait appel de la décision de relaxe, a condamné le gérant de la société. 

Pourquoi une telle divergence entre les juges du fond? En fait, le tribunal correctionnel a fait une stricte application du principe "pas de peine sans texte". Effectivement aucun texte dans le code du travail ne sanctionne pénalement le manquement à l'obligation triennale de négocier (prévue à l'article L. 320-2 du code du travail, devenu article       L. 2242-15) en tant que telle.

En revanche, et c'est là la subtilité de la décision de la cour d'appel, un des thèmes qui doivent faire l'objet de la négociation triennale, à savoir les conditions de retour et de maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle  est expressément visé par les peines encourues en cas de non-respect de l'obligation annuelle. 

 

La preuve par le texte : Article L.153-2 du Code du travail (version applicable à l'époque des faits) : "L'employeur qui se soustrait aux obligations prévues à l'article L. 132-27, à celle prévue à l'article L. 132-28 premier alinéa, ou à celle prévue aux articles L. 932-2 et L. 932-4, est passible des peines fixées par l'article L. 471-2 du présent code".

Parmi les obligations énumérées par l'article L. 132-27 relatif au contenu de la négociation annuelle, figure la négociation que les entreprises de 300 salariés et plus doivent engager dans le cadre de la négociation triennale sur les conditions de retour et de maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle. 

Il est une anomalie juridique qu'il faut relever immédiatement : un des thèmes de la négociation triennale est prévu dans la disposition relative au contenu de la négociation annuelle! Les rédacteurs du nouveau code du travail, entré en vigueur le 1er mai 2008, ont corrigé le tir en logeant la disposition en question dans le corpus relatif à la négociation triennale (l'article L. 132-27, alinéa 2 est devenu L. 2242-19).   

Mais, et la cour d'appel n'a pas manqué de le relever, dans le nouveau code du travail (article L. 2243-2) l'obligation de négocier sur les conditions de retour et de maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle est toujours assortie d'une sanction pénale : un an d'emprisonnement et 3750 euros d'amende. Cependant, la rédaction du nouveau texte est pour le moins ambiguë :

 

Article L. 2243-2 : "Le fait de se soustraire aux obligations prévues aux articles L. 2242-5, L. 2242-8, L. 2242-9, L. 2242-11 à L. 2242-14 et L. 2242-19, relatives au contenu de la négociation annuelle obligatoire, est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros".

Or, l'article L. 2242-19 est relatif au contenu de l'obligation de négociation triennale et non pas annuelle. Ce qui n'empêche pas la cour d'appel de s'appuyer sur ce dernier texte pour affirmer l'existence d'un régime autonome en ce qui concerne l'obligation de négocier sur les conditions de retour et de maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle. Autrement dit, parmi tous les thèmes de la négociation triennale, seul ce dernier expose l'employeur, en cas de non-respect, à la sanction pénale précitée. 

 

Contestant l'appréciation faite par la cour d'appel des textes litigieux, le gérant de la société condamné s'est pourvu en cassation. 

 

Eu égard aux ambiguïtés entourant ces différentes dispositions, il était plus que nécessaire de saisir la Cour de cassation. Malheureusement, la frustration qui saisit le juriste tout au long de cette affaire et des raisonnements proposés par les juges du fond ne s'estompe pas après l'arrêt de la Cour de cassation.

 

En effet, s'appuyant sur les articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 111-3 du code pénal, la Haute juridiction rappelle que "nul ne peut être puni pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi et par une peine qu'elle ne prévoit pas". Elle casse et annule, par conséquent, dans toutes ses dispositions la décision de la cour d'appel

 

La Cour argumente ainsi : "la violation par l'employeur de son obligation triennale, prévues par les articles L. 320-2 et L. 132-27, alinéa 2, devenus L. 2242-15 et L. 2242-19 du code du travail, n'est pas expressément incriminée par l'article L. 153-2 devenu L. 2243-1 et L. 2243-2 dudit code et ne peut être réprimée sur le fondement de ces textes, qui punissent uniquement la violation de l'obligation annuelle de négociation, prévue à l'article L. 132-27, alinéa 1er, l'article L. 2242-1, la cour d'appel a méconnu le texte sus-visé et le principe ci-dessus rappelé".  

 

Si l'affirmation de la Cour s'agissant de l'article L. 2242-15 est tout à fait juste, il en va autrement de l'article L. 2242-19. L'on a mis en évidence précédemment que l'employeur qui se soustrait à l'obligation de négocier sur le thème prévu par ce dernier texte s'expose a priori à la même sanction pénale prévue en cas de manquement à l'obligation de négociation annuelle.

 

D'où il résulte que l'arrêt de la Cour de cassation est à la fois troublant et décevant. Troublant au regard de la lecture que la Cour fait des textes, en décalage total avec la lettre de ces dispositions. Décevant, car la Cour a décidé de mettre fin au litige (pas de renvoi devant les juges du fond). Pourtant, les incertitudes entourant ce contentieux auraient mérité, sinon une autre approche, du moins la poursuite du débat judiciaire.     

 

Signalons enfin qu'à l'occasion de cette affaire, une question prioritaire de constitutionnalité a été introduite devant la Cour de cassation par le gérant de la société mis en cause qui a fait valoir que "les articles L. 132-27, L. 320-2 et L. 153-2 devenus L. 2242-15, L. 2242-19 et L. 2243-2 du code du travail ne répondent ni au principe de légalité des incriminations résultant de l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ni à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de ce texte"; il soutient que "la violation de l'obligation triennale de négocier, imposée à l'employeur, dans les entreprises de plus de trois cent salariés, par les articles L. 320-2 et L. 132-27, devenus L. 2242-15 et L. 2242-19 du code du travail, est dépourvue de sanction pénale".

 

On rappelle que les critères pour que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question prioritaire de constitutionnalité sont détaillés par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'article 61-1 de la Constitution. Ils sont au nombre de trois :

  • la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
  • la disposition législative critiquée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
  • la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. 

 

A l'aune de ces critères, la Cour de cassation juge que la question soulevée par les requérants ne présente pas un caractère sérieux. Elle décide, par conséquent, de ne pas la renvoyer devant le Conseil constitutionnel.