Jurisprudence : le Conseil d'Etat s'est prononcé sur une affaire mettant en jeu les principes de la directive 2000-78 du 27 novembre 2000 relative à l'égalité de traitement en matière d'emploi.

Non-discrimination

- Auteur(e) : Tiphaine Garat

CE, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 2006-04-25, 278105, publié au Recueil Lebon.

 

 

Dans cet arrêt du 25 avril 2006, le Conseil d’Etat considère que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret fixant à 55 ans l’âge au delà duquel le personnel navigant de l’aéronautique civile ne peut exercer aucune activité en qualité de personnel de cabine dans le transport aérien public.

 

Article L. 421-9 du code de l’aviation civile prévoit, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2004 relative aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France, qu’un décret fixe l’âge au delà duquel le personnel navigant de l’aéronautique civile ne peut exercer aucune activité en qualité de personnel de cabine dans le transport aérien public. En application de cette disposition, l’article 1er du décret du 23 décembre 2004 a ajouté au code de l’aviation civile un article D. 421-10 fixant cet âge à cinquante-cinq ans.

 

Les requérants demandent l’annulation du décret car d’une part celui-ci aurait pour effet d’interdire l’accès à l’exercice d’une activité professionnelle et d’autre part il s’agit d’une discrimination fondée sur l’âge contraire à la Directive 2000-78 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi.

 

La directive 2000-78 du 27 novembre 2000 établit un cadre général pour lutter contre les différents types de discrimination, dont celle fondée sur l’âge (art.2§1). Cette dernière bénéficie toutefois d’un traitement particulier puisque la directive prévoit des différences de traitement "objectivement et raisonnablement justifiées" (art.6 §1).

 

Le conseil d’Etat rejette le premier moyen au motif que ce décret a pour seul effet d’empêcher le personnel navigant commercial de continuer à exercer une activité en qualité de personnel de cabine dans le transport aérien public au-delà de l’âge qu’il fixe et ne fait en revanche nullement obstacle à ce que les personnels ayant atteint cette limite d’âge continuent à exercer une activité professionnelle après reclassement dans un emploi au sol.

 

Concernant le second moyen, le Conseil d’Etat estime que cette limite d’âge est justifiée. En effet, « elle a été prise pour tenir compte de la spécificité des tâches du personnel naviguant commercial lorqu’il travaille en cabine ainsi que des sujétions particulières auxquelles celui-ci est soumis du fait de ses fonctions ». La limite d’âge répondrait ainsi à « un objectif légitime de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de protection des travailleurs », elle serait « proportionnée à l’objectif poursuivi ».

 

Au regard des exigences de la directive communautaire 2000/78, la motivation est insuffisante. En effet, quelle est la « spécificité » des tâches du personnel navigant ? Quelles sont les « sujétions particulières » ?

 

Une double vérification s’avère ici nécessaire pour s’assurer de la conformité à la directive, ce dont on peut douter. Tout d’abord, est-ce que ces spécificités et sujétions particulières, une fois explicitées, justifient « objectivement et raisonnablement » une différence de traitement fondée sur l’âge entre travailleurs ? Si tel est le cas, la condition d’âge de 55 ans constitue-t-elle une réponse proportionnée et nécessaire ?

 

De plus, il faut souligner que le fait que d’autres Etats membres appliquent une réglementation similaire, comme l’invoque le Conseil d’Etat, n’a aucun effet justificatif. De même, la circonstance que les salariés ne soient pas licenciés, mais qu’il bénéficient d’une procédure de reclassement dans un emploi au sol, ne suffit pas à occulter le fait que les salariés sont privés d’exercer un type d’emploi en raison de leur âge.

 

Il aurait été souhaitable que le Conseil d’Etat, comme le lui avait suggéré les requérants, invite la Cour de justice des Communautés européennes à statuer sur la licéité de ce type de condition d’âge par rapport à la directive 2000-78.