Jurisprudence : le Conseil constitutionnel censure les lois dites de cristallisation des pensions des anciens combattants issus de l'ex-empire français.

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- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Conseil constitutionnel, Décision n°2010-1 QPC du 28 mai 2010.

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 14 avril 2010, par le Conseil d'Etat, dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution¹, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts L. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de :

- l'article 26 de la loi du 3 août 1981 de finances rectificatives pour 1981;

- l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002;

- l'article 100 de la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007.

Ces dispositions législatives sont relatives à la "cristallisation des pensions", c'est-à-dire au régime spécial des pensions applicables aux ressortissants des pays et territoires autrefois sous souveraineté française et, en particulier, aux ressortissants algériens.

Plus précisément, étaient dénoncées des différences de traitement :

− entre titulaires de « prestations du feu » et titulaires étrangers d’autres prestations de retraite : les premiers bénéficient en effet d’une décristallisation totale, sans considération de nationalité ni de résidence, tandis que les seconds sont soumis à une décristallisation relative ;

− entre pensionnés étrangers résidant à l’étranger et pensionnés résidant en France : hors « prestations du feu » depuis le 1er janvier 2007, les pensionnés étrangers résidant à l’étranger à la date de liquidation de leurs droits ne sont pas traités de la même façon que les pensionnés résidant en France ; la valeur du point est en effet fixée en fonction des différences de pouvoir d’achat constatées entre les pays de résidence ; la différence de traitement serait accentuée par la « non-revalorisation » de l’indice applicable aux pensionnés étrangers, c’est-à-dire par la « cristallisation » du nombre de points constituant cet indice ;

− entre pensionnés étrangers résidant à l’étranger : hors « prestations du feu » depuis le 1er janvier 2007, les pensionnés ou ayants cause étrangers ne seraient pas traités de la même façon, selon leur lieu de résidence au moment de la liquidation de leurs droits, et a fortiori s’ils changent de résidence postérieurement − ce changement n’a en effet aucun effet sur le montant de leur pension ;

− entre pensionnés étrangers et pensionnés français résidant dans le même État étranger : hors « prestations du feu » depuis le 1er janvier 2007, les pensionnés ou ayants cause étrangers et les pensionnés ou ayants cause français résidant pourtant dans un même État étranger au moment de la liquidation de leurs droits ne sont pas traités de la même façon. Subsiste donc un critère de nationalité.

Par une décision rendue, le 28 mai dernier, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions comme étant contraires au principe d'égalité.

Les sages rappellent d'abord les termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse"; ils rappellent également que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

Le Conseil constate ensuite que les dispositions combinées de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 et de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 qui prévoient des conditions de revalorisation différentes de celles prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite " laissent subsister une différence de traitement avec les ressortissants français résidant dans le même pays étranger". Bien qu'il soit loisible au législateur de fonder une différence de traitement sur le lieu de résidence en tenant compte des différences de pouvoir d'achat, "il ne pouvait établir, au regard de l'objet de la loi, de différence selon la nationalité entre titulaires d'une pension civile ou militaire de retraite payée sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics de l'Etat et résidant dans un même pays étranger".

Dans le prolongement de ce raisonnement, le Conseil relève que l'abrogation de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 et de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 a pour effet d'exclure les ressortissants algériens du champ des dispositions de l'article 100 de la loi du 21 décembre 2006, d'où il résulte "une différence de traitement fondée sur la nationalité entre les titulaires de pensions militaires d'invalidité et des retraites du combattant selon qu'ils sont ressotissants des autres pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France". Cette différence est injustifiée au regard de la loi.

Par conséquent, le Conseil déclare ces dispositions contraires à la Constitution.

L'abrogation de ces dispositions prendra effet à compter du 1er janvier 2011. Les sages précisent qu'il appartient, d'une part, aux juridictions de surseoir à statuer jusqu'au 1er janvier 2011 dans les instances dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles et, d'autre part, au législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à ces instances en cours à la date de la présente décision. 

 

Pour tout savoir sur cette décision ainsi que sur la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/page-d-accueil.1.html

 

 

 

¹ Article 61-1 " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article".