Jurisprudence : la mise à la retraite prématurée est un licenciement nul.

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- Auteur(e) : Tiphaine Garat

Que risque l’employeur qui met à la retraite un salarié ne remplissant pas les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein ?

 

 

Pour la première fois, la Cour de cassation juge dans un arrêt en date du 21 décembre 2006, que si les conditions de la mise à la retraite ne sont pas remplies, la rupture constitue un licenciement discriminatoire puisque fondé sur l’âge, donc nul.

 

La jurisprudence antérieure

 

L’employeur peut mettre un salarié à la retraite si ce dernier a atteint 65 ans, « âge à partir duquel il peut bénéficier d’une retraite à taux plein quelque soit sa durée d’assurance » (C.trav. L122-14-13 al3).

 

Si des dérogations sont prévues, aux termes desquelles une mise à la retraite peut intervenir avant 65 ans, la mise à la retraite ne peut en aucun cas intervenir tant que le salarié ne peut bénéficier d’une retraite à taux plein.

 

Si cette condition n’est pas remplie, la mise à la retraite est requalifiée en un licenciement en vertu de l’article L122-14-13 du Code du travail.

 

Mais allant plus loin que la loi et faisant ici application de principes de solutions d’origine cette fois jurisprudentielle, les magistrats ont encore décidé que la mise à la retraite d’un salarié, ne pouvant bénéficier d’une retraite à taux plein, devait donner lieu au paiement, non seulement de l’indemnité (légale ou conventionnelle) de licenciement, mais également à une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass.soc. 25 mars 1992, Bull. n°213 ; Cass.soc. 16 juin 1998, Bull. n°325).

 

En effet, la Cour de cassation estime que le défaut d’énonciation d’un motif dans la lettre de rupture comme l’imprécision des motifs évoqués équivalent à une absence de cause réelle et sérieuse. Or, une lettre de mise à la retraite n’invoquant comme cause de rupture que l’âge du salarié, la Cour en déduisait que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse avec les conséquences indemnitaires en découlant.

 

Par ailleurs, l’article L122-45 du Code du travail, introduit par la loi du 16 novembre 2001, consacre l’âge du salarié comme motif de discrimination. Il stipule qu’aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge, toute disposition ou tout acte contraire à son égard étant nul.

 

De fait une étape supplémentaire devait être franchie : la mise à la retraite d’un salarié ne bénéficiant pas d’une pension de vieillesse à taux plein ne constitue-t-il pas un licenciement nul car fondé sur un motif discriminatoire ?

 

Cette question a été posée pour la première fois, depuis que le législateur n’étende le champ d’application de l’article L122-45 aux mesures liées à l’âge, à la chambre sociale de la Cour de cassation, à propos de la mise à la retraite d’un officier de marine, à un âge où il ne pouvait bénéficier d’une retraite à taux plein, qu’il aurait pu obtenir s’il avait continué son activité.

 

Après avoir rappelé qu’« il résulte de l’article L122-45 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, qu’aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou tout acte contraire à l’égard d’un salarié est nul », la Cour de cassation énonce qu’« ayant constaté que l’armateur n’invoquait comme cause de rupture que l’âge de l’officier, lequel au moment de la rupture du contrat de travail, ne bénéficiait pas d’une retraite à taux plein, (la Cour d’appel) a, à bon droit, décidé que sa mise à la retraite constituait un licenciement nul ».

 

Il s’agit là d’une décision ne faisant, en fin de compte, qu’application des dispositions introduites à l’art L122-45 du Code du travail consacrant l’âge du salarié comme motif de discrimination. Mais cette solution n’en constitue pas moins une innovation jurisprudentielle. En effet, le licenciement fondé sur l’âge du salarié étant nul, celui-ci est en droit d’obtenir sa réintégration dans l’entreprise (avec paiement des salaires dus entre son licenciement et sa réintégration), ou, si la réintégration est impossible ou s’il ne la demande pas, aux indemnités de rupture (préavis, licenciement...), ainsi qu’à une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire.

 

En conclusion, compte tenu de ces conséquences importantes, une mise à la retraite avant l’âge de 65 ans ne doit se faire que si l’entreprise peut établir avec certitude l’âge à partir duquel le salarié aura droit à sa retraite à taux plein. Des difficultés peuvent surgir si le salarié refuse d’informer l’employeur de sa situation personnelle, la sécurité sociale n’ayant pas à fournir à l’entreprise le relevé de carrière qui est confidentiel. Une décision d’une cour d’appel (CA Versailles, 20 février 2003, n°02/02286, JSL, 11 juin 2003, n°125-5) a ainsi validé une ordonnance de référé imposant à un salarié de remettre à son employeur sous astreinte son relevé de carrière établi par la CNAV pour permettre à l’entreprise de vérifier s’il remplissait les conditions posées par l’article L122-14-13. De plus, le relevé de carrière peut être insuffisant pour connaître la situation exacte du salarié car les périodes reconnues équivalentes ou assimilées par la sécurité sociale (congé parental ou majoration de durée d’assurance pour enfant élevé..) ne figurent pas sur ce document.

 

A lire :

 

-  Discrimination liée à l’âge : les plus de 55 ans n’ont pas la faveur des juges, Liaisons sociales Europe, du 8 au 21 février 2007, n°169, p.9.

 

-  Analyse de l’arrêt du 21 décembre 2006, Droit social, février 2007, n°2, pp.243-246.