Jurisprudence : la Cour de cassation précise les contours de la rupture du contrat de travail à raison de l'âge du salarié.

Non-discrimination

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Cour de cassation, Chambre sociale, 11 mai 2010, n°08-45307, 08-43681.

Si les affaires portant sur la discrimination en fonction de l'âge se sont multipliées ces dernières années devant la Cour de Justice de l'Union Européenne¹, le contentieux reste peu fourni en ce qu'est de la Cour de cassation française.

 

Licenciement en raison de l'âge : 

 

 

Cass. soc. 11 mai 2010, n°08-45307

 

Un pilote d'avion a été licencié par son employeur (société Brit Air) aux motifs qu'il avait atteint l'âge de 60 ans et qu'il était impossible de lui trouver un reclassement dans le groupe. Devant la cour d'appel, il demande paiement de dommages-intérêts, car selon lui l'employeur s'est rendu coupable d'une discrimination liée à l'âge.

Le requérant fonde son recours sur l'article 6 paragraphe 1 de la directive n°2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. D'après cette disposition, nonobstant l'article 2, paragraphe 2² du même texte, les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.   

Considérant "qu'il n'est pas discutable que la limite d'âge a été retenue en raison de sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant le transport aérien de passagers", et que cette limite d'âge est "générale pour tous les pilotes de transport aérien de personnes", les juges du fond jugent que la fixation d'une telle limite est "légitime au sens de la directive européenne en ce qu'elle répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de la sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, de façon raisonnable et proportionnée au regard de la spécificité de l'activité et du métier du pilote". Le requérant est débouté par la cour d'appel.

Les juges du fond sont censurés par la Cour de cassation. La Haute juridiction leur reproche de ne pas avoir recherché "si la cessation des fonctions de pilote à l'âge de 60 ans était nécessaire" à la réalisation des objectifs poursuivis.  

Mise à la retraite et discrimination en fonction de l'âge : 

 

 

Cass. soc. 11 mai 2010, 08-43681

 

Une salariée employée en qualité de régisseur de production, puis de chef du service patrimoine à l'Opéra national de Paris, a été mise à la retraite par ce dernier, conformément aux dispositions de l'article 6 du décret n° 68-382 du 5 avril 1968, modifié le 16 octobre 1980, portant statut de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris. 

La salariée conteste sa mise à la retraite et soutient qu'en vertu de la loi n°2003-775 du 21 août 2003, primant sur le décret précité, une telle mesure n'était possible, en l'absence de dérogation prévue par un accord collectif, que si elle avait atteint l'âge de 65 ans. La requérante prétend de surcroît que sa mise à la retraite est constitutive d'une discrimination à raison de l'âge, s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les arguments de la requérante n'ont guère convaincu les juges du fond qui, pour la débouter, se sont contentés de relever que " sa mise à la retraite était régie exclusivement par l'article 6 du décret du 5 avril 1968 et que l'intéressée remplissait les conditions d'âge et d'ancienneté requises".

Cependant, la cour d'appel qui, dans l'appréciation des éléments qui lui ont été exposés,  n'a pas fait application de la directive 2000/78/CE³ (article 6, paragraphe 1) est censurée par la Cour de cassation. La Haute juridiction, s'inspirant en cela de la jurisprudence de la CJUE, considère que les juges du fond qui n'ont pas examiné, pour la catégorie d'emploi de la requérante, si la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, ont violé le texte communautaire. 

 

 

 ¹ Voirwww.dialogue-social.fr/files_upload/documentation/201004082146230.fev2010_information_dialogue_social%20.pdf

²  Article 2 :  "1. Aux fins de la présente directive, on entend par «principe de l'égalité de traitement» l'absence de toute discrimination

directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l'article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1:

a) une discrimination directe se produit lorsqu'une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est,

ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l'un des motifs visés à l'article 1er;

b) une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est

susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap,

d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés, par rapport à d'autres personnes, à moins que :

i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les

moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ou que;

ii) dans le cas des personnes d'un handicap donné, l'employeur ou toute personne ou organisation auquel s'applique

la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale, de prendre des mesures appropriées

conformément aux principes prévus à l'article 5 afin d'éliminer les désavantages qu'entraîne cette disposition,

ce critère ou cette pratique".

³ Il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante de la CJUE, le juge national est juge communautaire de droit commun, chargé d’assurer aux normes communautaires leur effet direct en droit interne et leur primauté sur les normes nationales « en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel». (CJCE – 9 mars 1978 – Simmenthal) ; et la responsabilité d’un Etat membre peut être engagée pour violation d’une norme communautaire par une juridiction nationale (CJCE – 30 septembre 2003 – Köbler).