Jurisprudence : la caractérisation du travail de nuit doit se faire en référence à l'horaire habituel du salarié

Conditions du travail

- Auteur(e) : Hakim El Fattah

Cour de cassation, Chambre sociale, 7 mars 2012 pourvoi n° 10-21744

« Vu les articles L. 3122-31 et R. 3.122-8 du code du travail, l'article 1er de l'accord collectif du 18 décembre 2002 ;

Attendu, selon les deux premiers de ces textes, qu'est considéré comme travailleur de nuit tout travailleur qui accomplit, au cours d'une période de référence, un nombre minimal d'heures de travail de nuit fixé, en l'absence de disposition conventionnelle, à 270 heures de travail pendant une période de douze mois consécutifs ; qu'il en résulte que, sont réputées accomplies, au sens de ces textes, toutes les heures comprises dans l'horaire de travail habituel du salarié;

 

[…] 

« Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de prendre en compte non pas le total des heures effectivement réalisées la nuit mais l'horaire habituel du salarié, la cour d'appel a violé les textes susvisés »  

 

Une entreprise refusait, sur la base d'un accord collectif, de valider au titre du travail de nuit un certain nombre d'heures ne correspondant pas à du travail effectif accompli la nuit (congés, jours de formation, jours fériés, heures de délégation, crédits d'heures), privant les salariés concernés des protections particulières liées au statut de travailleur de nuit (repos compensateur, contreparties salariales, surveillance médiale renforcée, priorité d'accès à un emploi de jour, protection au titre de l'obligation légale de prévention de la pénibilité). 

Contestant cette position, une organisation syndicale a saisi le tribunal de grande instance pour faire juger que le statut de travailleur de nuit devait s'appliquer aux salariés en poste totalisant au moins 270 heures de nuit sur leur bulletin de paie par année civile.

 

Le point de divergence entre l'organisation syndicale et l'entreprise résidait dans le fait de savoir si, pour déterminer le statut de travailleur de nuit, il fallait tenir compte des heures de travail réellement effectuées la nuit ou au contraire fallait-il se référer à l'horaire habituel du salarié.  

Les juges du fond (TGI et appel) avaient débouté l’organisation syndicale, en mettant en avant un raisonnement très simple : puisque toutes les heures de nuit portées sur les bulletins de paie n’étaient pas des heures effectivement travaillées en raison du fait que les salariés concernées étaient notamment en congé ou en formation, l’entreprise était fondée à les décompter du calcul des heures de travail de nuit.

Cette argumentation ne convainc, néanmoins, pas la Cour de cassation qui déduit des textes (articles L. 3122-31 et R. 3122-8 du code du travail) régissant le travail de nuit que doivent être considérées comme tel toutes les heures comprises dans l’horaire de travail habituel du salarié et non pas le total des heures effectivement réalisées la nuit.           

 

Pourquoi cette divergence d’appréciation entre les juges du fond et la Cour de cassation ? 

 

Manifestement, les magistrats des différents degrés de juridiction se sont référés à des grilles de lecture assez distinctes des textes s’agissant des faits litigieux. Les juges d’instance et d’appel se sont attachés à la notion de temps de travail effectif, c'est-à-dire « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » (C. trav., art. L. 3121-1). Dès lors, pourquoi considérer effectif ce qui ne semblait pas l’être ?

 

Les hauts magistrats, quant à eux, ont voulu, visiblement, manifester les préoccupations qui sont celles de la Cour de cassation relativement au recours au travail de nuit qui doit demeurer aux termes mêmes de la loi « exceptionnel » et doit prendre en compte « les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ». D’où, en l'occurrence, l’appréciation élargie de la notion du travail de nuit.