Forfait jours : quelle action en justice des syndicats et quelle sanction en cas de non respect par l’employeur des clauses de l’accord sur la protection de la santé ? (Cour de Cassation)

Syndicats

- Auteur(e) : Ali-Mehdi Oucherif

La Cour de cassation, par un arrêt publié en date du 15 décembre 2021, se penche sur les règles de l'action en justice du syndicat au titre de l’intérêt collectif et aux conséquences de l’inexécution par l’employeur d'un accord collectif destiné à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours.

En l'espèce, un accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement a été conclu au sein de plusieurs sociétés.

Le Syndicat national de l'encadrement du commerce SNEC CFE-CGC a saisi le tribunal de grande instance aux fins notamment de voir prononcer la nullité de cet accord et celle des conventions individuelles de forfait en jours prises en son application, en soutenant que ce texte ne respectait pas le droit à la santé et à la sécurité des salariés.

Sa demande étant déboutée par les premiers juges, le syndicat se pourvoit ensuite en cassation.

Forfait jours : l’étendue de l’ action en justice des syndicats

L’arrêt admet qu’un syndicat puisse agir en justice, en application de l'article L. 2132-3 du code du travail au titre de l’intérêt collectif de la profession pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier de recours au forfait en jours. Il peut donc exercer les droits à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente. A contrario, la Cour considère que dès lors que les demandes du syndicat n’ont pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, l’action en justice des syndicats ne pourrait se voir être recevable. Sont ainsi visées les demandes tendant à obtenir, d'une part, la nullité ou l'inopposabilité des conventions individuelles de forfait en jours des salariés concernés, et d’autre part que le décompte du temps de travail soit effectué selon les règles du droit commun.

Les clauses assurant la protection de la santé et la sécurité des salariés intéressés

Le syndicat conteste les stipulations de l’accord collectif autorisant les forfaits jours en ce qu’elles ne garantissent pas des modalités de suivi régulier et d’évaluation de la charge de travail des salariés, assurant ainsi la santé et la sécurité des cadres intéressés. Il relève, entre autres, « que tout accord collectif autorisant la conclusion de conventions de forfait doit prévoir un suivi effectif et régulier par la hiérarchie du temps travaillé, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ». Or, pour le syndicat, les stipulations de l'accord en question en prévoyant « un décompte annuel des journées et demi-journées travaillées de chaque cadre et un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, n'instaurent pas un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ».

En se penchant sur les clauses de l’accord en question, la Cour de Cassation relève que ce dernier prévoit :

- « d'une part, que la mission et la charge de travail confiées aux cadres ne devaient pas conduire à imposer un horaire moyen sur l'année supérieur à huit heures de temps de travail effectif par jour soit l'équivalent de 1 736 heures à l'année pour la majorité des cadres et en particulier les responsables de rayon, les responsables administratifs, les responsables de dépôt, les responsables "front-office" et les autres cadres de niveau comparable dans le réseau ou au siège ;

-et d'autre part, que les cadres ne devraient pas dépasser un horaire quotidien de dix heures de temps de travail effectif et ne pourraient être astreints à respecter un tel horaire ».

Il en découlait « que l'employeur devait ainsi définir et adapter la charge de travail dans le respect des plafonds horaires conventionnels notamment veiller au risque de surcharge de travail du salarié ».

De ce fait, l’accord a été jugé valide par la Cour de Cassation en dépit des stipulations contestées par le syndicat, en ajoutant que « le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours, s'il prive d'effet les conventions individuelles de forfait conclues sur son fondement, n'entraîne pas l'inopposabilité de cet accord collectif aux salariés auxquels il s'applique». L’accord restera donc opposable même en cas de défaillance de l’employeur.

Cette solution ne provoque pas de revirement. Elle s’aligne tout simplement sur le droit positif actuel en ajoutant certaines précisions concernant la recevabilité de l’action en justice des syndicats au titre de l’intérêt collectif, ainsi que concernant la sanction de la défaillance de l’employeur d’assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés en forfait jours.

15 décembre 2021, Cour de cassation, Chambre sociale, Pourvoi n° 19-18.226