Étude relative au rapport du travail pendant la crise sanitaire

Organisation du travail

- Auteur(e) : Ali-Mehdi Oucherif

Dans son numéro 172 de « Connaissance de l'emploi » intitulé « Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle bouleversé le rapport au travail ? », le Centre d’études de l’emploi et du travail cherche à comprendre les facteurs de variabilité du rapport au travail en lien avec la crise sanitaire.

Publiée le 29 Juin 2021, cette étude est fondée d’une part sur l’analyse statistique des données de l’observatoire Evrest (évolution et relations en santé au travail) mais aussi sur une recherche qualitative menée sur le vécu du premier confinement pour certains ménages[1]. Celle-ci, tout en s'interrogeant sur l’expérience et le vécu de la crise sanitaire au travail, nous révèle que de nombreuses inégalités sont entrées en jeu suite aux différentes mesures pour lutter contre la pandémie. Ces inégalités se retrouvent à la fois entre les classes sociales et entre les genres. Il en ressort que :

  • 10% des salariés admettent que leur emploi a perdu de son sens :

Parmi ces 10%, une majeure partie représente les femmes cadres et professions intermédiaires de plus de 40 ans.

Ces personnes affirment avoir au quotidien une intensité de travail relativement élevée qui empiète sur leur vie personnelle les poussant à dépasser leurs horaires, écourter les repas ou traiter trop rapidement une opération tout en perdant de l’autonomie au travail face à d’autres salariés.

Cette perte d’autonomie se manifeste par des difficultés d’entraide, de capacité à articuler les sphères de la vie au quotidien et un manque de reconnaissance de la part de l’entourage professionnel. Le télétravail empire cette situation, et cela de manière plus marquée pour les femmes.

Pour illustrer cet aspect, l’étude prend pour exemple le cas d’une femme cadre dans le secteur privé ayant un conjoint cadre ingénieur et deux enfants en bas-âge.
Il en ressort que le sentiment de la salariée semble s’orienter vers une perte de sens de son activité professionnelle en lien avec l’augmentation de sa charge de travail liée à la crise sanitaire, ce qui tendrait à déstructurer les rythmes sociaux. Ce dernier phénomène semble compliquer les temporalités familiales et professionnelles provoquant un questionnement face au sens du travail professionnel.

  • 61% des salariés admettent que la crise sanitaire n’a eu aucun effet sur leur rapport au travail :

Parmi eux, les hommes contremaîtres et ouvriers qualifiés, âgés entre 30 et 40 ans, du secteur de l’industrie sont surreprésentés. Ces derniers déclarent rarement devoir dépasser leurs horaires, écourter les repas ou traiter trop rapidement une opération, mais admettent connaître des contraintes physiques importantes.

Bien qu’ils affirment disposer de suffisamment d’entraide, ils admettent subir un manque de reconnaissance et de nombreuses contraintes physiques. Le fait pour ces personnes de se trouver sur site lors du recours massif au télétravail n’a pas modifié leurs conditions de travail.

À titre d’exemple, un salarié qui, pendant le premier confinement, combinait une semaine de présence sur site et une semaine en chômage partiel, admet que cette organisation temporaire lui permettait de concilier son emploi avec sa vie familiale.

L’étude nous informe qu’en dehors du fait que les conditions de travail constituent un facteur essentiel, la crainte d’un changement non désiré au travail apparaît également comme une variable importante selon les régressions logistiques mobilisées. Le salarié concerné par l’enquête exprime aussi un rapport au travail qui ne s'altère pas. L'étude nous indique que la relative stabilité repose sur un rapport à l’avenir professionnel fondé sur le caractère pérenne de l’activité.

  • 29% des salariés déclarent avoir le sentiment que leur emploi a gagné en intérêt :

Pour la plupart ici, il s’agit de femmes employées de moins de 30 ans ayant plus souvent des conditions d’emploi précaires dans des secteurs considérés comme essentiels, tels que le commerce, l’administration, la santé et l’action sociale.

Ces personnes sont confrontées à un niveau de contrainte physique fluctuant, avec des postures contraignantes et des gestes répétitifs, auquel s’ajoute une intensité variable. Ces salariés connaissent néanmoins une autonomie au travail relativement importante et une marge de liberté dans les tâches à effectuer. La situation présentée par l’étude semble être ici sectorielle, les secteurs et métiers concernés bénéficiant d’une relative reconnaissance sociale.

L’étude prend l’exemple d’une coiffeuse ayant un conjoint ouvrier qualifié en chômage partiel et ayant quatre enfants âgés de 3 à 16 ans. Malgré des problèmes matériels et financiers engendrés par la crise sanitaire, celle-ci semble connaître un gain d'intérêt au travail qui pourrait s’expliquer par une valorisation et une reconnaissance symbolique de son activité professionnelle, tout en lui permettant aussi d'échapper à un cadre familial devenu pesant. L’étude nous informe ensuite du fait que la situation des salariés présents dans les secteurs dits « essentiels » semble être améliorée du fait de la reconnaissance symbolique qui leur est attribuée. Celle-ci pourrait se manifester par une mise en lumière de métiers et secteurs particuliers, comme ceux des soins et des services.

L’étude se conclut sur le fait que le rapport au travail peut être vu de manière inégalitaire selon la classe sociale et l’emploi occupés. Ces inégalités ont été accentuées par la mise en place massive du télétravail.

[1] Pour illustrer cette idée, l’étude, suite à une enquête sociologique, se penche sur trois cas distincts en s’appuyant sur les données de l’Evrest 2021 concernant le sentiment des salariés face à leur emploi entre le 1er octobre 2020 et le 30 avril 2021.