Etude sur la pratique du télétravail et ses impacts durant la crise sanitaire (Dares)

Organisation du travail

- Auteur(e) : Ali-Mehdi Oucherif

 

Dans une nouvelle étude publiée en février 2022, la Dares s'intéresse au télétravail durant la crise sanitaire.

La crise sanitaire a accentué le recours au télétravail, puisque durant le mois de janvier 2021, 27% des salariés le pratiquent contre 4% en 2019 d’après une enquête TraCov. Si 7 télétravailleurs sur 10 ont eu une pratique régulière accroissant l’autonomie du télétravail, ce mode d’organisation du travail a provoqué divers troubles et difficultés pour les salariés. L'enquête se demande donc quelle est la diversité des pratiques en matière de télétravail et quels en sont les impacts sur les conditions de travail ainsi que pour la santé. L’étude se demande aussi quelles sont les aspirations des salariés pour l’avenir en matière de télétravail.

 

Il en ressort plusieurs points :

 

  • Sur 10 télétravailleurs, 7 l’ont pratiqué régulièrement en janvier 2021

Si 25% des télétravailleurs, considérés comme "exclusifs", le pratiquent en grande majorité pour un rythme de cinq jours sur cinq et suivent leurs réunions par visioconférence, une forte proportion de ces salariés possède une expérience antérieure du télétravail au sein de ce groupe.

Ces derniers, surtout présents dans le secteur privé parmi les entreprises de plus de 500 salariés, sont à 56% des hommes et des cadres. Ils n’exercent pas souvent des tâches de supervision d’autres personnes. En plus d’être surdiplômés, ils sont également souvent en contrat à durée indéterminée et vivent davantage en Île-de-France ou en territoire urbain avec un conjoint en télétravail.

Si 30% des salariés pratiquent le télétravail de manière régulière entre un à quatre jours par semaine en janvier 2021, ils connaissent de longues périodes de télétravail exclusif ou de télétravail hybride au cours de l’année 2020. A cela s’ajoute une expérience antérieure du télétravail et une prise en charge des moyens matériels du télétravail. Ces salariés, considérés comme “intensifs” proviennent majoritairement du privé ou sont cadres. Ils sont, de surcroît, très diplômés et se trouvent le plus souvent en Île-de-France.

Enfin, 17% des télétravailleurs le sont entre un quatre jour par semaine en janvier tout en connaissant des difficultés importantes dans leur travail. Ils sont donc considérés comme “vulnérables”. En n’ayant connu qu’une partie hybride du télétravail depuis le début de la crise sanitaire, ils n’ont qu’une expérience limitée de ce nouveau mode d’organisation du travail. Ces salariés découvrent donc de nouveaux outils numériques tout en voyant augmenter leur temps d’utilisation de l’informatique. Ce groupe est le plus féminisé avec une proportion de 63% de femmes.

 

  • 3 télétravailleurs sur 10 ont quasiment repris leur activité sur site en totalité

15% des salariés connaissent le télétravail de manière occasionnelle avec une pratique d'un ou deux jours par semaine en janvier 2021. La durée de leur travail informatique est inférieure à la moyenne des télétravailleurs mais reste stable en dépit de la crise sanitaire. Le télétravail reste pour eux, peu pris en charge par l'employeur. Un contrôle ou un suivi informatique de leur activité peut néanmoins être mis en place. Si ce groupe compte plus d'employés et de salariés de TPE/PME, l’étude montre une présence majoritaire d’hommes et de personnes peu diplômées en son sein.

13% de télétravailleurs n’ont pratiqué le télétravail que pendant la période de la crise sanitaire en 2020. Ils n'utilisent que peu leurs outils numériques et ne font ni l’objet de contrôle ni de suivi informatique de leur activité. Tout en ayant peu pratiqué le télétravail avant la crise sanitaire, ces derniers font face à une très faible prise en charge du télétravail de la part de l'employeur. Les employés ou professions intermédiaires de TPE/PME tout comme les cadres et professions intermédiaires de l’administration publique en font majoritairement partie. Le niveau de diplôme de ces télétravailleurs est en moyenne inférieur à celui de l’ensemble des télétravailleurs. Ils sont également, plus souvent en contrat à durée déterminée.

 

  • 8 télétravailleurs sur 10 souhaitent continuer le télétravail

Même si plus de la moitié des salariés déclarent ne pas être concernés par le télétravail, 7 télétravailleurs sur 10 souhaiteraient continuer la pratique du télétravail au moins une fois par semaine et moins d’un salarié sur 10 tous les jours de la semaine.

13% des télétravailleurs pourraient continuer le recours à cette pratique, mais pourtant, 7% des télétravailleurs ne le souhaitent pas du fait qu’ils jugent leurs tâches incompatibles avec le télétravail. Plus la pratique du télétravail est intensive et plus les salariés souhaitent la poursuivre avec une intensité moindre.

Les salariés pratiquant le télétravail de manière intensive souhaitent le poursuivre de manière majoritaire avec un rythme d’au moins trois jours par semaine. Ceux qui le pratiquent entre un et quatre jours souhaitent, quant à eux, passer à un ou deux jours par semaine. Près de la moitié des télétravailleurs occasionnels souhaitent poursuivre cela de manière régulière tandis qu’un seul tiers de ceux qui ne l’ont pratiqué qu'en 2020 l’envisagent. Cela s’explique, pour ces derniers, par le fait que ces salariés ont davantage subi le télétravail durant la crise sanitaire. Ils l’ont pratiqué sans le souhaiter à l’avenir ou avaient des tâches incompatibles avec le télétravail.

 

  • Une accentuation des horaires décalés

Les télétravailleurs travaillent plus longtemps et plus souvent en horaires décalés entre mars 2020 et janvier 2021, bien plus qu’avant la période de la crise sanitaire.

Les salariés en télétravail cinq jours sur cinq connaissent une augmentation des contraintes horaires supérieures à la moyenne des télétravailleurs ainsi qu’une hausse des objectifs chiffrés non adaptés. Cette hausse ne touche néanmoins pas l’intensité de leur travail.

Le télétravail favorise aussi l’allongement de la durée du travail, ce qui conduit à décaler les horaires. La hausse des horaires décalés est plus forte pour les télétravailleurs dits exclusifs que les autres. Cette tendance est observée en particulier du fait de l’autonomie de ces personnes. L’étude souligne aussi un temps de travail qui déborde et qui se compense par l’absence du temps de transport voir même sur du temps de travail personnel ou familial.

Les télétravailleurs occasionnels ou alors ayant eu recours au télétravail uniquement pour la période de 2020 travaillent principalement sur site. L’évolution de leurs horaires est plus proche de la moyenne du salariat que pour les télétravailleurs réguliers. Les salariés ne pratiquant plus le télétravail observent un gain moindre d’autonomie mais un meilleur sens du travail et une hausse moins significative de l’insécurité de l’emploi.

 

  • Les exigences émotionnelles augmentent moins pour les télétravailleurs les plus réguliers

Les télétravailleurs connaissent une hausse plus marquée que les salariés de leur autonomie, en particulier si le télétravail est intensif.

Les télétravailleurs ne ressentent pas d'affaiblissement particulier du collectif du travail hormis pour les salariés qui rencontrent des difficultés matérielles dans le travail à distance. Ils peuvent autant qu’auparavant compter sur le soutien de leurs supérieurs ou de leurs collègues en cas de difficultés. Le sentiment d’insécurité de l’emploi s’est accentué lors du recours au télétravail pour toutes les catégories de télétravailleurs.

Les salariés sont plus bouleversés qu’avant la crise sanitaire tout en éprouvant moins souvent une hausse des tensions avec le public du fait de la diminution du contact avec le public et la modification de modes de contacts avec les clients ou les usagers.

La conciliation entre travail et vie personnelle tend à se dégrader pour tous les salariés, même si cela est moins le cas pour les salariés qui sont le plus en télétravail. Même si un manque de disponibilité se fait remarquer pour les proches des télétravailleurs, ces derniers peuvent mieux gérer la temporalité de leurs engagements personnels et familiaux, en particulier pour les hommes. Le sens du travail aussi tend à se renforcer pour les télétravailleurs de manière générale, à l’exception des télétravailleurs les plus réguliers.

 

  • Un accroissement des risques psycho-sociaux provoqué par une mauvaise organisation du télétravail

Certains salariés sont victimes de dégradations de tous les facteurs de risque même s’ils gagnent en autonomie. Ces dégradations résultent d’exigences émotionnelles et de conflits de valeur ainsi que des difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie privée. À cela s’ajoutent aussi des difficultés en matière de télétravail et des tensions avec le public en particulier dans les métiers de la fonction publique.

 

  • Des douleurs physiques en augmentation pour les télétravailleurs

L’étude souligne qu’entre la période qui s’étend de mars 2020 à janvier 2021, les télétravailleurs éprouvent des douleurs plus fréquentes et plus fortes accompagnées d’une hausse des troubles du sommeil.

Les différents groupes de télétravail réguliers signalent plus souvent une augmentation des douleurs sauf pour les salariés considérés comme vulnérables. Ces derniers sont plus touchés par le développement de douleurs physiques et de troubles du sommeil. Les douleurs physiques favorisent le développement de troubles musculo-squelettiques. 37% d’entre eux présentent des symptômes dépressifs contre 23% des salariés de manière générale. Cette augmentation, renvoyant à des risques d'isolement renforcés par les mesures sanitaires est associée aux mauvaises conditions d’organisation du télétravail.