Discours de Xavier Darcos devant le Sénat, le 12 janvier 2010, sur le thème : pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ?

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Conditions du travail

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Vous avez souhaité débattre aujourd’hui de la question des retraites, qui est au croisement de trois enjeux fondamentaux pour notre société : le vieillissement de la population, une chance pour chacun de nous mais aussi un véritable défi pour la pérennité financière de nos régimes ; le travail bien sûr, et notamment l’enjeu de l’emploi des seniors ; la solidarité et la justice enfin, qui se sont traduites par notre effort en faveur des retraités les plus modestes, et qui devront trouver un prolongement dans une meilleure prise en compte de la pénibilité.

J’ai conscience de l’ampleur du sujet, de son urgence et de son importance aux yeux des Français. Ce n’est pas un débat franco-français, c’est un sujet auquel sont confrontés tous nos voisins européens et c’est un enjeu mondial, car le vieillissement de la population est une réalité que chaque société a le devoir d’accompagner.

J’ai parlé d’urgence car la question du financement des retraites concerne directement la génération qui vient d’entrer dans la vie active et qui verra, année après année, s’accroître le poids de la charge qui pèse sur elle. Nous avons une lourde responsabilité à l’égard de cette génération, à laquelle nous nous sommes trop longtemps dérobés. Il nous faut à présent y faire face en agissant, certes sur le déficit annuel, mais également sur la capacité du système à tenir ses engagements de long terme.

Vous connaissez les chiffres du COR : nous avons aujourd’hui 1,8 cotisant pour un retraité. Dans une dizaine d’années nous serons à 1,5 et en 2050, à 1,2 cotisant pour un retraité. Dès 2010, une retraite sur dix n’est plus financée.

C’est conscient de cette urgence que le Président de la République a souhaité que nous engagions cette réforme dès 2010. Comme ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité, chargé de préparer ce rendez-vous capital, j’attache naturellement une grande importance à la réflexion que nous pouvons conduire ensemble.

 

Je m’y engage avec deux objectifs :

- sauvegarder notre système par répartition, dont la crise a montré à la fois le caractère irremplaçable pour nos concitoyens mais également la nécessité d’agir pour assurer sa pérennité ;

- veiller à l’équité, ce qui nous conduira à aborder sans faux semblant la question, si souvent écartée, de la fonction publique. Le Président de la République l’a dit en juin dernier devant le Congrès, toutes les questions seront mises sur la table.

 

Ceci est d’autant plus nécessaire que le régime des fonctionnaires connaît lui aussi une situation financière délicate, que ne doit pas masquer le mécanisme d’équilibrage automatique du « CAS pensions » [compte d’affectation spéciale]. En effet, le taux de cotisation de l’Etat employeur est fixé de façon à en équilibrer toujours le solde : il est passé de 44% en 2000 à 62% aujourd’hui, chiffres qu’il faut comparer aux 16% environ que paient les employeurs privés.

Cette augmentation depuis 2000 représente ainsi un déficit de près de 10 milliards d’euros, soit autant que celui du régime général.

Si nous n’agissons pas, c’est donc l’ensemble des contribuables qui continueront de supporter la dérive financière du régime de retraite des fonctionnaires.

La réforme des retraites doit nécessairement être une réforme globale, car on ne pourra demander des efforts seulement à certains. En se saisissant de cet enjeu national, le gouvernement veut se montrer à la hauteur des efforts que certaines majorités, avant celle-ci, ont eu le courage d’entreprendre. Je pense naturellement au travail mené par le gouvernement d’Edouard Balladur en 1993, mais aussi à la réforme courageuse qu’a portée François Fillon en 2003 ainsi qu’aux avancées décisives réalisées par mon prédécesseur Xavier Bertrand sur la question des régimes spéciaux. Tous ont cherché à concilier deux logiques qui sont nos mots d’ordre aujourd’hui, la responsabilité et l’équité.

 

Je regrette d’ailleurs que le bon sens et le courage n’aient été par le passé que d’un seul côté. Il faut bien constater que sur sujet qui devrait faire consensus, le bilan de l’actuelle opposition est inexistant.

J’ai parlé de bon sens, car personne n’échappera à cette évidence : si nous voulons sauvegarder le système des retraites par répartition, nous serons confrontés au choix de devoir allonger la durée de cotisation, diminuer le montant des prestations, ou d’augmenter celui des cotisations.

Diminuer le montant des pensions, je vous le dis clairement, serait inacceptable. Quant à l’augmentation des cotisations, j’observe que nous avons déjà le niveau de cotisation le plus élevé d’Europe. Accroître la pression qui pèse sur les salariés serait le moyen le plus sûr de nuire à la compétitivité de notre économie ainsi qu’au pouvoir d’achat des salariés.

 

Je le dis donc sans ambages : dans un pays dont l’espérance de vie s’accroît d’un trimestre chaque année, nous n’avons d’autre solution que de travailler plus longtemps.

Un principe fort a été posé lors de la loi Fillon, le partage « deux tiers/un tiers » entre la durée d’activité et la durée de retraite. C’est un équilibre sain qui doit guider notre réflexion.

Ce principe a déjà trouvé à s’appliquer avec le passage progressif de 40 à 41 annuités de cotisation d’ici 2012.

Travailler plus longtemps, c’est aussi augmenter l’emploi des seniors.

 

Je veux en finir avec cette exception française qui fait de nous le plus mauvais élèves des pays européens en la matière, avec 39% seulement de seniors en emploi quand la moyenne de l’Union européenne est de 44,7 % et que l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne était d’atteindre 50% pour 2010. Ce n’est pas seulement un véritable gâchis humain, c’est aussi une charge absurde pour nos finances publiques.

Je veux donc mettre un terme à cette injustice qui conduit à mettre à la porte des salariés en raison de leur âge, alors que l’espérance de vie à 60 ans est de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes. Au lieu de chercher par tous les moyens à diminuer le temps consacré à la vie active, je veux que nous misions sur les valeurs qui sont les nôtres, celle d’un travail qui crée de la richesse collective grâce à la mobilisation de toutes les compétences, celles des plus jeunes comme celles des plus âgés.

 

C’est la raison pour laquelle je poursuis avec Laurent Wauquiez, le Secrétaire d’Etat à l’Emploi, la politique volontariste du gouvernement pour augmenter l’emploi des seniors, qui a déjà fait ses preuves :

- avec l’amélioration du taux de la surcote, portée à 5% pour les années accomplies au-delà de 60 ans et du taux plein. Au premier trimestre 2009, le taux de recours à la surcote atteint 12,5%, soit une hausse de près de 50% par rapport à l’année précédente ;

- avec la libéralisation totale du cumul emploi-retraite pour les salariés âgés de plus de 60 ans et bénéficiant du taux plein ou âgés de plus de 65 ans ;

- avec le report à 70 ans de l’âge des mises à la retraite d’office ;

- avec la suppression programmée de la dispense de recherche d’emploi, véritable trappe à inactivité pour les salariés les plus âgés ;

- avec l’obligation faite aux entreprises de plus de 50 salariés d’être couvertes, à partir de cette année, par un accord de branche ou d’entreprise relative à l’emploi des seniors, faute de quoi une pénalité de 1% de la masse salariale leur sera appliquée.

 

Cette obligation est désormais entrée en vigueur et le succès de la démarche est d’ores et déjà au rendez-vous. Plus de 80 branches, représentant 12 millions de salariés, ont conclu ou sont sur le point de conclure un accord en faveur de l’emploi des seniors, alors que seules 4 branches avaient décliné le précédent accord national interprofessionnel sur l’emploi des seniors de mars 2006.

 

Plus important encore : le contenu de ces accords ne se borne pas à un respect formel des obligations posées par la loi mais fait preuve d’innovation :

- par exemple, augmentation de l’offre de formation dans les industries chimiques ;

- prévention de la pénibilité dans la grande distribution ;

- développement du tutorat dans la métallurgie ;

- création d’un droit au temps partiel dans de nombreuses branches.

 

Pour travailler plus il faut travailler mieux, et travailler équitablement. Il faut donc poser sans tabou la question de la pénibilité.

 

Cette question doit être abordée avec précision et en distinguant deux choses :

- il y a, d’une part, ce qui relève de l’amélioration des conditions de travail : cette question, qui concerne tous les salariés, fait l’objet d’une action spécifique de mon ministère dans le cadre, notamment, du deuxième plan santé au travail ;

- et il y a, d’autre part, la question de l’équité qui suppose qu’on tienne compte de la pénibilité propre à certains secteurs particulièrement éprouvants. Ne nous trompons pas de combat.

 

Nos longues discussions avec les partenaires sociaux ont déjà permis des avancées sur cette question difficile, et je suis déterminé à aller plus loin pour réfléchir aux réponses à apporter.

 

Enfin, d’autres sujets seront évidemment abordés, je songe notamment à la prise en charge de la dépendance.

 

Le Président de la République l’a dit lors de ses voeux le 31 décembre, le défi de la dépendance sera dans les décennies à venir l’un des problèmes les plus douloureux auxquels nos familles seront confrontées. Je salue à cet égard le travail très utile réalisé par la mission d’information conjointe des commissions des affaires sociales et des finances de votre assemblée, conduite par les sénateurs Philippe Marini et Alain Vasselle.

 

L’objectif de la réforme que nous mettrons en oeuvre, ce sera de rendre effectif le principe du libre-choix entre le maintien à domicile et le départ en maison de retraite, et nous devons dans cette perspective envisager toutes les pistes de financement possibles.

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Mesdames et messieurs les Sénateurs,

Le débat que nous allons avoir ensemble sur ces sujets est au coeur de la réflexion sur l’avenir de notre démocratie sociale.

Le gouvernement ne négligera aucune piste afin de concilier la diversité des situations avec les impératifs de l’intérêt général.

Et naturellement, il sera attentif à vos remarques et vos propositions.

Je vous remercie.