Contrat de génération : la Cour des comptes recommande sa refonte

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- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Dans son rapport, rendu public le 10 février 2016, la Cour des comptes dresse un bilan quantitatif et qualitatif très critique du dispositif de contrat de génération. Elle recommande, par conséquent, aux pouvoirs publics de le redéfinir en profondeur. Mais, ceux-ci ne semblent pas prêts à engager une telle refonte estimant que "le dispositif est en cours d'appropriation par les entreprises" et qu'il "prématuré de tirer le constat de son échec", ajoutant que "la stabilité est la meilleure solution à apporter pour rendre ce dispositif compréhensible et accessible aux entreprises".    

 

Rappelons d'abord que le contrat de génération a « pour objet de répondre à la situation actuelle qui écarte du marché du travail les jeunes et les salariés âgés, privant ainsi les entreprises de compétences et de ressources utiles à leur compétitivité » et se veut « une opportunité innovante d’adopter durablement une gestion dynamique et active de tous les âges » (étude d’impact relatif au projet de loi portant création du contrat de génération, 11 décembre 2012, p.2). Concrètement, il tend à faciliter l’insertion durable des jeunes dans l’emploi par leur accès à un contrat à durée indéterminée, à favoriser l’embauche et le maintien en emploi des salariés seniors et à assurer la transmission des savoirs et des compétences.

 

Si dans son rapport, la Cour des comptes admet que le contrat de génération est, en termes d'impact sur le coût du travail, un dispositif intéressant pour les employeurs, elle estime, en revanche, qu'à plusieurs égards, le compte n'y est pas. Sur le plan quantitatif, d'abord, la Cour des comptes relève qu'au mois de juillet 2015, 49 010 demandes d'aides - dont peuvent bénéficier les entreprises de moins de 300 salariés - avaient été enregistrées par Pôle emploi, dont 40 294 avaient été validées (soit un taux d'acceptation de plus de 80%) au bénéfice d'environ 80 000 jeunes et seniors. Même si ces chiffres ne comptabilisent pas les contrats de génération qui sont susceptibles d'être signés en application des accords collectifs conclus dans les entreprises et les groupes comptant 300 salariés et plus, la Cour estime, néanmoins, qu'ils ne sont pas satisfaisants au regard de l'objectif initialement fixé par les pouvoirs publics qui était de 200 000 contrats signés sur cette période. Autrement dit, le nombre de contrats de génération effectivement validés au 19 juillet 2015 ne correspondrait qu'à 20% de l'objectif gouvernemental. Ce à quoi la ministre du travail a répondu qu'il s'agissait là non pas d'un objectif précis - difficilement chiffrable de surcroît - mais d'ordres de grandeur.   

 

L'analyse du contenu des accords collectifs de branches portant sur le contrat de génération montrerait, ensuite, un manque de dynamique selon la Cour des comptes. Cela se manifesterait d'abord par des objectifs en matière de recrutement des jeunes qui seraient, en plus d'être non contraignants, "le plus souvent fondés sur les estimations d'embauche des branches à effectifs constants à un horizon de trois ans". Quant aux objectifs en matière d'embauche et de maintien dans l'emploi des salariés seniors, la Cour estime que "les objectifs affichés par les branches apparaissent modestes, puisqu'ils se contentent le plus souvent d'envisager que la situation actuelle ne soit pas dégradée ou qu'elle soit très faiblement améliorée". A cet égard, la ministre du travail rappelle que "la branche n’a pas vocation à se substituer aux entreprises dans leur choix en matière d’emploi et de recrutement, mais à les soutenir dans leurs démarches en préservant l’autonomie des entreprises à recruter".

 

L'examen des mesures prévues par ces accords en faveur des jeunes et des seniors ne soulève pas davantage l'enthousiasme de la Cour des comptes soit parce qu'il s'agirait, le plus souvent, d'une simple reprise et déclinaison des dispositifs existants (accès au "1% logement", solutions d'épargne pour la retraite, assurance auto et habitation, conventions avec Pôle emploi, recrutement en "CDD seniors", etc.), soit parce que les acteurs sociaux se seraient limités à adjoindre un volet "jeunes" aux différentes thématiques du dialogue social qui s'étaient précédemment accumulées. Mais, de côté du ministère du travail, on assure que le contenu des accords fait l'objet d'un contrôle par l'administration, préalablement à leur extension, "afin de s’assurer qu’ils ne sont pas purement formels. L’administration veille ainsi à leur portée effective et n’hésite pas à formuler des avis négatifs dès lors que les accords s’avèrent insuffisants".

 

Par ailleurs, la Cour note que les accords ont souvent renoncé au principe d'un binôme effectif entre un jeune et un senior, "ce qui constituait pourtant le fondement même du contrat de génération, pour privilégier un appariement purement statistique entre des jeunes et des seniors sans liens professionnels et affectés sur des implantations éloignées les unes des autres". A cet égard, il convient de préciser que, malgré tout, la pratique des entreprises ainsi décrite n'est pas forcément en contradiction avec la grille de lecture du ministère du travail qui a indiqué clairement que :

  • il n’y a pas forcément de lien de tutorat ou de transmission de compétences entre le jeune et le senior. L’objectif est d’organiser la transmission des compétences du senior, sans forcément que cette transmission se fasse directement vers le jeune en question. Parallèlement, l’enjeu d’intégration du jeune dans l’entreprise peut être pris en compte par différentes actions n’incluant pas nécessairement du tutorat,;
  • le jeune et le senior peuvent avoir des fonctions, des qualifications ou des postes différents. La transmission des compétences se fait au sein de l’entreprise, mais pas forcément entre ces deux individus;
  • ils doivent appartenir à la même entreprise mais pas nécessairement au même établissement. Ils peuvent travailler sur des sites différents.

 

Enfin, en termes d'impact sur l'emploi, la Cour estime, s'agissant des jeunes, que le contrat de génération a servi davantage d'instrument à leur titularisation au sein des entreprises que de réel facteur de création d'emploi. Il bénéficierait aujourd'hui prioritairement à des jeunes relativement qualifiés (67% des jeunes recrutés avaient un niveau de formation classés I (master) à IV (baccalauréat), contre seulement 7% de jeunes sans qualification) et déjà présents dans les entreprises (près des deux tiers des jeunes recrutés en contrat à durée indéterminée au titre du dispositif occupaient déjà un emploi). Si la ministre du travail ne conteste pas ces chiffres, elle pointe, néanmoins, "une incompréhension des objectifs du contrat de génération", et rappelle que ce dispositif "s'adresse à tous les jeunes et à toutes les entreprises du secteur privé", ajoutant que "c'est en termes de sécurisation des parcours des jeunes et de leur accès à l'autonomie que le dispositif doit s'apprécier".    

 

Pour ce qui est des seniors, la Cour estime qu'à ce stade, il n'est pas possible de déterminer si le contrat de génération a eu un effet sur leur maintien dans l'emploi.  

 

En définitive, la Cour des comptes estime que trois grandes raisons expliqueraient "l'insuccès" du dispositif de contrat de génération :

  • "la première raison tient au choix qui a été fait de construire le contrat de génération, non comme un instrument simple à la disposition directe des entreprises, mais, pour celles qui comptent plus de 50 salariés, comme un dispositif dépendant d’une négociation préalable et obligatoire sous peine de pénalité, ce qui a été perçu par de nombreuses entreprises comme une contrainte et non comme une opportunité ...";
  • "la deuxième raison est l’inadaptation des critères d’éligibilité à l’aide financière, tout particulièrement du fait de l’exclusion des entreprises appartenant à un groupe de plus de 300 salariés, au motif que des appariement factices entre jeunes et seniors pourraient être organisés au sein de ces groupes : de ce fait, de nombreuses entreprises relevant du commerce et de la distribution, par exemple, sont inéligibles à l’aide financière prévue pour les contrats de génération au motif qu’elles sont filiales d’un groupe de plus de 300 salariés, alors même que ces entreprises ont en réalité une gestion autonome";
  • "enfin, l’impact de la situation économique d’ensemble doit être pris en compte ... La moitié des entreprises interrogées ont indiqué, à cet égard, que l’aide financière constituait un avantage appréciable, mais que leurs décisions de recrutement étaient essentiellement liées à leurs propres perspectives d’activité, et non à l’attractivité éventuelle de ce dispositif public".

 

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cour estime indispensable de "s'interroger sur l'évolution possible du contrat de génération" et recommande, si les pouvoirs publics entendent le maintenir au-delà de la durée de vie des accords collectifs déjà signés et des aides accordées, de "le redéfinir en profondeur ... notamment en ce qui concerne la pénalité liée à l'obligation de négocier un accord collectif et le critère de non appartenance à un groupe".