Contentieux : de la difficulté d’interpréter un accord relatif aux seniors au regard de conventions et accords collectifs d’ordre général

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- Auteur(e) : Hakim El Fattah

 

Un salarié employé, sous régime de droit privé, en qualité de conseiller à Pôle Emploi Aquitaine, âgé de 55 ans, a demandé à bénéficier d'un passage à temps partiel en application d'un accord relatif au maintien dans l'emploi des seniors, conclu par Pôle Emploi le 22 janvier 2010. Il justifie sa demande par la nécessité de s'occuper de l'un de ses petits-enfants handicapé à 80 %. 

Pôle emploi a accepté le principe mais demandé au salarié d'engager une discussion sur les modalités de mise en œuvre de ce passage à temps partiel.

 

Les deux parties n'ont toutefois pas réussi à s'entendre sur l'organisation du passage à temps partiel. Le salarié a alors saisi en référé le juge prud'homal afin qu'un avenant à son contrat de travail lui soit proposé par l'employeur. Chose que le Conseil de Prud'hommes a ordonné à Pôle Emploi. Le juge a invité, de surcroît, les parties à se rapprocher afin de définir conjointement les modalités de l'exercice de ce temps partiel. 

 

Le requérant ne s'est, toutefois, pas satisfait de cette décision dont il a interjeté appel.

Mais, à rebours du jugement prud'homal, la cour d'appel déboute le requérant de l'ensemble de ses demandes en tant qu'elles excèdent la compétence du juge des référés. 

Les juges du fond estiment que l'accord collectif (article 4.3) en question nécessite, parce qu'il ne serait pas très explicite sur les modalités spécifiques concrètes d'organisation du temps partiel prévu en faveur des salariés âgés de 55 ans et plus, d'être interprété au regard des dispositions de l'article 10 paragraphe 2 de la convention collective nationale de Pôle Emploi du 21 décembre 2009, ainsi que de l'accord sur l'organisation annualisée du temps de travail du 30 septembre 2010.  

 

Pour la cour d'appel, cette démarche d'interprétation est rendue nécessaire par la nature même de la demande du salarié qui souhaite bénéficier d'un temps partiel annualisé, distinct d'un temps partiel hebdomadaire. D'après les juges, l'accord relatif au maintien dans l'emploi des seniors ne permet pas de trancher la question de l'obligation ou non pour le salarié de tenir compte, dans sa proposition des modalités d'organisation de son temps partiel annualisé, de l'accord de la hiérarchie et de faire référence aux nécessités de service.    

Par conséquent, en raison de ces difficultés d'interprétation qui caractérisent l’existence d’une contestation sérieuse, la compétence du juge des référés qui a, la cour d'appel ne manque pas de le rappeler, le pouvoir d'interpréter un accord collectif (Cass. soc., 8 juin 2010, n° 08-44.383; Cass. soc., 27 juin 2007, n° 06-41.904; Cass. soc., 15 déc. 2004, no 02-47.639) est écartée. 

 

Si cette décision semble a priori fondée, vu que le juge des référés ne peut ordonner une mesure qui se heurte à une contestation sérieuse (article R. 1455-5 du code du travail), elle n'est pas, pour autant, totalement satisfaisante.  

Intéressons-nous, d'abord, au contenu de l'accord relatif au maintien dans l'emploi des seniors en question.

En effet, sous l'article 4, intitulé "Amélioration des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité", le paragraphe 3, intitulé "Les aménagements individuels du temps de travail", stipule que "...Pôle emploi offre la possibilité aux agents âgés de 55 ans et plus de travailler à temps partiel dans les conditions suivantes de quotité de temps partiel et de rémunération correspondante : 

  • temps partiel 50 % : taux de rémunération 65 % 
  • temps partiel 60 % : taux de rémunération 75 %
  • temps partiel 80 % : taux de rémunération 95 %

 

A ce titre, les demandes émanant de salariés concernés en vue d'une baisse du temps de travail sont accordées de plein droit... Des modalités spécifiques d'organisation du temps partiel (regroupement hebdomadaire, répartition mensuelle, annualisation ...)peuvent être mises en place dans les établissements sur demande des intéressés ...". 

 

On ne comprend, dès lors, pas le sens de la "contestation sérieuse" soulevée par Pôle Emploi et reprise à son compte par la cour d'appel, puisque les termes de l'accord semblent clairs. Rappelons à cet égard que les dispositions des conventions et accords collectifs doivent être interprétés strictement. Il n'y a pas lieu de les interpréter lorsque les termes en sont clairs et précis. Par ailleurs, il faut, selon les règles d'interprétation des contrats, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes (article 1156 du Code civil).   

 

En outre, aux termes de l’accord litigieux, les demandes de passage à temps partiel émanant de salariés âgés de 55 ans et plus sont accordées de plein droit. Les obligations d'avoir l'accord de la hiérarchie et de tenir compte des nécessités de service ne paraissent pas s'imposer aux salariés seniors.

 

Autrement, à quoi sert-il de prévoir un dispositif de temps partiel spécifiquement pour une catégorie des seniors, si, finalement, on leur applique le droit conventionnel commun à tous les salariés de Pôle Emploi ?       

 

A cet égard, et les parties et les juges semblent négliger la spécificité (finalité) de l'accord « seniors » en question; puisqu'en effet, la cour considère qu'il y a lieu d'interpréter un texte conventionnel particulier au regard d'autres textes conventionnels à vocation générale. La question qui se pose, dès lors, est dans quelle mesure ces derniers tiennent-ils compte de la spécificité de la question de l’emploi des seniors ? Le raisonnement de la cour peut étonner et semble totalement hasardeux si l'on tient compte du fait qu’il s'agit en effet d'un accord censé encourager l’emploi et le maintien en activité des seniors et ce serait un non-sens vis-à-vis du dispositif légal ayant institué l’obligation légale de conclure un accord ou d’élaborer un plan d’action favorable à l’emploi des salariés dits âgés.

 

Cela risque de fausser l'interprétation et de neutraliser les effets de l’accord « seniors » en déplaçant le débat sur un autre terrain que celui du maintien dans l'emploi des seniors. Or, c’est tout l’intérêt d’un accord en faveur des seniors. Dans l’affaire qui nous occupe, le temps partiel prévu dans l'accord litigieux en faveur des salariés dits âgés est une mesure prise au titre de l'amélioration des conditions de travail et de réduction de la pénibilité; sa finalité in fine est d'encourager le maintien de cette population dans l'emploi.