Compte personnel d'activité : les contours du dispositif se précisent

Gestion de l'emploi

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Mise à jour le 23 octobre 2015

 

Présenté par le Président de la République comme « la grande réforme sociale du quinquennat », le dispositif du compte personnel d’activité se construit et prend forme progressivement. Ainsi, au terme de la procédure législative qui a débouché sur la loi relative au dialogue social et à l’emploi du 17 août 2015 chaque personne se voit dotée, à compter du 1er janvier 2017, d’un compte personnel d’activité « qui rassemble, dès son entrée sur le marché du travail et tout au long de sa vie professionnelle, indépendamment de son statut, les droits sociaux personnels utiles pour sécuriser son parcours professionnel » (article 38).

 

Après cette première phase législative qui a donné une existence juridique à ce dispositif, s’est ouvert, à la demande du gouvernement, une réflexion conduite par France Stratégie, qui est l’instigatrice initiale de ce projet (Quelle France dans 10 ans, rapport-juin 2014, page 156), pour définir notamment les configurations possibles du futur compte ainsi que ses enjeux techniques, sociaux et financiers. Ces travaux préparatoires ont donné lieu à un rapport qui a été remis au premier ministre et à la ministre du travail début octobre. Il devrait nourrir la  concertation sociale qui s’ouvre sur ce sujet.

 

Un compte personnel d'activité : pourquoi faire ?

Depuis une vingtaine d’années, alors que le marché du travail est « marqué par une plus grande fréquence des transitions professionnelles d’une entreprise à une autre, d’une branche à une autre et entre emploi et chômage » (France stratégie, Quelle France dans 10 ans, rapport-juin 2014) et le développement de différentes formes de précarité, l’idée a germé, dans différents cercles[1] (universitaires, syndicaux, institutionnels …) de la nécessaire sécurisation des parcours professionnels par la recherche d’un « nouveau compromis social » entre les intérêts des entreprises et ceux des salariés (Gérard Vachet, Sécurisation des parcours professionnels : utopie ou réalité, Droit social 2006).

 

Sur le plan juridique, ces réflexions ont trouvé un certain écho au travers d’un ensemble de mesures et dispositifs adoptés ces dernières années : généralisation de la couverture complémentaire santé des salariés, extension de la portabilité de la prévoyance, création du compte personnel de formation, création du compte personnel de prévention de la pénibilité, mise en place des droits « rechargeables » à l’assurance chômage. Mais, si ces mesures peuvent permettre des progrès en termes de portabilité des droits et contribuer par conséquent à la sécurisation des parcours professionnels, « des ruptures demeurent, notamment à l’occasion des changements de statut entre le secteur privé, le secteur public et le travail indépendant » (feuille de route sociale issue des travaux de la conférence sociale pour l’emploi du 19 octobre 2015).  

 

Dans ces conditions, la création du compte personnel d’activité (CPA) s’est imposée comme l’instrument qui permettrait de « franchir une nouvelle étape dans la continuité des droits sociaux et leur personnalisation ». A cet égard, trois objectifs ont été retenus dans le rapport de France stratégie concernant ce dispositif :  

  • permettre à chacun d’être mieux couvert dans un modèle social décloisonné

À moyen terme, France stratégie fait le pari que le compte personnel peut être un facteur de modernisation de notre système de protection sociale et de droits professionnels. En permettant aux actifs d’avoir accès simplement à leurs droits, il peut contribuer à la résorption des lacunes dans les droits actuels et être porteur d’une adaptation globale du système de protection sociale aux mutations du travail et de la société, ainsi qu’aux aspirations nouvelles des personnes.

  • sécuriser les parcours et en rendre la maîtrise aux personnes

La sécurisation des parcours recouvre plusieurs dimensions. Elle passe d’abord par la connaissance et l’accès de chacun à l’ensemble de ses droits. Elle suppose également la sécurisation du revenu et le maintien des droits sociaux en cas de ruptures et de changements de situation. Elle repose enfin sur le maintien et le développement de capacités à évoluer (formation, accompagnement).

  • donner une meilleure capacité d’autonomie par une réduction des inégalités

 

Partant du constat d’une augmentation des inégalités entre actifs sur le marché du travail, le rapport fait de leur réduction un des objectifs prioritaires du compte. Deux leviers peuvent participer à cet objectif : la compensation des inégalités par le versement de dotations supplémentaires sur le compte des personnes les plus fragiles et la correction des inégalités dans la mobilisation des droits.

 

Scénarios de construction du compte personnel d’activité

Pour donner à voir plus concrètement quelle forme pourrait prendre le compte personnel d’activité, le rapport présente trois scénarios envisageables. Il précise que ces derniers n’épuisent pas le champ des possibles, et peuvent être combinés entre eux. Chacun de ces scénarios peut en outre être déployé au cours du temps selon des étapes différentes.

 

Dans les trois scénarios, le CPA est universel, ouvert à toute personne résidant en France, et permet des abondements (en points) corrigeant les risques d’inégalités de chances ou de circonstances (jeunes non qualifiés, chômeurs de longue durée, longue maladie, etc.).

 

Ces scénarios répondent à trois logiques principales :

1) le CPA orienté vers la formation et plus largement la capacité de l’individu àévoluer professionnellement. Le fil conducteur de ce scénario est un accès renforcé à la formation et donc une mobilisation des droits en ce sens, et plus généralement un accompagnement dans la levée des obstacles à l’emploi (aides à la création d’entreprise, à la garde d’enfants, à la mobilité, etc.). Dans cette vision, les droits à formation sont au cœur du dispositif, ils peuvent être complétés par d’autres droits acquis par l’individu dans son travail (compte pénibilité, compte épargne-temps, épargne salariale), et qui peuvent être mobilisés pour développer cette capacité professionnelle. Ce scénario permet également de prévoir des dotations versées aux personnes considérées comme les plus fragiles, les plus éloignées de l’emploi, et des règles de conversion différenciées selon les profils ;

 

2) le CPA orienté vers la liberté de l’usage des temps tout au long de la vie, visant plus d’autonomie des personnes dans le travail grâce à une meilleure articulation de leurs différents temps de vie et une reconnaissance de leurs activités y compris non marchandes. Dans ce scénario, la notion de capacité s’entend au sens large (pas seulement professionnelle) et la liberté prend le pas sur la flexibilité. L’enjeu de ce CPA serait alors de rassembler le plus grand nombre de droits fongibles avec une fongibilité élargie aux utilisations en temps, pour permettre de solvabiliser des activités non marchandes, reconnues comme socialement utiles. Cette vision s’appuie sur des mécanismes de solidarité collective, qui passent principalement par des processus de financement mutualisé, auxquels peuvent s’ajouter des financements individuels ;

 

3) le CPA orienté vers l’accès aux droits et la sécurité des transitions. Dans cette orientation, le compte vise à sécuriser les personnes par la continuité des droits sociaux de manière à éviter les ruptures et les pertes de droits lors de changements de situation. Le CPA joue ici le rôle de « compte-ressources » de chacun en matière de droits sociaux. Il comprendrait ainsi des droits mobilisables à l’initiative de la personne à partir des points disponibles sur son compte, et donnerait en outre accès aux droits sociaux personnels qui répondent à différents risques : chômage, maladie, retraite, famille, accidents du travail, etc.

 

Principes directeurs du dispositif

Le rapport se prononce clairement sur :

  • l’universalité du compte, qui doit concerner tous les actifs

L’ambition universelle du CPA est évidente. Le principe même de la sécurisation des parcours suppose en effet que les différents actifs (demandeurs d’emploi et actifs employés, salariés et indépendants, public et privé) soient concernés. Le rapport propose que le compte soit ouvert automatiquement à 16 ans et clos au moment du décès.

  • la portabilité des droits, qui doit être large

Afin d’éviter les ruptures ou pertes de droits qui peuvent freiner les changements, la portabilité des droits doit être aussi large que possible à terme, ce qui suppose un effort de complétion des droits d’une part, et une transférabilité accrue des droits d’un emploi (ou statut) à un autre.

  • la fongibilité des droits, qui peut être facilitée par un compte libellé en points

La fongibilité des droits, c’est-à-dire l’utilisation de droits acquis à un titre pour un autre usage (compte épargne-temps mobilisé pour financer une formation, par exemple), ouvre à chacun davantage de choix dans l’usage de ses droits. La diversité des droits susceptibles d’être inclus dans le CPA plaide pour une unité de compte compatible avec leurs différentes unités de mesure (heures, euros, etc.) et la plus neutre possible. Le point permet ainsi de convertir les différents droits alimentant le CPA et de déterminer des règles d’équivalence pour leur convertibilité.

 

Dans cette perspective, il a été convenu dans la feuille de route sociale issue des travaux de la conférence sociale pour l’emploi du 19 octobre 2015, de s’appuyer sur les comptes personnels existants (compte personnel de formation, compte personnel de prévention de la pénibilité, le cas échéant compte épargne temps pour les personnes qui en sont dotées), complétés par des droits nouveaux :

  • un « portail des droits numérique », à travers lequel les actifs auront accès à l’ensemble des droits sociaux liés à la carrière professionnelle. Son élaboration et son suivi associeront les partenaires sociaux.
  • le renforcement de l’accompagnement des transitions professionnelles, notamment par l’extension de la garantie jeunes dans tous les territoires volontaires à partir de mars 2016 et la montée en puissance du conseil en évolution professionnelle; celle-ci pourra être soutenue par des moyens dédiés et par la création d’une certification reconnue pour le métier de conseiller en évolution professionnelle.
  • l’abondement du CPA des jeunes sortis du système de formation initiale sans qualification des heures nécessaires à l’obtention d’un premier niveau de qualification. Cela permettra la réalisation du droit à une nouvelle chance pour les personnes sorties sans qualification du système de formation initiale, reconnu par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

 

A cette fin, le Gouvernement transmettra avant la fin du mois d’octobre un document d’orientation, conformément à l’article L. 1 du code du travail. Les partenaires sociaux engageront sur cette base la négociation d’un accord relatif aux principes et à la méthode de la construction du CPA et de la sécurisation des parcours professionnels. Cet accord, qui devra intervenir d’ici la fin de l’année, fixera un calendrier et des points d’étape pour chacun des thèmes. Le Gouvernement présentera ensuite un projet de loi en vue de son adoption par le Parlement au premier semestre 2016.

 

Selon l’agenda qui sera fixé par ce futur accord, plusieurs thématiques ayant trait à la sécurisation des parcours professionnels seront soumises à la concertation ou à la négociation au long de l’année 2016. Les thématiques suivantes pourront notamment être abordées :

  • la levée des freins à la mobilité géographique, tels que l’accès au logement, au permis de conduire, ou à la garde d’enfant ; une évaluation de politique publique sur la mobilité a été lancée par le gouvernement et pourra venir enrichir les discussions des partenaires sociaux ;
  • le réexamen des conditions d’ancienneté, qui existent dans de nombreux dispositifs légaux (congé parental d’éducation, congé de soutien familial, congé individuel de formation, etc) et conventionnels et sont susceptibles de décourager la mobilité et pénalisent particulièrement les personnes qui enchaînent des contrats de courte durée ; ce thème peut être abordé en lien avec celui de l’harmonisation des congés, prévu par l’ANI du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle ;
  • l’extension et la portabilité du compte épargne temps ;
  • l’utilisation éventuelle d’une partie des droits à l’assurance chômage pour augmenter les droits inscrits sur le CPA ;
  • la généralisation de la couverture prévoyance ;
  • le renforcement de l’accompagnement des actifs pour les aider à connaitre les droits attachés au CPA et à se saisir des instruments de la sécurisation des parcours professionnels Au-delà de leur responsabilité légale dans la formation de leurs salariés à leur poste de travail, les employeurs peuvent les accompagner dans des démarches de développement de leurs compétences.

 

[1] D’après les travaux de France stratégie, il semblerait que la réflexion « pionnière » en la matière soit développée dans le rapport publié en 1995, intitulé « Le travail dans vingt ans » du groupe réuni par le Commissariat général du plan sous la présidence de Jean Boissonnat. On y trouve, en effet, parmi les propositions la transformation du droit du travail par la création d’un contrat d'activité. « Englobant le contrat de travail sans le faire disparaître » ce contrat visait « à faciliter les projets individuels et la souplesse de l'organisation productive » et à garantir « la continuité des droits et obligations » de chacun. Le contrat ainsi proposé avait « pour vocation "d'absorber" une partie des multiples dispositifs et des actuels mécanismes de financement de l'insertion, de la formation professionnelle, du chômage ».

Quelques années plus tard, s’inscrivant dans cette même lignée, un groupe d’experts dirigé par le professeur Alain Supiot rédige, pour le compte de la Commission européenne, un rapport intitulé « Au-delà de l’emploi. Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe » (1999), dans lequel sont proposées comme orientations face à « la décomposition » du modèle fordiste du statut professionnel que celui-ci soit « redéfini de façon à garantir la continuité d’une trajectoire plutôt que la stabilité des emplois » notamment en construisant de « nouveaux instruments juridiques pour assurer la continuité de l’état professionnel des personnes par-delà la diversité des situations de travail et de non travail » ; la deuxième orientation proposée est que le statut professionnel soit « déterminé non plus à partir de la notion restrictive d’emploi, mais de la notion élargie de travail » et enfin qu’ « à l’état professionnel des personnes correspondent des droits de tirage sociaux de divers ordres ».