CJUE 8 juillet 2010 C-246/09: Discrimination fondée sur l'âge et sur le sexe : délais à respecter en cas de demande d'indemnisation

Non-discrimination

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

Cour de Justice de l'Union européenne, 8 juillet 2010, affaire C-246/09.

Suite au refus de sa candidature à un emploi, Mme Bulcke a saisi la juridiction allemande compétente d'une demande d'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la discrimination dont elle se prétendait victime. En effet, dans l'annonce d'emploi en question, une indication laissait entendre que seules les personnes ayant entre 18 et 35 ans pouvaient proposer leur candidature. La requérante, elle, était âgée de 41 ans.

La juridiction saisie a rejeté la demande de Mme Bulcke au motif que cette dernière n'a pas saisi son employeur, auteur présumé de la discrimination, d'une réclamation dans le délai fixé à l'article 15 ¹ paragraphe 4, de la loi générale sur l'égalité de traitement qui prévoit " Il convient de faire valoir par écrit les droits fondés sur les paragraphes 1 ou 2, dans le respect du délai de deux mois à moins que les parties aux conventions collectives n’aient convenu autre chose. En cas de candidature à un emploi ou de promotion professionnelle, le délai prend cours à la réception du rejet et dans les autres cas de préjudice au moment où l’employé a eu connaissance de la discrimination".

La juridiction d'appel, qu'est d'avis que le délai en question n'a pas été respecté, a néanmoins saisi la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) de la question préjuducielle suivante : «Est-ce qu’une législation nationale selon laquelle le délai pour faire valoir par écrit un droit à indemnisation et/ou à des dommages et intérêts pour cause de discrimination lors de l’embauche est de deux mois après réception du refus – ou, selon une interprétation de cette disposition, après avoir pris connaissance de la discrimination – est contraire au droit communautaire primaire (garantissant une protection juridictionnelle effective) et/ou à l’interdiction de droit communautaire de toute discrimination fondée sur l’âge, à la directive [...], lorsque, en droit national, des prétentions équivalentes sont soumises à des délais de prescription de trois ans et/ou à l’interdiction de précarisation prévue à l’article 8 de cette même directive, lorsqu’une disposition nationale antérieure prévoyait un délai de forclusion plus long en cas de discrimination fondée sur le sexe?»

 La juridiction de renvoi demande, en substance, si une disposition telle que l'article 15, paragraphe 4 précité constitue une mise en oeuvre correcte des articles 8 ² et 9 ³ de la directive, plus précisément, si cette disposition respecte, d’une part, les principes d’équivalence et d’effectivité, notamment au regard d’autres dispositions de la réglementation nationale qui soumettent des demandes éventuellement comparables à des délais plus longs ou, d’autre part, le principe d’interdiction de l’abaissement du niveau de protection, au regard d’une disposition antérieure de la réglementation nationale qui prévoyait un délai de forclusion plus long en cas de discrimination fondée sur le sexe.

Après examen des éléments fournis par la juridiction de renvoi, la CJUE répond, à la première partie de la question, que "le droit primaire de l'Union et l'article 9 de la directive doivent  être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une règle de procédure nationale selon laquelle la victime d’une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge doit saisir l’auteur de cette discrimination d’une réclamation afin d’obtenir réparation des dommages patrimoniaux et non patrimoniaux dans un délai de deux mois, sous réserve:

– d’une part, que ce délai ne soit pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail,

– d’autre part, que la fixation du point de départ à partir duquel ledit délai commence à courir ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive".

Ensuite, s'agissant de la deuxième partie de la question, la Cour juge que " l’article 8 de la directive doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle de procédure nationale, adoptée afin de mettre en œuvre la directive, qui a pour effet de modifier une réglementation antérieure prévoyant un délai pour demander une indemnisation en cas de discrimination fondée sur le sexe".

 

 

 

¹ L’article 15, intitulé «Indemnisation et dommages et intérêts», est ainsi libellé:

«1) En cas de violation de l’interdiction des discriminations, l’employeur est tenu de réparer le dommage qui en résulte. Cette règle ne s’applique pas si l’employeur n’est pas responsable de la violation de cette obligation.

2) Pour un dommage qui n’est pas un dommage patrimonial, l’employé peut exiger une indemnisation financière appropriée. L’indemnisation ne peut dépasser trois mois de salaire en cas de non-engagement lorsque l’employé n’aurait pas été engagé même dans le cadre d’une sélection ne portant pas préjudice.

3) En cas d’application de conventions collectives, l’employeur est tenu à une indemnisation seulement lorsqu’il agit intentionnellement ou par négligence grave.

4) Il convient de faire valoir par écrit les droits fondés sur les paragraphes 1 ou 2, dans le respect du délai de deux mois à moins que les parties aux conventions collectives n’aient convenu autre chose. En cas de candidature à un emploi ou de promotion professionnelle, le délai prend cours à la réception du rejet et dans les autres cas de préjudice au moment où l’employé a eu connaissance de la discrimination.

5) Dans les autres cas, il n’est pas porté atteinte aux droits de l’employeur résultant d’autres dispositions légales.

6) Toute violation par l’employeur de l’interdiction de discrimination prévue à l’article 7, paragraphe 1, ne permet pas de fonder un droit à motivation d’une relation de travail, d’une relation de formation professionnelle ou d’une promotion professionnelle, à moins qu’un tel droit ne résulte d’une autre base juridique.»

 

² L’article 8 de la directive énonce:

«1. Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive.

2. La mise en œuvre de la présente directive ne peut en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres dans les domaines régis par la présente directive.»

 

³L’article 9 de la directive dispose :

«1. Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées.

2. Les États membres veillent à ce que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente directive sont respectées puissent, pour le compte ou à l'appui du plaignant, avec son approbation, engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive.

3. Les paragraphes 1 et 2 sont sans préjudice des règles nationales relatives aux délais impartis pour former un recours en ce qui concerne le principe de l’égalité de traitement.»